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Euthanasie des macaques : des zones d’ombre ?

Environ 150 macaques de Java, issus du parc animalier la Pinède des singes de Labenne, dans les Landes, en grande majorité porteurs d’une souche d’herpès neurologique potentiellement mortel pour l’homme, ont été euthanasiés en mai sur ordre de la préfecture des Landes. 

Florence Ollivet Courtois, Docteur Vétérinaire spécialisée dans la faune sauvage et exotique, nous explique pourquoi elle n'est pas convaincue par cette raison officielle

Le macaque de Java est une espèce en annexe II/B de la convention de Washington. Certes son statut UICN n'est pas préoccupant mais la menace pour cette espèce pourrait bien venir pour une fois non pas de
la déforestation, du braconnage ou de la pollution mais d'un principe : le principe de précaution.

Le Macaque crabier est une espèce présente en parc zoologique, initialement dans le cadre des ménageries d'autrefois qui présentaient au public des inventaires d'espèces. Ce Macaque présente une particularité notable : la longueur de sa queue très exceptionnelle chez les Macaques. Puis les zoos ont accueilli cette espèce parce qu'il fallait offrir aux animaux indemnes de laboratoire , une issue plus favorable que la mort à leur sortie de protocole. Finalement, cette petite espèce de Macaque a rencontré  un grand succès dans les parcs animaliers car elle s'adapte naturellement très facilement à l'environnement humain et est une source formidable et incessante d'émerveillement , de rire et d'émotions pour ses observateurs. Une parfaite passerelle pour expliquer aux visiteurs que beaucoup de problèmes de conservation ont pour origine la cohabitation entre les intérêts humains et la faune sauvage. Le Macaque de Java est donc une  illustration de l'intérêt que peut susciter l'observation du monde animal et naturellement l'envie de le préserver.

Pourtant la semaine dernière, la Préfecture des Landes a ordonné au propriétaire des animaux du zoo
de Labenne, d' euthanasier ses Macaques de Java  au motif qu'ils sont porteurs d'un virus mortel : l'herpès B.

On s'étonne de cette soudaine découverte que les scientifiques ont rapporté en fait depuis au minimum le début des années 90 et que même Wikipedia mentionne dans sa fiche de l'espèce créée en 2005 !
Cette décision d'euthanasie fait suite à un rapport de l'ANSES (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) qui précise que la probabilité d'excrétion du virus dans le groupe de Macaques est de 8/9 à 9/9. Inutile  de faire de longues études pour le comprendre : les animaux naissent négatifs et se contaminent avec l'âge pour devenir dans la nature comme en captivité, à 80% positifs ( et parfois plus).

Donc forcément le virus circule. Mais pour autant peut il contaminer l'homme facilement?

Le virus de l'herpès B a été à l'origine de la maladie et parfois de la mort d'une cinquantaine de personnes dans le monde depuis qu'on le connaît en 1932. C'est une maladie grave et débilitante, voire mortelle mais  seuls des personnels de laboratoire en ont été les victimes. L'ANSES dans son rapport page 6 précise qu'il n'y a jamais eu de contamination humaine dans les zoos dans le monde entier et que le Macaque crabier n'a jamais été impliqué dans des cas documentés (le macaque Rhésus est à l'origine de 100% des cas documentés).

L'absence de cas humains contaminés par des Macaques crabiers est à mettre en parallèle  avec le fait que  ce macaque dans son milieu naturel est à l'origine de très nombreuses morsures de touristes ou
d'habitants  locaux , y compris de personnes fragiles ( enfants, malades...). De même, depuis 30 ans que la population de singes existe dans ce parc des Landes, des  morsures ont été  rapportées, mais jamais aucun cas d'encéphalite à herpes B n'à été diagnostiqué dans les hôpitaux français.
D'ailleurs l'ANSES dans son document sur la hiérarchisation des dangers sanitaires produit en 2016, précise que le premier danger chez les primates de zoo est la tuberculose et que " les 17 autres dangers, en tête desquels se trouve l’herpèsvirus B, avec une note finale de 21,9, obtiennent des notes très proches et peu
discriminantes les unes des autres. Les notes finales restent relativement basses."

L'ANSES precise aussi " l’herpèsvirus B du singe, malgré sa forte prévalence chez les macaques asiatiques (jusqu’à 90% chez les adultes) et la gravité de la maladie humaine (toutefois rare en raison des mesures de protection mises en place dans les zoos), est classé en 2ème position (21,9 sur 70)" Il est vrai que les rapports de l'ANSES sont parsemés de subtilités linguistiques  et que l´ANSES en matière de service après vente n'assume aucune explication de texte. Mais j'invite tous les esprits libres à lire ses rapports plutôt que ce que la presse ou la préfecture en rapporte.

