«Il faut remodeler le droit international pour préserver le vivant»

Alors que des fleuves ont obtenu, l’an dernier, en Inde et en Nouvelle-Zélande, une personnalité juridique à part entière, la reconnaissance des droits de la nature fait son chemin dans le monde. Une évolution indispensable à la préservation du vivant, selon la juriste Valérie Cabanes, auteure du livre Homo natura, aux éditions Buchet Chastel.

Vous avez publié cet essai un an après votre livre intitulé Un nouveau droit pour la terre[1], où vous défendiez notamment la création d’un crime d’écocide. Aujourd’hui, vous semblez plutôt vous intéresser à la nécessaire reconnexion de l’homme avec la nature.

Mon premier ouvrage a dressé un bilan planétaire, qui m’a effrayée moi-même en l’écrivant. Je me souviens avoir été paralysée pendant un moins, en me disant qu’on était foutus. J’ai voulu montrer que tous les sujets étaient interconnectés alors que dans le milieu écologiste, on a tendance à se focaliser sur un seul thème, les pesticides, le climat, le nucléaire… J’ai aussi voulu retracer l’histoire du droit de l’environnement pour montrer la vision anthropocentrée qui l’a animée. Dans ce livre, j’ai souhaité au contraire amener une réflexion plus profonde, plus philosophique, plus personnelle aussi. Si le droit est le reflet de notre niveau de conscience à un moment donné, il faut s’intéresser aux blocages, dans nos sociétés occidentales, qui ont conduit à séparer les êtres humains des autres êtres vivants.

 

Quels sont ces blocages ?

Le droit international occidental s’est construit, il y a 500 ans, au moment où les grandes puissances sont parties à la conquête du monde. On a alors vu émerger deux écoles, celle de Salamanque qui a proposé au Pape et à Charles Quint de considérer tous les êtres humains sur un pied d’égalité et celle des Etats qui ont davantage cherché à réguler les échanges commerciaux possibles avec ces nouvelles régions. 500 ans plus tard, alors qu’on est devenus extrêmement puissants en s’appuyant sur les conquêtes et l’esclavage, on se retrouve avec des droits de l’homme et surtout un important droit commercial et un droit à la propriété. C’est un droit entièrement anthropocentré, qui démontre une volonté de maîtriser et de posséder le vivant. Ce que nous imposent aussi certains commandements divins. Et le Siècle des Lumières n’a pas vraiment remis en cause cette vision du monde, cherchant constamment à opposer nature et culture, en résumant l’homme à un être en quête de progrès et de technicité. Dans les années 1970, avec la montée en puissance des multinationales, le droit commercial prime désormais sur les droits humains et je pense que c’est cette inscription dans le droit qui est à l’origine de la dégradation globale de l’environnement planétaire.

 

A contrario, on assiste aujourd’hui, de façon certes ponctuelle et locale, à la reconnaissance de droits aux autres êtres vivants, dont les animaux ou les fleuves…

C’est intéressant de voir que ces initiatives proviennent de pays où l’on ne voit pas le monde de  la même manière, où vivent des peuples autochtones ou des populations reliées à une spiritualité ancienne. C’est en Inde, par exemple, qu’une personnalité juridique a été reconnue au Gange.

 

Il faudrait déconstruire l’ensemble du droit international. Lourde tâche…

Plutôt que de le déconstruire, il faudrait le remodeler en plaçant l’écosystème comme un prérequis nécessaire au maintien des droits humains fondamentaux et du droit commercial. Pour y parvenir, il faut démontrer que l’écosystème planétaire est en danger et que cela met en péril la survie de l’humanité. C’est pour cela qu’il faut reconnaître les atteintes à cet écosystème comme étant juridiquement répréhensibles voire criminelles, au nom des limites planétaires.

 

Les droits de la nature doivent donc être reconnus comme des droits fondamentaux ?

J’aime beaucoup l’expression de Dominique Bourg qui dit que le crime d’écocide, c’est le crime premier. Il ne s’agit pas d’amoindrir les droits humains, mais de les renforcer. On ne pourra pas garantir le droit à l’eau, à l’alimentation, à l’habitat, à un air pur, si on ne préserve pas le vivant sur Terre.

 

Qui pour porter la voix de la nature ?

C’est très simple! Soit on donne la possibilité à des communautés locales de défendre la nature en justice, soit on la donne à l’Etat. Ce qui pose souvent des problèmes. Le Parlement néo-zélandais a élevé les Maoris au rang de «parents» du fleuve Whanganui. Ce qui implique des droits et des devoirs, que les parlementaires ont accompagné d’une enveloppe financière pour que cette communauté puisse restaurer l’état initial du fleuve, aujourd’hui pollué. En Inde, La Haute Cour de l’Etat de l’Uttarakhand a peut-être fait une erreur en désignant 7 représentants nationaux aux côtés des villages du bord du fleuve. Ces responsables politiques et d’universités n’ont pas voulu endosser cette responsabilité, craignant d’être mis en cause en cas d’accidents. Une ONG américaine, le CELDF[2], travaille actuellement à la rédaction d’une loi permettant de surmonter cet obstacle. Aux côtés des évolutions législatives, en Nouvelle-Zélande, ou en Colombie, on assiste à l’émergence d’une jurisprudence des droits de la nature. Mais il ne faut jamais oublier les deux dimensions. Il faut que le droit et la jurisprudence de la nature évoluent  autant que la conscience universelle.

Journal de l’Environnement/Stéphanie Senet,25mai

 

photo : Valérie Cabanes oeuvre pour une reconnaissance universelle des droits de la nature
Jérôme Panconi