Romans

Le Traquet kurde

Au printemps 2015, un ornithologue amateur observe au sommet du puy de Dôme un petit oiseau, le traquet kurde, jamais vu en France auparavant, et dont nul ne sait comment il est arrivé jusque-là. Sur la piste du traquet kurde, des vertes prairies du Hertfordshire aux montagnes du nord de l’Irak, le narrateur de ce récit, quant à lui, croisera les ombres de T. E. Lawrence, St. John Philby (le père du célèbre espion), Wilfred Thesiger, celle aussi d’un invraisemblable escroc, mystificateur et mythomane, le colonel Meinertzhagen, et beaucoup d’autres grandes figures de l’histoire impériale britannique (et pour beaucoup, ornithologues avertis, comme T.E. Lawrence très connaisseur en migrations des oiseaux, NDLR).

Ce nouveau livre de Jean Rolin, récit et variation autour des tribulations hasardeuses d’un écrivain et du petit oiseau qu’il poursuit de sa curiosité, est un festival d’érudition et d’humour, un itinéraire poétique à travers l’ornithologie et les géographies physique et politique, l’histoire, la littérature, une illustration supplémentaire de son génie descriptif.

Jean Rolin a reçu notamment le Prix de la langue française en 2013 et le Prix Médicis en 1995.

Editions P.O.L

voir interview de Frédérique Roussel dans Libé du 12 JEAN ROLIN : «UN MONDE SANS OISEAUX EST INIMAGINABLE»

Depuis quand aimez-vous les oiseaux ?

Depuis ma petite enfance. J’étais resté avec ma grand-mère à Dinard en Bretagne, période assez brève mais décisive alors que mes parents étaient partis à Brazzaville. Mon lien avec les oiseaux, mais aussi la mer et les bateaux, date de cette époque. Je les nourrissais l’hiver et, de temps en temps, je les attrapais pour les regarder de près. A Dakar, où nous sommes allés quand j’avais 10 ans, mon frère et moi les attrapions pour les mettre dans une volière. Après, j’ai totalement renoncé à les capturer pour uniquement les observer. Dans un petit livre (1) que j’ai réalisé avec Kate [Barry, ndlr], je raconte que ma grand-mère m’avait emmené voir un documentaire sur le couronnement de la reine d’Angleterre, en 1953. Dans ce même programme, il y avait des images sur la vie dans les grands étangs, avec des hérons, etc. Ce film m’a beaucoup frappé. Comme la reine d’Angleterre. Je me dis que le jour où elle claquera ça me fera quelque chose. Je n’ai pas de sympathie particulière pour elle mais elle aura quand même accompagné toute mon existence.... suite dans Libé du 12 janvier

 

La presse

« Le traquet kurde », réfugié du Moyen-Orient

L’observation récente d’un oiseau kurde au sommet du puy de Dôme donne à Jean Rolin le point de départ d’une exploration rocambolesque et méditative.

Quoi de plus fragile et opiniâtre qu’un oiseau, petit être auquel l’inspiration de bien des créateurs s’est accrochée depuis Aristophane ? L’écrivain Jean Rolin, familier des récits aventuriers alliant la curiosité au rocambolesque, a montré dans d’autres livres son intérêt pour les créatures à plumes.

L’une d’entre elles suscite ce nouveau livre, le 29e de l’écrivain, qui en a publié douze aux éditions P.O.L depuis 2002. Intrigué par l’incongruité de l’observation, au printemps 2015, d’un passereau kurde dans les monts d’Auvergne, Jean Rolin s’est penché sur l’histoire de cet oiseau et, par elle, a découvert celles des hommes qui depuis deux siècles ont cherché sa trace. Déplaçant littérairement l’enquête journalistique, à son habitude, il s’approprie le sujet pour le subvertir en une rêverie mêlant son monde intérieur et un monde réel parfois âpre.

Le traquet kurde (Oenanthe xanthoprymna), petit passereau à queue rousse et masque noir, vit « dans divers pays riverains de la mer Rouge ou du Golfe persique » et se reproduit « dans une zone montagneuse courant du sud-est de la Turquie à l’ouest de l’Iran, laquelle correspond assez exactement à la zone de peuplement kurde ». Quel est le lien précis de cet oiseau avec cette minorité opprimée, dont l’alternative est de longue date l’exil ou la résistance ? Jean Rolin n’énonce aucune thèse, mais s’attache, en des biographies enchâssées, à quelques explorateurs britanniques qui ont croisé le chemin de l’oiseau et, bizarrement, participé parfois à des actions déterminantes pour cette zone du monde.

L’officier des renseignements Richard Meinertzhagen, l’officier de liaison Lawrence d’Arabie, l’espion St. John Philby ou l’écrivain Wilfred Thesiger menèrent leurs expéditions ornithologiques dans ces zones géographiques dont le destin géopolitique occupe toujours le devant de la scène internationale. Fasciné par ces figures ambiguës, Jean Rolin offre à travers elles l’exploration historique de deux siècles de relations entre l’Europe et le Moyen-Orient, effleurant les effets des politiques occidentales : des actions coloniales aux guerres récentes et à la mondialisation des loisirs, en passant par les accords de Sykes-Picot.

Le voyage l’emmène loin des zones touristiques, en Angleterre, en France ou dans les montagnes kurdes, aux confins de l’Irak, de la Turquie et de la Syrie. Il sera peut-être pris pour un agent de renseignement, couverture pour lui plus avouable que son but effectif : observer au mont Shirin le fameux traquet kurde, et ramener dans ses carnets le tableau d’une faune variée, étrangère aux guerres des hommes. N’égarons pas le lecteur, la réflexion de Jean Rolin, volontiers drôle, est avant tout méditative, et son attention à la nature sauvage offre parmi ses plus belles pages. Sous sa plume, les frontières tracées sont disputées par celles, naturelles et mouvantes, que connaissent les autres espèces. Et le vol d’un oiseau, dûtil être brutalement stoppé par un coup de fusil, y surgit plus subtil que les pas lourds des conquérants ou des collectionneurs.

Comment, découvrant avec Jean Rolin la déroute du traquet kurde sur le puy de Dôme, à 4 300 kilomètres de son habitat naturel, ne pas penser à la solitude des peuples forcés au départ, du Kurdistan ou d’ailleurs, hier ou aujourd’hui ? L’« expérience de l’exode, consécutif à un soulèvement et à l’écrasement de celui-ci, presque tous les Kurdes d’Irak l’ont faite au moins une fois dans leur vie », écrit seulement Jean Rolin, laissant à l’un de ses compagnons, Fakher, le soin de suggérer ce qui de commun étreint les plus fragiles, les oiseaux comme les hommes.

Sabine Audrerie, La Croix, janvier 2018

Code EAN

9782818039120

Editeur

Date de parution

Tranche d'âge

2018-01-10

Nombre de pages

Collection

176

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