Personnalités à découvrir

FEIGNÉ Claude

Claude Feigné, animateur des programmes de gestion de la Réserve Ornithologique du Teich, habite Bordeaux. Tous les matins,  lever 5h30; il enfourche son vélo, roule vers la gare, prend son train vers Le Teich (50km), enfourche un autre vélo et arrive, vers 7h, à la réserve ... où il enfourche un troisième vélo pour circuler dans la réserve. "Un bonheur !" 

Même si il a roulé sa bosse dans le monde, en Afrique de l’Ouest (Casamance, le Saloum, et le Kruger bientôt), aux Etats-Unis (Yellowstone, l’Idaho, le Wioming).

Nous l'avions croisé cet automne à Montier en Der, nous le retrouvons et le surprenons un matin d’avril, juché en haut d’un des belvédères de la réserve, explorant aux jumelles les alentours, les possibles manquements de comportements humains, les étangs où s'ébat l'avifaune et, surtout, en aspirant le bonheur du matin levant.

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 Claude Feigné en haut d'un belvédère de la réserve au petit matin (photo©JBDumond)

Nous passons un bon moment ensemble,  déjeuner compris, parlons des oiseaux de passage, des rencontres improbables, des paysages que les oiseaux affectionnent, de son parcours qui semble les suivre, des dangers qui menacent la nature… Oui, un bon moment!

Votre parcours en quelques mots ? Ça commence par un truc de gamin, l’émotion qui fait tout basculer : la rencontre avec une barge à queue noire un jour de printemps ; j’avais une longue vue à tirette, je devais avoir 10/11 ans, je vois cette espèce improbable dans mon secteur, sur l’estuaire de la Gironde – je suis girondin, d’une famille de chasseurs, mon grand père, mon père étaient chasseurs.

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 Barges à queue noire dans la réserve (photo©JBDumond)

A partir de 12 ans, c’est les piafs à fond, avec des jumelles pourries, pas de bouquin à l’époque – j’ai eu le Peterson assez tardivement, que j’ai demandé pour ma communion solennelle – et entre 12 et 16 ans je ne fais que du terrain avec tout ce qui me tombe sur la main sur les piafs.

J’atteins un petit niveau et je me retrouve guide ornitho à 16 ans, ici, sur la réserve du Teich.

En bénévole ? Non ! Payé, c’est mon premier salaire, j’ai 16 ans, et je suis recruté, en 1973. Je bosse beaucoup sur le Banc d’Arguin, comme bénévole ou salarié remplaçant du garde – j’assure les congés. Et en 76 je suis nommé comme garde animateur à la réserve naturelle de l’étang de Cousseau

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La Réserve Naturelle de l'étang de Cousseau est située à 50 km à l'Ouest de Bordeaux et à 3 kilomètres de l'Océan Atlantique. Elle doit son nom à un petit étang, l'étang de Cousseau, qui s'insère entre les deux grands étangs du Médoc, Carcans-Hourtin au nord et Lacanau au sud. Elle s'adosse au flanc Est du cordon dunaire littoral.

 Et depuis, je n’ai fait que bosser dans ce milieu.

 

Autodidacte alors ? Complètement, je n’ai même pas passé mon bac ! Je suis revenu ici au Teich en 1984 après le Cousseau, encore le banc d'Arguin, et la réserve de Bruges. D’abord comme animateur puis, depuis 2007, comme responsable de la gestion de la réserve du Teich.

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Le Banc d'Arguin

Parlons de la réserve du Teich. Vous avez participé à sa création ? Quasiment! j’étais là quelque temps après sa création, en 1973 ; Ça s’appelait le Parc ornithologique, une zone biologique… des oiseaux en captivité – l’idée était d’apprendre à reconnaître les oiseaux en bassin et aller les voir dans la nature, genre le centre de Slimbridge en Angleterre ou le Zwin en Belgique -. Puis cela s’est dégradé avec l’achat d’une collection d’oiseaux exotiques, on a tout mélangé, il y avait des volières, des pélicans, des émeus…., un mélange hallucinant… un coût exorbitant. A partir des années 90 on se débranche peu à peu. Et en 2007, on évacue les espèces exotiques, on ne nourrit plus et on passe à un fonctionnement de réserve pure avec les espèces existantes, venues d’elles-mêmes. Avec un interventionnisme minimum, pas de jardinage d’espèces, je ne supporte pas ! On n’inervient que sur la qualité des paysages et des habitats.

