Personnalités à découvrir, Les scientifiques

Jean-Claude GÉNOT

Montier en Der 2019, conférence sur le lynx en France, nous y sommes.

Et découvrons Jean-Claude Génot, naturaliste autodidacte - devenu ingénieur écologue et docteur en écologie -, chargé de la protection de la nature au Syndicat de Coopération pour le Parc naturel régional des Vosges du Nord,  passionné... et passionnant, qui nous emmène sur les traces d'un des trois super prédateurs de France dont la survie et la préservation sont compliquées, notamment dans les Vosges.

Mais Jean-Claude Génot, c'est aussi un homme de terrain et un écrivain (membre des JNE  : voir son interview dans le bulletin JNE de décembre : ICI, auteur de plusieurs livres), et un

  

 

fan de Robert Hainard, de François Terrasson,(dont il a écrit une biographie) et d'Aldo Leopold (l'auteur de "Almanach d'un comté des sables"), ses références.

Depuis des années, il bourlingue sur les territoires où la vie sauvage s'exprime encore et milite pour qu'elle se (re)développe, en Slovénie, en Slovaquie, en Biélorussie... et en France à travers les initiatives portées par l'ASPAS, Forêts Sauvages et l'association Francis Hallé pour une forêt primaire.

C'est dire si nous avions envie d'en savoir davantage! Rencontre

Votre Parcours en quelques étapes essentielles ? Je suis né en 1956. J’ai grandi à la campagne dans une famille de cinq enfants dans laquelle j’ai été le « petit » dernier, quinze années me séparant de ma sœur aînée. J’ai eu la chance d’aller en forêt (des forêts riches en sous-bois sur terrain calcaire) et dans les friches de terrains militaires faire de longues balades avec mon beau-frère. J’ai fait mes études à Metz jusqu’aux classes préparatoires, puis une école d’ingénieurs en chimie à Strasbourg tout en ayant développé des connaissances naturalistes en autodidacte (champignons, flore, oiseaux). Alors que je me destinais à faire de la recherche en chimie organique, j’ai décidé de revenir à mon désir profond : me rapprocher de la nature. L’occasion m’a été donnée de devenir chargé de la protection de la nature au Parc naturel régional des Vosges du Nord en 1982. Tout en perfectionnant mes connaissances naturalistes, j’ai mené des travaux de recherche sur la chouette chevêche qui m’ont conduit à obtenir un doctorat en écologie à l’université de Bourgogne en 1992.

Quels sont vos maîtres à penser, vos références culturelles ? Les penseurs de la nature qui m’ont le plus influencé sont :

Robert Hainard, artiste, naturaliste et philosophe,  j’ai eu la chance de rencontrer et j’ai lu tous ses livres dont certains sont remplis de passages soulignés comme « Expansion et nature ». J’aime également ses gravures qui traduisent parfaitement la silhouette de l’animal en mouvement à l’image des peintures rupestres des hommes du Paléolithique.

François Terrasson avec qui j’ai beaucoup échangé et dont le livre « La peur de la nature » fut un puissant révélateur pour moi sur le type de nature que j’aimais vraiment : une nature libre, spontanée et sauvage.

Pourquoi l’animal sauvage, ou la nature sauvage ? La nature n’existe vraiment que sauvage et indomptée. Elle est alors pleine de puissance, de mouvement et de beauté. La nature sauvage est le lieu de vie des êtres vivants non humains. Nous avons besoin d’elle pour fixer des limites à notre expansion. Comme l’a dit le philosophe Hans Jonas, elle seule reflète notre humanité.

La réserve naturelle de la Nera en Roumanie, une hêtraie multi séculaire/JCGénot

Si vous en étiez un, lequel ? L’ours parce qu’il est à la fois tranquille et puissant. C’est un symbole du sauvage impressionnant et fascinant qui vit dans des forêts riches et diversifiées de certaines montagnes.

Ours en Slovénie/JCGénot

Vous êtes impliqué dans la préservation du lynx en France : un aperçu de la problématique, des contraintes, des espoirs ? Le lynx comme beaucoup d’autres espèces sauvages est malade de l’homme, de notre colonisation totale de la nature, de nos routes et de notre intolérance. La seule population française viable est dans le massif jurassien. Après une réintroduction menée dans le massif Vosgien dans les années 80 à 90, il ne reste plus aujourd’hui que quelques individus isolés. Un programme de réintroduction a lieu dans la forêt du Palatinat, voisine des Vosges du Nord. L’espoir est grand de voir une recolonisation du massif Vosgien à partir de ces individus venus d’Allemagne. Mais les éleveurs et surtout les chasseurs sont globalement hostiles à la venue de ce grand prédateur. A l’heure de la sixième crise d’extinction de la vie sauvage, les réflexes anti-nature sont toujours aussi puissants et il est bien difficile de faire évoluer les mentalités.

