La crise sanitaire ravive les tensions autour de la chasse au blaireau. La LPO dénonce « La France, enfer des blaireaux »

Pour Allain Bougrain Dubourg « Une fois de plus, au nom de la tradition, la France pérennise des pratiques moyenâgeuses. Il faudra bien qu’elle s’aligne sur le reste de l’Europe qui a choisi de tourner la page de souffrances inacceptables. Il y a urgence à en délivrer la faune. »

Une soixantaine de parlementaires ont demandé lundi la fin des chasses traditionnelles, dont les pratiques de déterrage très controversées.

Dans le contexte de pandémie de Covid-19, le risque sanitaire lié au déterrage des blaireaux cristallise les tensions. Depuis mai, les différentes préfectures publient des arrêtés fixant une période dérogatoire dite complémentaire, durant laquelle des chasseurs dûment assermentés peuvent s’en aller déterrer le blaireau. A cheval entre le printemps et l’été, quand le jeune blaireau n’est pas encore sevré. Le mustélidé étant un vecteur possible de la tuberculose bovine, la question sanitaire s’est invitée dans le débat, avec un paradoxe : les opposants à la vénerie, tout comme ses partisans, invoquent le même argument de la prévention du risque épidémique.

« La période de chasse complémentaire est importante pour nous car c’est le seul moment où nous pouvons nous consacrer à cet animal qui cause bien des dégâts. En dehors de cette période, on se concentre sur le gros gibier », explique Hubert-Louis Vuitton. Cet héritier du célèbre malletier, installé en Sologne, est le président de la Fédération régionale des chasseurs du Centre-Val de Loire, et vice-président de l’Office français de la biodiversité depuis mars.

Le Loir-et-Cher, son département, tarde à publier son arrêté, ce qui a le don de l’irriter. « Ils nous demandent subitement un tas d’informations, deviennent tout à coup procéduriers… On dirait qu’ils ouvrent le parapluie. » Sans doute parce que le déterrage du blaireau est de plus en plus controversé. La vénerie sous terre consiste à extirper le mustélidé de son terreau à l’aide de pelles et de grandes pinces, au terme d’une lutte souterraine avec une meute de chiens de chasse. On estime que 12 000 blaireaux, accusés par leurs détracteurs d’endommager les cultures et d’affaisser les routes, sont tués ainsi chaque année. L’animal a cette particularité d’être considéré comme gibier chassable en France tout en étant protégé par la convention de Berne de 1979. Lundi 8 juin, 64 parlementaires ont demandé dans une lettre ouverte de mettre un terme aux chasses « traditionnelles », décrites comme des « pratiques archaïques », parmi lesquelles le déterrage des blaireaux.

« Nouveaux déséquilibres »

La démarche des parlementaires est venue renforcer le combat de Catherine Le Troquier, maire de Valaire, village du Loir-et-Cher de 90 habitants. Le 13 septembre 2019, l’élue prenait un arrêté municipal anti-vénerie… qui fut suspendu le mois suivant par le tribunal administratif d’Orléans. Pour l’édile, la crise sanitaire actuelle devrait inciter à abandonner cette pratique. « Aujourd’hui, on reste sur le même tableau que pour le Covid-19, à savoir une gestion humaine violente et erronée envers le monde sauvage, prenant un risque de créer de nouveaux déséquilibres et encourageant de nouvelles zoonoses. »

C’est pourtant la prévention du risque de transmission de maladies qui est mise en avant par les chasseurs. « Lorsqu’un sanglier était tuberculeux [en janvier 2015, un sanglier infecté par la tuberculose bovine avait été découvert dans le Loir-et-Cher], on nous demandait de prélever des blaireaux ou de les ramasser quand on les trouvait morts en bord de route, dit M. Vuitton. C’est bien la preuve qu’il y a un risque. »

Dans son précédent arrêté, la préfecture du Loir-et-Cher avait justifié la période de chasse complémentaire en « considérant qu’il importe de limiter l’accroissement des populations de blaireaux au vu des risques sanitaires (tuberculose bovine) ». Un argument défendu à la clinique vétérinaire de Bracieux, où convergent le samedi les chiens blessés des chasseurs solognots : « J’ai fait la campagne de prophylaxie dans les élevages au moment de la tubo [tuberculose bovine], explique le vétérinaire qui ne souhaite pas être nommé. On perdait un temps fou à tester les vaches et au moindre doute, on les abattait. C’était un traumatisme psychologique pour l’éleveur et ça a coûté une blinde à l’Etat ! Je ne dis pas d’exterminer le blaireau mais de le réguler car on en voit de plus en plus sur les routes. »

Fabrice Capber, vétérinaire du Haut-Rhin spécialiste de la faune sauvage, défend au contraire une stratégie préventive consistant à ne rien faire. Avec ses confrères, il évoque ces teckels à poil dur ou jack russel ramenés déchiquetés après des heures à batailler dans les terriers.
« N’est-ce pas de la maltraitance animale ? La meilleure solution serait de laisser le blaireau tranquille, de maintenir la fameuse distanciation. »Et de rappeler qu’un déterrage favorise le déplacement des blaireaux : les terreaux vides sont vite colonisés par d’autres congénères, contaminés ou non.

Dans un rapport rendu en octobre 2019, les experts de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estiment que « dans les zones indemnes, l’élimination préventive des blaireaux et autres espèces sauvages ne peut en aucun cas être justifiée au motif de la lutte contre la tuberculose ». Et, de fait, résument la vénerie sous terre comme « un mode de chasse à but récréatif ».

Jacques Lucbert, ancien ingénieur agronome et président de l’association Indre Nature, est un grand habitué des « comités chasse » que chaque préfecture met en place et consulte avant de prendre son arrêté. « Encore aujourd’hui, aucune étude sérieuse ne permet de prouver une surpopulation, un risque sanitaire ou des dégâts de culture, assure M. Lucbert. Tant qu’il n’y a pas ça, aucun préfet n’a intérêt à maintenir cette période complémentaire. » Cela n’a pas empêché 37 préfectures de publier cette année leur arrêté. Dans les forêts solognotes, les blaireaux sont pour l’heure en sursis, suspendus à la décision de la préfecture du Loir-et-Cher, comme dans 26 autres départements.