«La Quête du sauvage», fascinante plongée d’un apnéiste chez les baleines

Héros du documentaire « La Quête du sauvage », bientôt diffusé sur Ushuaïa TV, le champion du monde d’apnée Morgan Bourc’his raconte sa rencontre avec les cétacés dans une eau à 5 degrés.

Lorsque le documentariste et cadreur sous-marin Jean-Charles Granjon lui a proposé de devenir le témoin privilégié d’un écosystème où règnent orques et baleines, dans un fjord aux eaux glacées du nord de la Norvège, Morgan Bourc’his, triple champion du monde d’apnée, a immédiatement accepté. L’apnéiste marseillais raconte pourquoi et comment. (…)

« Qu’est-ce qui vous a plu dans l’idée de plonger au milieu des cétacés dans les eaux glacées du nord de la Norvège ?
L’idée d’aller côtoyer les plus grands mammifères marins, qui sont d’une certaine façon les champions de ma discipline. Dans l’imaginaire collectif, ces animaux représentent les grands sauvages par leur démesure, leur aisance subaquatique, la quantité de nourriture qu’ils avalent. Ça renvoie aussi à des mythes comme Jonas. Noyades, naufrages, divinités : l’océan fait peur. Quand je plonge en apnée, je n’y pense pas, je suis plutôt en paix, mais je trimbale cet inconscient comme tout le monde. Il n’y a pourtant malheureusement plus grand-chose dans le fond des océans du fait de notre emprise anthropique sur la planète et il y a peu de chances de découvrir un grand prédateur qui veuille vous dévorer. J’ai constaté que même en les rencontrant, ça se passait plutôt bien d’ailleurs. À condition d’être respectueux…

Vous avez plongé parmi orques et baleines sans crainte ?
Le risque zéro n’existe pas mais je n’ai jamais senti que ça pouvait déraper. On dit que la baleine n’est a priori pas dangereuse pour l’homme mais ça fait quand même bizarre de se retrouver face à son énorme bouche grande ouverte. L’orque est le plus grand prédateur sur cette planète, elle mange des requins blancs, des baleines… Là, je l’ai vu vivre en collectivité. C’est un animal hyper intelligent, avec des stratégies de chasse époustouflantes. S’il l’avait voulu, il aurait fait de moi son jouet. Mais c’était une rencontre sans arrière-pensée, ni peur, ni défiance. C’est une façon de faire face à des fantasmes, en fait. On a vécu des scènes de chasse à leurs côtés, au milieu des harengs, proche des filets de pêche. On n’en menait pas large avant de plonger de nuit, mais tout s’est effacé très vite. Il y avait une douceur extraordinaire, c’était seulement impressionnant.

Pour le documentaire, Morgan Bourc’his est resté un mois sur une île perdue – avec une quinzaine d’habitants – au milieu des fjords norvégiens qui offrent des paysages de bout du monde à couper le souffle. (F. Seguin/L’Équipe)

De quel contact peut-on parler ?
Je n’en ai pas touché, même si j’aurais pu, à certains moments. Mais je me le suis interdit car je ne sais pas si l’animal l’aurait souhaité. Lors d’une séquence de nuit, la nageoire dorsale d’une orque passant sous moi m’a touché les palmes. Je n’ai donc pas touché d’orques mais elles m’ont touché.

« La création d’un parc national, comme celui des Calanques, peut avoir des effets très bénéfiques »

Ce documentaire est-il pour vous une façon de donner un sens citoyen à votre pratique de champion ?
Je ne m’octroie pas le devoir de donner des leçons aux gens pour leur dire ce qu’ils doivent faire. Mais si ma petite notoriété peut aider à susciter des interrogations, j’accepte ce rôle-là. Savoir comment ralentir les effets dévastateurs de la pression qu’on met sur la planète est très compliqué, rien n’est tout blanc ou tout noir. Lorsque je plonge en Méditerranée, l’une des mers les plus polluées du monde, dans ma ville à Marseille, je vois les dégâts, les déchets, la perte de biodiversité, mais aussi comment la création d’un parc national, celui des Calanques, peut avoir des effets très bénéfiques. Preuve que quand on met des moyens pour protéger, il y a encore une capacité de résilience.

Le triple champion du monde d’apnée plongeait à 20 mètres maximum pour observer les cétacés, visibles notamment au large de l’île de Spildra, à l’extrême nord de la Norvège. (F. Seguin/L’Équipe)

Vous vous lancez dans une nouvelle carrière ?
J’ai décidé d’arrêter un type de compétition, les Championnats du monde, mais pas la compétition, les meetings. Je reste sportif professionnel. C’est une sorte de préretraite. Je n’ai plus 20 ans (il en a 42), j’ai d’autres projets, comme celui-ci, qui prennent du temps. J’ai la chance d’avoir un partenaire depuis 2015, Tudor, qui m’accompagne totalement dans mon évolution. Sans sa prise en charge, le documentaire n’existait pas.

Quelle place y tenait la performance sportive ?
J’avais un appareil photo en main, 8 kilos autour de la taille pour descendre plus vite, une combinaison de 8 mm d’épaisseur contre 1,5 mm en compétition, dans une eau à 5 degrés, parfois avec du vent, des vagues… La flottabilité et l’aisance des mouvements sont donc totalement différentes. Suivre les cétacés est illusoire, les apnées étaient donc très courtes – la plus longue de 1’15 » à tout casser – et très modestes, peut-être 15-20 mètres maximum, car la visibilité était vite réduite en descendant. Mais j’étais souvent très essoufflé à force de mouvements pour interagir avec eux.

Que gardez-vous de cette aventure ?
Le souvenir d’avoir vécu une expérience hors du commun ! Un mois sur une île perdue au milieu des fjords, avec une quinzaine d’habitants vivant au milieu de mammifères géants ! J’avais déjà plongé avec des requins, mais c’était beaucoup plus fugace. Là, je restais parfois une heure et demie au milieu des orques ! Même un an après le tournage, j’ai régulièrement des flashs, cette aventure continue de vivre en moi. »