Personnalités à découvrir

LEFAUX Brice

Vétérinaire, éthologue, Directeur de Zoo, Président de société savante, Brice Lefaux est un homme multi-casquettes, particulièrement impliqué dans la préservation des primates.

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Tour d'abord, quelques questions personnelles 

- Quel cheminement personnel et parcours jusqu'à l'animal sauvage ?

Il y a eu plusieurs moteurs et ce très tôt pour autant que je m’en souvienne :

  • Un lien indéfectible avec, Lili, la chienne qui a grandi avec moi.
  • Une envie de comprendre ce que les animaux disaient ou faisaient et les raisons pour lesquelles ils le disaient ou faisaient, sans jamais imposer les sentiments et morales humaines aux animauxJe ne supportais pas et ne supporte toujours pas l’anthropomorphisme ou les animaux qu’on déguise ….
  • Une certaine envie de la « liberté » que je croyais totale des animaux que je voyais autour de moi ou à la télé. Or j’ai appris que tout cela est bien relatif….

J’ai fait vétérinaire avec une thèse de fin d’étude en Ethologie des primates : cela m’a donné des clés pour comprendre l’individu : du gène aux symptômes. Puis un DEA d’écologie générale à Paris VI où j’ai compris d’une part les relations entre individus, les relations entre espèces et les écosystèmes, et d’autre part la biologie des populations, la biologie de la conservation, etc.

- Une œuvre marquante ou un moment marquant ?

« L’origine des espèces » de Charles Darwin et le premier primate vu en forêt, un muriqui, au Brésil

- Un maître à penser ou une personnalité marquante ?

Theodore Monod m’a profondément marqué par la sagesse de ces propos et l’immensité de ses connaissances

- Si j'étais un animal sauvage ? 

Un singe araignée ou un vautour

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- Une belle émotion ou rencontre avec la faune ? 

Tous les jours avec les animaux dont j’ai à m’occuper, où ceux que je rencontre lors de mes sorties nature. Je précise que je peux rester baba devant une fourmi

- Un animal disparu qui reviendrait ?

L’Aepyornis ou le rhinocéros laineux, signe que l’homme vivrait dans l’équilibre écosystémique de Gaïa

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- Un animal fantastique qui existerait ?

Un singe ailé

- Spot animalier préféré ?

La forêt tropicale et bord de mer d’Iroise : diversité biologique et changement

- Un lieu mythique ?  

La forêt tropicale d’altitude au Rwanda où vit le gorille de montagne

- Une ou plusieurs ONG à mettre en avant ?

AEECL, Association de Conservation des Lémuriens

RASAPCI, Recherche et Actions pour la Sauvegarde des Primates en Côte d’Ivoire

ANOULAK, Préservation de la biodiversité de la réserve naturelle de Nakai-Nam Theun au Laos

ASGN, Association pour la Sauvegarde des Girafes du Niger

- Vous êtes Directeur du Parc zoologique et botanique de Mulhouse depuis 2010 après plusieurs années comme directeur scientifique au Bioparc zoo de Doué-la-Fontaine, Vice-Président de West African primate conservation action (WAPCA), Président de la société francophone de primatologie :

Comment arrivez-vous à concilier toutes ces activités ?

La vie est courte et toutes les expériences méritent d’être vécues : c’est ce qui me motive profondément. L’avantage, c’est que toutes ces activités sont toutes en lien, notamment, avec la conservation ex situ et in situ des espèces menacées. Les échanges, le partage, la coopération sont la base du travail commun de ces engagements. Cela peut aussi parfois être source de frustration, celle de ne pas pouvoir aller suffisamment dans le détail, mais j’ai l’impression de me donner à 100% pour rendre service aux animaux menacés !

 

Puis maintenant quelques questions au Directeur du Parc Zoologique et Botanique de Mulhouse

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- Le parc zoologique et botanique de Mulhouse est le Coordinateur du Programme d'élevage européen (EEP) de l'espèce "cercopithèque de Roloway" Peut-on considérer que l'espèce serait en grand danger sans le travail effectué par le zoo ?

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Elle est au bord de l’extinction et elle serait déjà éteinte sans une prise en compte de l’urgence il y a 15 ans par les zoos dont celui de Mulhouse, premiers acteurs de conservation in et ex situ de cette espèce, des primatologues sur le terrain et enfin des populations locales. Il est de même pour le cerf du prince Alfred, le lémur aux yeux turquoise et de nombreuses espèces d’oiseaux en Océanie

- Est-ce l'avenir des zoos : se spécialiser sur une ou plusieurs espèces, financer des recherches et/ou des ONG et tenter d'assurer leur avenir ?

