Personnalités à découvrir

PACCALET Yves

Nommé Vice-Président de FERUS en mai 2015 (voir ici l'article de Plus l'Obs), Yves Paccalet est né en 1945 dans un hameau savoyard à 1250 mètres d'altitude. Il passe son enfance à courir la montagne et se prend de passion pour les fleurs sauvages, les insectes, les oiseaux. Plus tard, il étudie la philosophie à l'Ecole normale supérieure. Il devient ensuite directeur littéraire, écrivain, journaliste, naturaliste et scénariste.

Passionné par la nature et l'environnement, militant écologiste de la première heure, il rencontre Jacques-Yves Cousteau en 1972 et entame alors une étroite collaboration avec lui. C'est en découvrant le monde à bord de la Calypso, sur lequel il va passer près de quinze ans, qu'il puise son inspiration et signe avec le Commandant une vingtaine de livres ainsi que de nombreux textes de ses documentaires.

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Il publie ensuite de nombreux ouvrages de nature (La Terre et la Vie, La Mer et la Vie, Secrets de corail, Baleines…), de littérature et de philosophie (L’Odeur du soleil dans l’herbe, Humeurs sauvages).

Il collabore à Terre sauvage, à Géo Magazine, au Nouvel Observateur, au Figaro Magazine, etc., écrit des scénarios de B.D. et de dessins animés, se consacre au roman (L’Azur ! L’Azur !) et à d’autres livres illustrés ou essais littéraires ou philosophiques (Le Bonheur en marchant, Mes plus belles balades en France, Kamtchatka, la terre des origines, La France des légendes, La Vie secrète des dauphins, Soigner l’homme, soigner la Terre, L’Ecole de la nature, Voyage au pays des montagnes, Mystères et légendes de la mer, Voyage au pays des fleurs, Forêts de légendes, Extrême Sud, L’Humanité disparaîtra, bon débarras !, Voyage au pays des mers, Sortie de secours, Atlantide, rêve et cauchemar, Le Grand roman de la vie…).

Depuis 1974, il a publié au total environ soixante-dix livres, a collaboré à sept encyclopédies et à une dizaine de films. Il a participé, en tant que « personnage » ou auteur, à des documentaires pour la télévision, au Kamtchatka avec Nicolas Hulot (Usuhaïa Nature, TF1), au Yunnan et au Tibet en quête des orchidées sauvages (A la recherche de l'orchidée céleste, Canal +) et en France (Sentiers de Bourgogne, Voyage ; Le sens de la marche, Bretagne, Pays Basque, Corse, France 5).

Il prépare de nouvelles émissions de radio et des séries documentaires pour la télévision.

 Nous l'avons rencontré en avril 2015 pour en savoir davantage sur cet homme curieux et engagé.

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Pouvez-vous nous donner quelques étapes clés de votre parcours de vie ? Je suis né à la fin de 1945, j’aurai donc 70 ans cette année. Le temps n’a pas d’épaisseur… Enfance paysanne dans la montagne de Savoie, au hameau de Tincave (commune de Bozel), où je vis à nouveau et où je cultive (physiquement) mon jardin. Famille nombreuse (je suis l’aîné de sept enfants), père ouvrier dans la mine de charbon du village, pour un salaire de Germinal. Je vis une enfance pauvre et merveilleuse en liberté dans la Vanoise.

Une filière républicaine, hélas à présent bouchée, me permet de mener gratuitement mes études, jusqu’à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, que j’intègre en philosophie. Acteur passionné de Mai 68… En 1972, déjà écologiste, je rencontre le commandant Cousteau, j’embarque sur la Calypso, je deviens l’écrivain de l’équipe pour 20 ans.

Quels sont vos maîtres à penser, vos références culturelles ? Pendant mes études, j’ai une double passion pour la littérature et la science, notamment la biologie. D’où mon choix final pour la philosophie ! Du coté de la littérature, mes faveurs vont au XVIIIe siècle, un moment de grâce pour la langue française, avec l’ironie de Voltaire, la curiosité de Diderot ou la perfection du style de Rousseau. J’essaie de perpétuer l’humour noir et la satire, non seulement de Voltaire, mais de Swift, de Jules Renard, d’Orwell, de Huxley…        

ALBIN MICHEL
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En poésie, je m’abandonne au charme chinois de Li Po ou japonais de Bashô ou d’Issa. En philosophie, je me place résolument sous la tutelle de Diogène le Cynique et de Lucrèce – l’auteur du De Natura rerum. Poésie, science et philosophie mêlées… 

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Pourquoi l’animal sauvage ?Enfant, je suis en contact avec les animaux – domestiques, bien sûr, dans un monde paysan ; mais aussi sauvages. J’attrape les insectes, les lézards, les oiseaux, etc., et je suis persuadé qu’ils me connaissent. À l’âge de 6 ans, j’apporte une vipère aspic vivante à ma maîtresse d’école… En apprenant la zoologie et la botanique, cette passion ne fait que se renforcer, au travers de romans d’aventures (Jules Verne), de récits de voyageurs, de textes de sciences naturelles (Buffon, Darwin…), etc. Pour moi, l’animal sauvage est aujourd’hui, non seulement une nécessité pour les écosystèmes, mais un pan essentiel de notre culture, de nos cosmologies, de nos récits, de nos romans, de nos films, de nos BD, de nos légendes. En éliminant ces espèces superbes, qui peuvent parfois nous poser des problèmes, c’est nous-mêmes que nous blessons.

