Livres naturalistes, Récits

Célébrations de la nature, John Muir

Homme d’action avant tout, John Muir n’a, tout compte fait, publié que très peu de livres, et seuls ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse étaient conçus dès l’origine pour former un volume. John Muir a, en revanche, beaucoup écrit. Du corpus important que constituent ses carnets manuscrits, une petite partie seulement a été mise en forme et publiée – par lui-même (Un été dans la Sierra, Voyages en Alaska) ou, de manière posthume, par son exécuteur testamentaire (Quinze cents kilomètres à pied dans l’Amérique profonde, Journal de voyage dans l’Arctique). Et de la même façon, son énorme correspondance n’a fait l’objet que d’éditions très partielles.

Dispersés dans diverses revues où leur impact sur l’opinion publique et les décideurs politiques était sans doute plus assuré et plus immédiat, les articles de John Muir représentent peut-être l’essentiel de son œuvre. Qu’il s’agisse de portraits de plantes ou d’animaux, de récits de courses en montagne ou d’autres aventures vécues, on y retrouve toujours le passionné de la nature, qui jamais ne se lasse de la décrire, de la louer, de la célébrer. Parler de la nature est pour John Muir un plaisir toujours neuf, toujours renouvelé, un plaisir communicatif. Son enthousiasme lumineux gagne inévitablement son lecteur, qui le voit – et se voit avec lui – plongé dans les paysages grandioses qu’il dépeint, à l’affût d’un oiseau aussi étonnant que discret ou stupéfait devant une fleur jusque-là inconnue.

Tout, en effet, dans la nature suscite l’admiration, et l’article qui restitue cette merveilleuse expérience vibre d’une intense émotion. Mais pas seulement. John Muir est aussi d’une extrême précision. Précision de l’observateur, précision de l’homme de plume. La sensation de plénitude qu’éprouve le lecteur vient de ce que l’auteur réussit à toucher simultanément le cœur et l’intellect. C’est au moment même où l’information qu’il reçoit est la plus précise que l’impression ressentie est aussi la plus vive, et les deux sont indissociables.

Ce choix de textes majeurs, qui sont autant d’hymnes à la nature, vient ajouter au portait kaléidoscopique de John Muir, dont disposait déjà le lecteur francophone à travers les ouvrages traduits précédemment, une facette nouvelle et inattendue, celle d’un lyrisme flamboyant allié à l’information la plus rigoureuse. Mais il s’agit aussi de textes de combat, qui, un siècle plus tard, conservent toute leur pertinence. La question de la protection du milieu naturel ne s’est jamais posée avec plus d’acuité qu’à l’heure actuelle. Saurons-nous entendre une voix, qui, dans notre propre intérêt, nous demande d’ouvrir les yeux et de faire preuve de courage ?

Traduit par André Fayot

Extrait

LE CINCLE D’AMÉRIQUE

Il n’y a qu’un oiseau qui fréquente les chutes d’eau de la Sierra – le Cincle d’Amérique (Cinclus Mexicanus, Sw.). C’est un petit bonhomme singulièrement allègre et sympathique de la taille d’un merle, couvert d’un vêtement imperméable tout simple de couleur grisbleu, avec une touche de chocolat sur la tête et sur les épaules. De forme, il a presque l’aspect rebondi et compact d’un galet ayant tourbillonné dans une marmite de géants, le contour fluide de son corps n’étant interrompu que par ses pattes et son bec puissants, le bout de ses ailes nerveuses et sa queue relevée comme celle du troglodyte. Parmi les innombrables cascades qu’il m’a été donné de rencontrer au cours de dix années d’exploration dans la Sierra – que ce soit sur les pics glacés, dans les chaudes collines de piémont ou les profonds canyons yosémitiques de la région moyenne –, je n’en ai pas trouvé une seule qui n’avait pas son Cincle. Nul canyon n’est trop froid pour ce petit oiseau; aucun, trop isolé, pourvu qu’il soit riche en chutes d’eau. Trouvez-en une, ou une cascade, ou des rapides impétueux sur un clair ruisseau: à coup sûr, vous trouverez là le Cincle qui va avec, en train de voleter dans le poudrin, de plonger dans les tourbillons spumeux ou de tournoyer comme une feuille parmi les bulles d’écume – toujours plein de vigueur et d’enthousiasme, quoique peu communicatif, sans jamais rechercher ni fuir votre compagnie. Si, alors qu’il barbote çà et là dans les maigres des bords, il est dérangé, soit il s’envole avec un rapide bruissement vers d’autres endroits où il se nourrit en amont ou plus bas, soit il va se poser sur un rocher à demi recouvert ou une souche émergeant du courant; et aussitôt le voilà qui se met à hocher le chef et faire des révérences comme un troglodyte, en tournant la tête de côté et d’autre avec toute sorte de mouvements bizarres et délicats qui ne manquent jamais d’attirer l’attention de l’observateur....

La presse

"Comme antidote à l’antidote [qu’est le livre de Gran, l’Écologie en bas de chez moi, P.O.L. dont parle Philippe Lançon dans le présent article, nde] on lira Célébrations de la nature. Ces textes de John Muir ont été publiés entre 1875 et 1902. Dans la grande tradition pastorale américaine, ils sont un chant profond de l’écologie et un discours contre ceux qui, déjà, détruisent la nature. Mais Muir ne donne jamais au lecteur le sentiment
qu’il pourrait être un idiot. Si ses cibles sont opposées à celles de Gran, il s’en prend d’entrée au même type d’esprit : «Les réformateurs des valeurs morales ont la vocation de prê- cher. J’ai un ami qui a la vocation de labourer, et malheur à la touffe de pâquerettes ou au buisson d’azalées qui tombe sous le tranchant rédempteur et féroce de son soc d’acier. Non content de dompter - c’est son mot - le moindre marécage, la moindre lande ou le moindre rocher terrestre, il voudrait trouver une méthode de régénération applicable au ciel et à l’océan.» Gran écrit à peu près : J’ai un ami qui a la vocation d’écologiser, et malheur au pollueur qui tombe sous le tranchant rédempteur et féroce de son tract d’acier, etc. C’est que la pensée de derrière, comme disait Pascal, est toujours révélée par le style : il dit peu du sujet, mais tout du coeur qui l’énonce."
Philippe Lançon, Libération, 24 février 2011.

Code EAN

9782714312044

Editeur

Date de parution

Tranche d'âge

Nombre de pages

Collection

320
Biophillia

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