On lit dans le dernier rapport de l'ANSES au sujet des Macaques des Landes   "AUCUN CAS HUMAIN N’A ÉTÉ
RAPPORTÉ EN ZOO OU EN ASIE DU SUD-EST IN NATURA, OÙ LES HOMMES VIVENT POURTANT FRÉQUEMMENT AU CONTACT DE POPULATIONS DE MACAQUES DANS LESQUELLES L’INFECTION À MAHV1 EST ENZOOTIQUE. L’ENSEMBLE DE CES ÉLÉMENTS LAISSERAIENT ENVISAGER UNE FAIBLE
RÉCEPTIVITÉ DE L’HOMME AU MAHV1,COMME LE SUGGÈRENT MEURENS ET AL (2002). "

D'ailleurs tous les scientifiques s'accordent à dire que les virus de l'herpès sont spécifiques d'espèce. Il est possible que le virus porté par le Macaque de Java soit différent de celui du Macaque Rhesus et que cette différence soit suffisante pour diminuer le caractère pathogène pour l'homme.  L'ANSES aurait dû mentionner
dans ce rapport cette  référence scientifique : "Research suggests that B virus from rhesus macaques may be more pathogenic for humans than B virus from other macaque species (_13_ [1]). Where the species of macaque is noted, cases of human B-virus infection have all been associated with direct or indirect exposure specifically to rhesus macaques"B-Virus (_Cercopithecine herpesvirus_ 1)" Infection in Humans and Macaques: Potential for Zoonotic Disease
Jennifer L. Huff and Peter A.Barry

Mais qu'importe puisque l'ANSES , précise en page 11 :"PROBABILITÉ DE SURVENUE DE LA CONSÉQUENCE DE LA CONTAMINATION HUMAINE PAR LE MAHV1, À SAVOIR LA MALADIE, DE 3 (EXTRÊMEMENT FAIBLE) À 6 (PEU ÉLEVÉE) SUR UNE ÉCHELLE DE 0 À 9. "

Donc ces animaux n'ont pas été euthanasiés pour préserver la santé des personnes qui les côtoient car le risque qu'ils contaminent quelqu'un est minime.

Alors pourquoi ces Macaques  sont-ils morts ? Quels motifs inavouables camouflés grossièrement  sous des aspects sanitaires ont précipité l'euthanasie des animaux sans que les associations de protection animales ne soient consultées, sans avis d'euthanasie formulé par l'expert scientifique (ANSES), sans contre expertise?
Malheureusement si le rapport actuel de L'ANSES ne préconise aucune euthanasie, des bases ont été  posées et font craindre le pire  à venir.

Si rien n'est fait pour que les autorités et leurs conseils scientifiques redeviennent raisonnables, combien vont vouloir tester les animaux de zoos et de refuges et organiser l'euthanasie de tous les Macaques asiatiques au nom du principe de précaution ? Quelles répercussions ces euthanasies peuvent elles avoir sur les administrations en Asie qui voudront "protéger" à leur tour touristes et  populations locales ?

Heureusement, la France est  isolée dans le genre alarmiste. Le très sérieux CDC (centers of diseases contrôle and prevention) américain de son côté rappelle que certes la maladie est très grave, mais qu'il faut également prendre en compte sa très grande rareté ce qui fait du risque de contamination humaine un fait plutôt rare. La science semble aider à garder son sang froid quand on traverse l'Atlantique.

L'ANSES explique" IL EST POSSIBLE D’AVOIR DES RÉSULTATS SÉROLOGIQUES NÉGATIFS CHEZ DES ANIMAUX INFECTÉS DE MANIÈRE LATENTE PAR LE MAHV1. CES ANIMAUX SONT EPIDÉMIOLOGIQUEMENT DANGEREUX
MAIS NE SONT PAS DÉPISTÉS PAR LES MÉTHODES DE DIAGNOSTIC. L’EUTHANASIE DES SEULS ANIMAUX POSITIFS D’UNE COLONIE NÉCESSITE DE SUIVRE LES ANIMAUX SÉRONÉGATIFS AYANT ÉTÉ EN CONTACT AVEC LES SÉROPOSITIFS PENDANT PLUSIEURS ANNÉES POUR DÉTECTER DES SÉROCONVERSIONS CHEZ DES INDIVIDUS INFECTÉS DE MANIÈRE LATENTE QUI NE DÉVELOPPENT UNE RÉPONSE SÉROLOGIQUE QUE TARDIVEMENT. CETTE PROCÉDURE NE PERMET DONC PAS D’ASSURER L’ÉLIMINATION DE TOUS LES ANIMAUX PORTEURS LATENTS DU MAHV1, AU MOINS À COURT-MOYEN TERME."