Si vous en étiez l’un d’eux, lequel ? Et pourquoi ? Bien entendu, comme nombre d’enfants et d’adultes de mon âge, j’aimerais me réincarner en dauphin. J’ai croisé cet animal (dont il existe maintes espèces) dans son milieu. C’est une perfection aquatique autant qu’un concentré de conscience, d’intelligence et de sociabilité.

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Mais il ne me déplairait pas d’être l’un de ceux qu’on qualifie de « mal-aimés » : requin, pieuvre, méduse, vipère, rat, chauve-souris, guêpe, moustique, etc. Ne serait-ce que pour venger, de temps à autre, la gent animale des cruautés que lui infligent les humains !

Quelles sont la ou les plus belles de vos rencontres de vie sauvage ? Au Kamtchatka, par exemple, parmi les volcans de l’Extrême-Orient russe… Nous vivons dans une cabane, il pleut depuis une semaine. Un matin, le soleil brille. Je sors, je m’allonge sur un tronc d’arbre couché, je m’endors… Un bruit me réveille : un jeune ours brun (il y a 20 000 de ces plantigrades au Kamtchatka) s’est allongé à un mètre de moi. Il se redresse en m’entendant bouger. Nous nous regardons, nous détalons chacun de notre côté sur quelques mètres, nous nous arrêtons, nous nous regardons à nouveau. Il me semble qu’une forme de compréhension mutuelle s’établit durant de longues minutes, avant que l’animal ne disparaisse paisiblement dans la forêt. Illusion de complicité ? Je crois que non.

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Quel est votre lieu de nature préféré ? Le plus bel endroit du monde est, à les yeux, la péninsule Antarctique : l’océan, la banquise, les glaciers, les icebergs, un milieu inhumain, mais sublime, avec une symphonie de blancs, de bleus, de gris… Avec aussi les baleines et les orques, les phoques de Weddell et les phoques-léopards, les manchots, les labbes, les pétrels, les albatros : un étonnement et un émerveillement perpétuels…

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Dans un autre genre, l’un de mes lieux de pèlerinage « nature » favoris reste l’anse de l’Ostriconi (ou de Peraiola), en Corse, à l’ouest du désert des Agriates : l’embouchure d’un petit fleuve, le sable blanc, les dunes arrondies, le maquis vert et les roches rouges : un décor digne de l’Odyssée d’Homère, quand la princesse Nausicaa découvre Ulysse évanoui sur la plage…

Et LE lieu mythique où vous rêvez d’aller, sur terre, ailleurs ? Depuis qu’on cherche la vie ailleurs que sur la Terre, désormais près d’autres étoiles que notre Soleil, je rêve de voyager vers l’un de ces mondes fantastiques… Et d’y découvrir des formes inouïes d’existence !

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Dans le système solaire, je suis intrigué par ce que disent les scientifiques : la vie pourrait exister, non pas tant sur la planète Mars (où est elle peut-être apparue jadis, avant d’être éliminée), que sur l’une des « lunes » de Jupiter ou de Saturne. Par exemple, sur Europa, qui tourne autour de Saturne, et où l’on trouve un océan, des geysers, des glaces, une atmosphère, etc... Bref, nombre de conditions propices à la fabrication des organismes… Embarquer pour Europa? Je prends mon billet. Mais je crains de devoir attendre le départ encore un petit siècle !

Une œuvre (vôtre ou d’un autre, littéraire ou artistique), qui pourrait illustrer le mieux votre parcours ? Je suis en train d’écrire mes Mémoires, et chaque jour ce livre devient plus important, du moins en nombre de pages ! Le meilleur résumé de ma vie (comme de celle de bien d’autres Homo sapiens) gît probablement dans le fameux tableau de Gauguin D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Ou encore dans « Le Chevalier, la mort et le diable », de Dürer…

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Sûrement aussi dans le Journal de Jules Renard, avec qui je me sens d’incroyables complicités et correspondances, tant pour la poésie et l’ironie du style, que pour l’idée même de mon insignifiance dans l’univers…

Vous sortez beaucoup sur le terrain. Quel matériel utilisez-vous pour saisir la vie sauvage ? En balade, j’emporte un calepin et je note (au stylo bille, sans quoi, sous la pluie, tout bave et s’efface). J’écris et je dessine. J’ai rempli des dizaines et des dizaines de carnets, dont je me sers pour mes articles ou mes livres, les uns consacrés à mes balades sur les sentiers de France, les autres à des expéditions plus lointaines, en Amazonie ou au Sahara, sur la Grande Barrière de corail ou en Antarctique, en Arctique ou au Tibet…

J’ai toujours, aussi, appareil de photo en bandoulière. Fidèle à Nikon depuis 1975. Naguère argentique, désormais numérique, bien obligé (hélas !). Avec un objectif macro et un petit téléobjectif 200 mm. Mon appareil de photo constitue mon deuxième carnet de notes.