La ou les deux plus belles rencontres / émotions de rencontre de vie/faune sauvage ? A la lisière d’une tourbière en Biélorussie,  j’ai eu la grande chance d’observer juste au-dessus de moi, une gelinotte des bois, perchée sur un bouleau. Cet oiseau d’ordinaire si discret dont on ne voit la plupart du temps que la queue barrée de noir lorsqu’il s’envole devant vous, était immobile à quelques mètres de moi. Je suis resté aussi immobile que l’oiseau pour ne pas rompre le charme de cette rencontre. J’ai pu apprécier les couleurs subtiles de son plumage et la légèreté de cette petite poule des bois dont la vie secrète au fond des bois me passionne.

Toujours en Biélorussie, ma première rencontre avec des bisons en hiver fut un de ces moments magiques où plus rien ne compte que l’immense bonheur d’observer ces animaux merveilleux, préhistoriques, en groupe compact déplaçant la neige avec leurs sabots dans une plaine dégagée en lisière de forêt.

Bisons à Bielowieza (Biélorussie) /JCGénot

Votre lieu de nature préféré ?  Je vais souvent dans la réserve naturelle de Berezinsky en Biélorussie pour des raisons professionnelles mais aussi personnelles. Les immenses tourbières, les forêts en libre évolution et la rivière Berezina sont autant de lieux sauvages qui me procurent de grandes émotions, un sentiment de liberté et des rencontres inoubliables avec des humains et des non humains.

Tourbière de la réserve naturelle de Berezinsky (Biélorussie)/JCGénot

La Berezina dans la réserve naturelle de Berezinsky/JCGénot

Je suis allé également à plusieurs reprises en Slovénie dans les magnifiques forêts de ce pays pour rencontrer les ours et j’y ai vécu des grands moments de bonheur en observant le comportement de ces animaux captivants, sans oublier les chouettes de montagne.  

Avec le zoologiste Vadim Sidorovich en BIélorussie photo A. Schnitzler

Le lieu mythique où vous rêvez d’aller ? J’aimerais beaucoup observer les grizzlys pêcher les saumons dans la nature démesurée des parcs nationaux de l’Alaska ainsi que le puma mais aussi le glouton, prédateur européen, qui peuple la taïga scandinave.

L’œuvre (une des vôtres ou celle d’un autre, un livre)qui vous semble illustrer/résumer/symboliser le mieux votre parcours ?  Parmi mes ouvrages, « Instinct nature » est un recueil de souvenirs naturalistes et de réflexion sur la nature de certains pays de l’Est (Biélorussie, Roumanie, Slovaquie) qui illustre le sentiment de nature que m’inspirent les forêts sauvages. Un chapitre « Le village abandonné » résume mon goût pour la nature spontanée et mon rejet de la gestion qui a transformé la protection en culture, élevage et jardinage.

Vos techniques de rencontre avec l’animal sauvage, approche ou affût? Je pratique l’approche quand je me déplace avec mes amis biélorusses et que nous arpentons les forêts et les marais. C’est parfois l’occasion de surprendre un grand tétras ou un élan, un plaisir court mais intense car l’animal disparaît souvent très vite. Je peux également pratiquer l’affût comme pour l’ours, ce qui demande de la patience mais une forte émotion en récompense quand la bête mythique apparaît.

Un conseil au débutant dans votre activité, que lui diriez-vous ?  Ne pas brusquer la nature, faire passer la tranquillité des espèces sauvages avant toute chose. Faire preuve d’humilité et de prudence car la vie sauvage peut constituer un danger pour l’homme.

Un animal disparu revient, lequel ? Le loup de Tasmanie parce qu’il est un animal fantastique moitié tigre et moitié loup et qu’il a habité dans cette île mystérieuse et sauvage au large de l’Australie.

Une initiative prise ou à prendre en faveur de la faune sauvage? Renforcer les populations d’ours dans les Pyrénées, de lynx dans les Vosges et les Alpes et stopper les tirs de loup tout en aidant de façon plus efficace les éleveurs, notamment en mettant en place des ambassadeurs du loup, de l’ours et du lynx.

Une association qui vous tient à cœur ? Forêts Sauvages dont l’objet est de défendre la naturalité des écosystèmes et d’acheter des forêts pour les laisser évoluer librement. Forêts Sauvages publie également une lettre intitulée Naturalité (cf www.foretssauvages.fr.)

Et puis aussi l'"Association Francis Hallé pour une forêt primaire", dont l'ambition est de trouver un vaste territoire forestier de 60 à 80 000 hectares en France ou transfrontalier et de le laisser évoluer librement, sans intervention humaine : il y en a pour 8 siècles minimum!

Une urgence pour la faune sauvage, pour la vie sauvage? Dans l'esprit de ce que je viens de dire, créer de grandes réserves de vie sauvage (appellation donnée par l’ASPAS aux réserves naturelles mises en place par cette association) de plusieurs dizaines de milliers d’hectares sur des terres domaniales et créer un Conservatoire continental qui peut acheter des terres pour augmenter la surface de ces réserves.

(NDLR : Lire l'interview " Face au réchauffement climatique il faut des forêts plus naturelles" de Jean-Claude Génot par les JNE (octobre 2019)

 

Pour conclure, vous disparaissez ce soir, qu’aimeriez-vous dire, laisser comme dernier message ? J’emprunterai la citation de Henry David Thoreau, penseur et naturaliste américain du XIXème siècle : "la sauvegarde du monde réside dans le sauvage."

 

 

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