En captivité, le papillon Monarque perd son sens de l’orientation

Les papillons vendus dans des animaleries ou élevés par des amateurs n’ont plus de capacité migratrice une fois relâchés dans la nature.

Si les Etats-Unis ont quitté la Couronne britannique il y a bientôt deux cent cinquante ans, il est un roi auquel les Américains continuent de vouer un amour sans bornes : le papillon Monarque. Le spectacle de ces millions d’individus quittant, à l’automne, les plaines du Nord pour gagner le sud de la Californie ou le Mexique, 4 000 km plus loin, tient une place à part dans la culture nationale. Une sourde angoisse monte donc depuis quelques années dans le pays car la quantité de lépidoptères migrant au sud est en chute libre, de 80 % en dix ans.

Comme toujours aux Etats-Unis, les communautés et les commerçants ne sont pas restés inertes. Une nuée d’éleveurs proposent à la vente des spécimens que les amateurs relâchent lors de mariages ou de festivals spécialisés. Des professeurs et leurs élèves en font de même, convaincus de lutter contre l’extinction redoutée. Sans compter les amateurs qui recueillent les œufs dans leur jardin et couvent les insectes dans leur maison.

Dans un article publié le 24 juin, une équipe de l’université de Chicago démontre que les individus élevés en captivité perdent le sens de l’orientation et, par conséquent, toute chance de passer l’hiver au chaud.

Ayse Tenger-Trolander et ses collègues rêvaient, eux aussi, de remplacer, pour leurs études, le Monarque migrateur par des spécimens d’élevage. « Mais il fallait montrer qu’ils étaient analogues », raconte la jeune thésarde.

Ils ont donc testé des papillons du commerce, d’une part, des individus élevés par leurs soins en intérieur, d’autre part, et les ont comparés à un groupe témoin capturé à l’extérieur. Ils ont constaté que là où les papillons sauvages mettent cap au sud, les insectes du commerce, comme ceux élevés en intérieur, s’envolent n’importe comment. Pas tous, conviennent les scrupuleux chercheurs. Lors d’une expérience conduite en 2018 sur 700 papillons du commerce marqués et relâchés, cinq ont réussi à faire le voyage. « Mais il n’y a aucune tendance collective », soulignent les scientifiques.

Compétence fragile

Les biologistes ont également voulu voir si les insectes issus de l’élevage conservaient une propriété fondamentale du Monarque sauvage qui veut que, pendant la migration, il perde ses capacités de reproduction, jusqu’au printemps suivant. Réponse positive, cette fois. Enfin, ils ont observé leur morphologie et découvert que leurs ailes antérieures étaient plus arrondies. Une particularité déjà décrite chez trois autres espèces de Monarques vivant en Amérique du Sud, en Australie et en Afrique du Nord, toutes devenues sédentaires. Les princes vendus dans le commerce provenaient-ils d’un autre royaume ? « Les tests génétiques présentés dans l’article écartent clairement cette hypothèse, observe le lépidoptériste britannique Michael Singer. Ils sont bien nord-américains, même s’ils ont subi de rapides mutations. »

Et c’est bien l’élevage en captivité qui leur a fait perdre leur capacité migratrice. Une compétence, du reste, bien fragile. Ainsi, pour éviter une vague de froid, une poignée d’individus sauvages ont été déplacés à l’intérieur en fin de stade larvaire, trois ou quatre jours avant l’ultime métamorphose et l’envol : eux aussi ont perdu le sud. Et l’étude de conclure :

« Même une brève exposition à des conditions artificielles semble suffire à perturber l’orientation ».

Faut-il dès lors interrompre tout élevage ? L’activité commerciale, peut-être, laissent entendre les chercheurs. « Pas celle des amateurs et des écoles car cela renforce le lien entre la population et la nature », ajoutent-ils. Un lien précieux pour l’environnement, mais sans doute pas pour le Monarque. « Car si, globalement, l’espèce devrait survivre, sa spectaculaire migration touche peut-être à sa fin. » Cette révolution-là, les Américains s’en seraient bien passés.

photo : Lâcher de papillons Monarque lors d’un événement de sensibilisation sur la dépopulation des lépidoptères, à Washington, en 2018. DREW ANGERER / AFP

Le Monde du 7 juillet/