A mon avis, il n'y a pas de nécessité de se « spécialiser ». Le premier rôle des parcs modernes est de reconnecter leurs visiteurs à la Nature à travers des espaces et des espèces.

Mais le lien avec le milieu naturel reste obligatoire. Comme nous le pensons au parc zoologique et botanique de Mulhouse, si l’objectif est vraiment de sauver des espèces animales et végétales en danger, alors cela ne peut se faire que dans leur milieu naturel, en faisant de la conservation in situ (protection, développement durable, éducation).

La conservation ex situ, en parc zoologique, est un complément indispensable pour mieux connaitre les espèces et assurer un futur possible le cas échéant. Mais les efforts sont à concentrer sur les habitats à protéger et les populations à soutenir pour préserver la biodiversité.

Les parcs zoologiques occupent une place importante dans ce domaine, souvent à travers des programmes à petite échelle, proches du terrain. Le Parc zoologique & botanique de Mulhouse contribue par exemple à des actions de recherche, autour d’espèces dont peu de grandes ONG (WWF, WCS, CI, FFI, Bird Life, etc.) ne s’occupent, compte tenu des enjeux et de l’échelle justement. Les parcs zoologiques deviennent alors des acteurs complémentaires et indispensables aux grandes ONG. Tous les zoos doivent participer.

- Où placer le curseur : des enclos vastes, nécessaires au bien-être des pensionnaires, mais avec le risque que les visiteurs soient mécontents de ne pas voir les animaux, ou des espaces plus petits... En caricaturant, privilégier la survie de l'espèce ou la survie financière du zoo ?

Au quotidien, le bien-être animal des individus doit primer, et les enclos nouveaux sont dessinés en ce sens. Si l’espace n’est pas disponible, des aménagements, qui constituent des sources d’enrichissement diversifié et spécialisé, sont mis en place pour offrir un choix. L’objectif ultime qu’est la conservation en parc zoologique impose également des contraintes en termes d’infrastructures qui doivent permettre la gestion des populations.

Côté visiteurs, les parcs zoologiques modernes ont un double rôle : un rôle de loisir avec comme objectif d’accueillir et de satisfaire le plus grand nombre possible de visiteurs, et un rôle de conservation avec, comme objectif premier, l’éducation environnementale. Lier ces deux objectifs de loisir et de conservation est primordial. Cela passe par des espaces qui permettent de comprendre la relation des espèces vivant ensemble, de voir le comportement naturel des animaux, de voir des espaces naturels.

C’est l’expérience et l’émotion qui engageront le visiteur vers la compréhension de l’absolue nécessité de la protection de la nature. Les zoos modernes le permettent, c’est une grande chance. Le parc zoologique & botanique de Mulhouse doit servir de pont entre les « Homo urbanicus »  que nous sommes devenus et la nature.

- Quelle autre espèce auriez-vous envie d'étudier et protéger au sein du parc ?

Nous participons à 82 programmes de conservation en parcs zoologiques. Nous gérons nous-mêmes neuf de ces programmes au niveau international, soit 1200 animaux et 80 institutions, et nous sommes investis techniquement, scientifiquement et/ou financièrement dans onze programmes dans le milieu naturel, et ce, depuis vingt-cinq ans pour certains.

Lémuriens aux yeux turquoise, gibbons à favoris roux, ours polaires, panthères et tigres de l’Amour, garrulaxes du père courtois, cerf du prince Alfred, ibis huppé de Madagascar, propithèque couronnés, tamarins pinchés, zèbre de Grévy, sont quelques exemples.

A lire ici un article sur le lémurien aux yeux turquoise

- Quel est (à part le vôtre :-) le parc zoologique le plus abouti selon vous, le modèle vers lequel vous auriez envie de tendre ?

Nous travaillons en continu à notre amélioration. Nous prenons ce qui il y a de bons partout où nous le voyons. La collaboration scientifique, zootechnique et vétérinaire entre parcs est bonne au niveau national et international, à travers l’Association européenne des zoos et aquarium (EAZA). Nous y sommes très impliqués, nous donnons et recevons beaucoup. Globalement, le niveau des parcs s’améliore très nettement depuis quinze ans.

- Sentez-vous une évolution dans la mentalité des visiteurs : l'observation ébahie s'accompagne-t-elle aujourd'hui de sensibilisation et prise de conscience ?

Le changement de mentalité des visiteurs ou de la société en général implique de travailler pour justement s’adapter à ces changements. Aujourd’hui, nous écrivons moins de textes, les visiteurs étant moins lecteurs. Mais en contrepartie, nous développons des stratégies pour attirer leur attention : infographies, animations, week-ends dédiés, visites-privilèges, etc. Ces stratégies fonctionnent : de plus en plus de monde s’intéresse, dans le parc, aux solutions à apporter au changement climatique, à l’arrêt de la déforestation et à ce que chacun peut faire à son niveau.