Pourtant la réalité donne tort à L'ANSES. De nombreux établissements ont procédé à la création de populations négatives, y compris en France. L'ANSES pose ici les bases de l'euthanasie systématique des Macaques puisque ses propos sont généraux par rapport à la fiabilité d'un test et peuvent être repris  par d'autres préfectures. C'est une solution très économique car finalement, inutile de tester puisqu'il
peut y avoir des faux négatifs. Donc autant tuer tout le monde, c'est plus simple. Le problème c'est que le virus B est susceptible d'être porté asymptomatiquement par toutes les espèces de Macaques asiatiques, même les espèces les plus menacées. Ce raisonnement est donc potentiellement une menace sérieuse pour la conservation de certaines espèces comme le macaque des Célèbes par exemple.

Mais l'ANSES ne peut pas décemment ignorer qu'un test a un rapport de vraisemblance qui dépend de la sensibilité du test ( fiabilité du test à donner un résultat positif chez un animal porteur, donc l'absence de faux négatifs), de la spécificité du test ( fiabilité du test à donner un résultat négatifs chez un animal indemne donc absence de faux positifs). Le rapport de vraisemblance négatif à une véritable valeur diagnostic si il est proche de 0 Dans notre cas le laboratoire de référence américain précise que la sensibilité est de 98% et la spécificité de 95%, Probabilité qu'un test soit négatif sur un individu indemne est
(1-se)/sp : 0,02. le rapport de vraisemblance indique donc qu'un test négatif pour l'herpès B désigne bien un animal sain.

Donc en aucun cas l'ANSES ne peut justifier qu'il est impossible  de créer facilement et rapidement une population d'animaux négatifs en les testant. L'ANSES ajoute dans son rapport "L’utilisation d’équipements de
protection individuelle (EPI), i.e. le port d’une combinaison à usage unique, d’un masque (a minima de type FFP2 ou FFP3), de lunettes, de gants, de bottes, l’emploi d’un pédiluve, permettront de réduire le risque d’exposition. Les experts soulignent en effet qu’il existe une forte incertitude sur le respect des procédures de biosécurité avec le temps, d’une part du fait qu’il est difficile de maintenir la compliance au port des EPI au quotidien (effet notable sur le confort de travail en période estivale), d’autre part du fait de l’existence de risque d’exposition par inattention, fatigue, négligence, qui se trouve majoré chez des personnes portant des EPI sans en avoir l’habitude ou sans formation."

Ces remarques sont en totale contradiction avec l'expérience : sans aucune mesure de biosécurité localement, avec des mesures très classiques et très faciles à faire perdurer dans le temps ailleurs : jamais aucun zoo n'a connu de contamination humaine dans le monde alors que les zoos hébergent des animaux positifs. Rappelons que l'ANSES elle même stipule dans son rapport sur la hiérarchisation des risques sanitaires de 2016 que les zoos maîtrisent ce risque sanitaire.

A quelles fins l'ANSES pose-t-elle les bases de l'impossibilité de garder durablement une population de Macaques de Java positive alors qu'en réalité ces populations n'ont jamais posé de problème
jusqu'à présent?

Certes il faut garder à l'esprit que ces recommandations ne concernent que l'établissement des Landes dans l'état actuel de détention des animaux, qui n'est pas celui qui était proposé aux animaux avant que l'administration locale ne s'affole et ne prenne des mesures que l'ANSES  juge paradoxalement préjudiciables en matière de sécurité sanitaire. Mais le principe de précaution devenu constitutionnel en France peut devenir la première menace qui pèse sur la conservation des espèces menacées in et ex situ si ce principe se répand  dans les esprits et les institutions sans esprit d'analyse.

J'invite les esprits libres à aiguiser leur esprit critique et à ne pas "Liker" n'importe quel "post" sur les réseaux sociaux sans vérifier et analyser les écrits, et cet article ne fait pas exception!

Florence Ollivet Courtois
Docteur Vétérinaire
Exercice exclusif faune sauvage et exotique.
Florence Ollivet Courtois
Docteur vétérinaire
13 rue de la vallée bergeotte
91640 Janvry

 

Les articles de presse :

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