Des antilopes décimées par une bactérie… et le climat

De quoi sont mortes les antilopes saïga en mai 2015 au Kazakhstan? Selon une étude publiée dans la revue Science Advances, cette hécatombe serait due à l’activation d’une bactérie hémorragique par des conditions climatiques exceptionnelles, auxquelles le réchauffement n’est pas étranger.

Des plaines jonchées de dizaines de milliers de cadavres: se regroupant pour leur vêlage annuel, ce sont plus de 200.000 saïgas qui sont mortes en une dizaine de jours, en mai 2015au Kazakhstan. Soit 60% des effectifs mondiaux de cette unique antilope eurasiatique, ce qui fait de cet épisode de mortalité de masse l’un des plus brutaux jamais observés.

LA BACTÉRIE PASTEURELLA MULTOCIDA

Les analyses post mortem ont rapidement livré leurs résultats: c’est une bactérie, Pasteurella multocida, qui est à l’origine de ces septicémies hémorragiques foudroyantes. Or le déroulement des faits montre qu’il ne s’agirait pas d’une épidémie classique, au cours de laquelle des animaux infectés en contaminent d’autres.

Si tel était le cas, les animaux ne seraient pas morts de manière aussi simultanée, mais plutôt en vagues successives. De plus, les veaux sont généralement décédés après leur mère, suggérant certes une transmission verticale (de la mère à son petit) de la bactérie, mais pas horizontale (entre individus).

LE CLIMAT, FACTEUR DÉCLENCHANT

Pasteurella multocida est souvent présente à l’état latent chez les saïgas, sans causer le moindre mal. Pour Richard Kock, du Royal Veterinary College de Londres, et ses collègues, il s’agissait dès lors de déterminer quels facteurs avaient déclenché son activation simultanée chez les saïgas. En comparant cet épisode à d’autres, moins marqués, survenus en 1981 et 1988, les chercheurs ont découvert qu’il avait fait particulièrement chaud et humide dans la semaine précédant les hécatombes.

L’équipe montre ainsi que la température minimale, mais surtout l’humidité maximale, sont bien liées à la probabilité d’épisodes de mortalité massive chez les antilopes, du fait de Pasteurella multocida. Dans les sites touchés en 2015, l’humidité relative atteignait jusqu’à une moyenne de 84,6%, un record d’une série de relevés couvrant la période 1948-2016, contre 71,2% dans les régions contrôles, non touchées.

DES MÉCANISMES INCONNUS

De précédentes études avaient déjà suggéré une activation de la bactérie Pasteurella multocidalors de conditions climatiques extrêmes, notamment sur du bétail en Inde et des porcs en Chine, mais sur de bien moindres effectifs. Les saïgas autopsiées étaient en bonne santé avant leur mort: un affaiblissement direct par les conditions climatiques, les rendant plus vulnérables à un pathogène, semble donc exclu. Le facteur climatique semble donc agir directement sur la bactérie, par des mécanismes à ce jour inconnus.

Selon les chercheurs, «le fait que l’infection par Pasteurella multocida soit fortement liée, chez les saïgas comme chez les bovins, à de fortes humidité et température est préoccupant alors que des bouleversements climatiques vont s’accentuer dans la région». Outre la hausse de température, l’humidité de la région pourrait continuer à s’élever: au Kazakhstan, les relevés climatiques relèvent une nette hausse des précipitations printanières depuis 1980, par rapport aux trois décennies précédentes.

Journal de l’Environnement / Romain Loury / 19 janvier 2018