A travers l’expérience que nous offrons au cours des visites et les émotions vécues par les visiteurs, nous espérons poser des questions, même si nous n’avons pas toutes les réponses : la conservation de la biodiversité est l’affaire de tous et donc de nos visiteurs. C’est en tout cas le message ce que nous tentons de faire passer. Les espèces porte-drapeau y contribuent en premier lieu : ours polaires, lémuriens aux yeux turquoise, lion d’Asie, zèbre de Grévy pour notre parc, éléphants, girafes pour d’autres. Les panneaux et repas des animaux, ou les évènementiels, sont les outils privilégiés pour passer ces messages. Tous les visiteurs ne sont pas sensibilisés au même niveau bien sûr. Le parc zoologique est à l’image de la société dans laquelle il se trouve.

- Des nouvelles des 2 panthères de l'Amour "transférées" au zoo de San Diego ?


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So far, so good : Pour l’instant elles viennent de terminer leur quarantaine et sont bien installée, elles vont d’ici peu être séparées pour être présentées à un partenaire en vue de reproduction…

A lire ici l'article sur le site de l'Alsace.fr

 

Et les dernières questions au Président de la Société Francophone de Primatologie

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- En 2 mots la mission de la structure ?

C’est une société savante qui a comme mission de promouvoir les recherches en Primatologie, le partage et l’amélioration des connaissances des primates, leur protection et leur conservation. Son activité principale est la tenue d’un colloque annuel

- Réservée aux scientifiques et ONG, ou particuliers bienvenus ?

Toutes personnes intéressées et désireuses de partager et d’échanger. Nombres de nos membres ne sont pas scientifiques.

- Comment se passent les missions sur le terrain ? Conditions climatiques, insécurité, braconnage, manque de moyens...

Je pense que vous faites là référence au travail de terrain des primatologues en général. En France, plusieurs équipes de chercheurs travaillent sur le terrain en écologie, génétique des population, organisation sociale, paléontologie, conservation. Sur le terrain, les conditions sont certes difficiles mais les bénéfices personnels ou pour les thématiques étudiées les surpassent. Et puis, c’est aussi cela qui est attendu : de vivre en contact direct avec les éléments naturels.

- La grande tendance dans la préservation des espèces consiste à impliquer et accompagner les communautés locales. Confirmez-vous la pertinence, ou pensez-vous qu'il faille au contraire "clôturer" les réserves ? Dans le même esprit, doit-on laisser les gorilles au calme ou les 1000 dollars payés par chaque touriste sont indispensables à leur protection ?

La conservation moderne est basée sur la recherche d’équilibre. Les populations humaines locales, qu’elles soient des Pyrénées ou de la forêt équatoriale de RDC, sont les premières actrices de cet équilibre. Il n’y a pas de conservation sans impliquer les relations de l’homme avec son environnement, de l’exploitation de l’environnement par l’homme, jusqu’à sa manière de le caractériser. Le développement durable est ainsi la base de la conservation (trois piliers : environnement, sociologie, économie).

L’éducation, réalisée par des personnes partageant la culture, est primordiale car elle offre une ouverture de réflexion, permettant de comprendre ou d’intégrer ces notions d’équilibre. « Mieux connaître pour mieux protéger » et « On protège ce que l’on aime » sont de adages qui servent souvent.

Les programmes communautaires sont particulièrement fructueux : une communauté décide d’autogérer sa forêt en s’appliquant des restrictions pour disposer de ressources durables. Des accompagnements scientifiques et un soutien financier peuvent se faire par les parcs zoologiques mais le gros du travail est fait par les communautés, des dialogues internes à la résolution de conflits.

- Des bonnes nouvelles du terrain ?

Justement celle de la forêt des marais de Tanoé en Côte d’Ivoire, un programme de conservation communautaire qui voit enfin de jour après 10 ans de travail de fond et qui permettra la persistance de la plus grande population de singe Roloway.

De très mauvaises, notamment en Asie ou à Madagascar où de 65% nous sommes passés à 92% des espèces en danger d’extinction sous la pression anthropique du pays le plus pauvre du monde (en terme de PIB).

- Des urgences absolues  ?

Madagascar, Madagascar et l'Indonésie /Vietnam sont les priorités absolues

- Un besoin, un message ?

La seule et unique chose que je puisse demander est de passer le mot ! Changeons nos modes de consommation, partageons les richesses déjà présentes de manière durable : consommons moins d’huile palme et plus de local. Cela a autant d’impact sur les forêts tropicales et en plus, coûte moins cher ;-)

Pour aller plus loin, un article sur le site du Monde dans lequel Brice intervient : Faut-il encore des zoos ?

 

 

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