Et quelles techniques de rencontre avec l’animal sauvage? Jamais je ne me cache. Ramper ou marcher à quatre pattes, en prétendant ne pas être vu, entendu ou flairé, constitue la pire façon d’approcher l’animal qu’on veut observer, photographier ou dessiner. On adopte alors le comportement louche du prédateur en chasse… Mieux vaut faire preuve de patience, montrer qu’on est là sans agressivité et qu’on est juste curieux de l’autre. Avec un peu de chance (ça m’est arrivé assez souvent), cet « autre » devient au moins aussi curieux de moi que moi de lui, et s’approche. Cette technique fonctionne évidemment mieux dans les parcs nationaux, où les hommes ne constituent plus depuis longtemps un danger pour la vie sauvage, que dans les territoires où la chasse est ouverte !

Vous donneriez quel conseil à un jeune débutant dans votre activité ? Pas de conseil particulier : chacun doit construire sa relation originale avec la vie sauvage. C’est autant une affaire de cœur que de raison. Il y faut surtout du bon sens. Une bonne connaissance scientifique des espèces ne nuit pas non plus, notamment pour éviter de commettre des impairs, par exemple pour ne pas déranger les animaux à des moments cruciaux de leur existence (alimentation, parade nuptiale, élevage des petits…). Le mot d’ordre est de toujours agir en respectant le milieu, les distances, l’humeur de l’autre, la complexité et la beauté de l’écosystème…

Revenons à l’animal. Un d’entre eux, disparu, lequel ? Et un imaginaire ? Je suis comme tous les enfants : j’aimerais voir voler les grands reptiles de l’ère Secondaire. Le ptérodactyle ou le ptéranodon. Ou le gigantesque Quetzalcoatlus, haut comme une girafe, avec des ailes de plus de 12 mètres d’envergure… Est-ce que la science permettra de le recréer à partir d’un peu d’ADN préservé depuis plus de 100 millions d’années, selon le scénario de Jurassic Park ? Aujourd’hui, cela semble impossible. Demain, peut-être ! 

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Le plus bel animal imaginaire pourrait être l’Homo delphinarius, l’homme (la femme) dauphin (dauphine). Un air de sirène, mais en beaucoup mieux…

Côté militant, quelle initiative en faveur de la faune sauvage ? Défendre les prédateurs et les grands « gêneurs » près de chez soi. L’ours brun dans les Pyrénées, le loup dans de nombreuses régions de France, les grands requins en Méditerranée comme aux Antilles, à la Réunion et en Polynésie… Ailleurs, l’ours polaire, le tigre, le lion, la panthère, le jaguar, l’éléphant, le crocodile, l’hippopotame, le python, etc. Toutes ces créatures sublimes sont menacées de disparition à brève échéance. Si nous nous battons pour chacune d’elles, partout dans le monde, à notre niveau local comme de façon plus globale, nous les sauverons. Je veux le croire.

Une association particulière vous tient à cœur ? J’ai animé, avec bien d’autres militants, diverses associations de protection de la nature. La Fondation Cousteau, pendant 15 ans, comme responsable. Puis, à des titres variés, le WWF, Greenpeace, Green Cross (comme président pour la France), etc. J’aime et je supporte, depuis longtemps, l’action de la FRAPNA en Rhône-Alpes. Je soutiens autant que je le peux l’ASPAS et FERUS, préoccupées par le fait que l’écologie militante semble avoir oublié le premier dessein des prophètes de l’écologie – des « pères fondateurs » de ce mouvement : la préservation des milieux sauvages et des espèces qui les composent.

Quelle urgence pour la pour la vie sauvage ? Interdire définitivement tout commerce de l’ivoire dans le monde, pour préserver les derniers éléphants, aujourd’hui massacrés par les mêmes kalachnikovs qui servent à exterminer d’autres humains dans des guerres. Les pachydermes, ces géants intelligents et matriarcaux, sont « les racines du ciel », comme disait Romain Gary. Ou les racines de notre avenir.

En conclusion, vous disparaissez ce soir, qu’aimeriez-vous laisser comme dernier message ?

Aimez ceux qui ne vous ressemblent pas ! Cela vaut pour les espèces sauvages comme pour les Homo sapiens…!

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