Et on assure la sécurité - on a les contraintes de l’ouverture (payante) au public – 75 000 visiteurs, ouverture 364 jours par an, de 10h à minima – pour nous permettre de travailler, d’entretenir en amont : n’oublions pas que nous sommes dans un paysage conquis sur la mer à partir de la fin du 18ème et qui évolue rapidement, notamment avec des problèmes de plantes invasives comme le Baccharis ou le ragondin qu’il faut piéger - et avec une obligation de rentabilité.

La réserve est cogérée par la commune et le parc naturel des Landes dont je suis le salarié.

Mon job : gérer l’évolution du territoire, l’eau, l’accueil du public, les relations entre les visiteurs, la pédagogie (panneaux), les photographes qui ne sont pas toujours faciles mais dont je comprends l’exigence… Une attention quotidienne !

 

Comparable avec le MarquenterreOui; on a des relations fréquentes. Mais le Marquenterre est plus grand, ceinturé par 4 000ha de zones naturelles alors qu’ici, on est ceinturé par la chasse qui attend que “ça sorte”. La région n’est pas simple.

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Le Marquenterre, en baie de Somme

 Ça fait quel effet d’arriver à la réserve le matin, seul ? La banane ! Je pars en vélo avec mes jumelles ; le bonheur. C’est comme cela que je vis et, du coup, je m’inquiète de l’arrivée de la retraite.

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(photo©JBDumond)

Des références qui vous ont marqué ? Alain Tamisier (CNRS Camargue), Roger Mahéo et Michel Brosselin (1936-1980, un des pionniers de l’écologie, voir ici ) évidemment. Et, gamin, je correspondais avec Jean Dorst - et il me répondait ! - et Antoine Reille.

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Roger Mahéo, décédé en 2012, à l'âge de 90 ans

Et je suis un fils spirituel de Pierre Davant, fondateur de la SEPANSO, toujours président.

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 Pourquoi le sauvage ? Tout petit c’était les petites bestioles d’eau que je prélevais dans des petites boîtes transparentes qui faisaient aquarium.

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Dytique

Car les oiseaux, le problème c’ était les jumelles ; quand on est à la campagne, dans un milieu ouvrier, c’est cher, comme les bouquins.

Et je m’intéresse aux questions des rapports entre l’homme et la nature, sur le plan sociologique et philosophique. Je me suis longtemps intéressé à la pratique de l’ornithologie, je passais plus de temps à observer les ornithos que les piafs.

J’ai toujours été un militant de la protection de la nature, j’ai créé un Panda club en 1969; je ne comprends pas qu’on ne s’engage pas.

Mais ce n’est pas toujours évident. J’ai été administrateur de la SEPANSO, de la LPO locale mais à un moment j’ai arrêté, pour éviter les conflits d'intérêt. Je siège au CA du Parc marin du bassin d’Arcachon. A titre personnel pour conserver mon indépendance de pensée.

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 Echasse blanche (photo©JBDumond)

 Des belles rencontres? Des centaines, tous les jours; hier soir, sur la lagune du bout où nichent les échasses, un faucon pélerin arrive au milieu de la réserve, tout s’envole… puis essaie de se re-poser… et deux milans noirs arrivent… ça repart…et une demi-heure après, un balbuzard arrive, un poisson dans les serres !

Des passages rares également, des limicoles nord américains.

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 Milan noir (photo©JBDumond)

 Quelles menaces sur la faune sauvage? La rapidité des changements, des mutations, la fulgurance du changement, le climat, l’incidence des changements paysagers, des pertes d’habitat…Je suis très pessimiste.

La création de zones protégées est une tentative de freiner le mouvement mais le mouvement est à mon sens irrémédiable.

 

On sent le réchauffement climatique ? Il y a 20 ans déjà, on le sentait. Mais on ne le savait pas. Des dates d’arrivée et de départ des oiseaux. Les pies grièches, les blongios ont disparu.

 

Les bonnes initiatives? La notion de préservation des espaces, la limitation de la chasse dans certains endroits. Je ne suis pas contre, je suis d’une famille de chasseurs, j’ai été chasseur. La chasse, si il n’y a pas l’amour au bout…. Je connais un gars qui pratique le no kill, qui fait “pan”.

J’ai plongé en sous marin, j’ai chassé et puis, un jour, je me suis demandé : pourquoi?

 

Un conseil à un jeune qui voudrait suivre votre trace ? Je me sens de moins en moins capable de donner ses conseils; De toute façon il faut aller au bout de ses passions, du moment qu’on n’embête pas les autres.

 

 Pour conclure, vous disparaissez ce soir, quel dernier message vous laisseriez? Pas de message; Je dirais simplement que je me suis bien éclaté!

 

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