Le glyphosate, l’autre ennemi des abeilles

Un nouveau boulet pour le glyphosate: publiée lundi 24 septembre dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), une étude américaine suggère un effet toxique sur les abeilles domestiques. L’herbicide altérerait leur flore intestinale, les rendant plus vulnérables aux pathogènes.

En matière de toxicité des pesticides pour les pollinisateurs, ce sont les néonicotinoïdes, interdits en France (sauf dérogation) depuis le 1er septembre, qui tiennent le haut de l’affiche. Pourtant, bien d’autres pesticides sont nocifs pour ces insectes, qui connaissent un déclin généralisé à travers le monde.

En septembre 2015, l’Anses évoquait ainsi le cas de fongicides, qui pourraient inhiber la détoxification de l’organisme et rendrait ainsi les abeilles plus sensibles aux insecticides. Herbicide le plus vendu au monde, le glyphosate semblait en revanche épargné par le rapport. Monsanto (racheté par Bayer) s’en vante d’ailleurs sur son site internet: «il n’existe aucun lien scientifique entre le déclin des abeilles et l’utilisation de glyphosate».

UN EFFET PASSÉ INAPERÇU

Patatras: publiée lundi dans les PNAS, une étude menée par l’équipe de Nancy Moran, biologiste à l’université du Texas (Austin), révèle un effet jusqu’alors passé inaperçu du glyphosate, mais au mode d’action tout aussi pervers que celui des néonicotinoïdes, qui égarent les abeilles lors de leurs sorties florales. Selon les chercheurs, le glyphosate s’en prendrait à leur flore intestinale, barrière bactérienne contre de nombreux pathogènes.

Petit rappel: le glyphosate joue son rôle d’herbicide en inhibant une enzyme appelée EPSPS (pour 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase), impliquée dans la synthèse de certains acides aminés. Ou plutôt celle de type I, celle de type II étant insensible au glyphosate. Or l’EPSPS de type I est certes présente chez les plantes, mais également chez de nombreuses bactéries. En particulier Snodgrassella alvi, Gilliamella apicola et Frischella perrara, qui abondent dans l’intestin des abeilles.

DES BACTÉRIES PLUS VULNÉRABLES

Dans leur étude, les chercheurs texans montrent que l’exposition d’abeilles au glyphosate, à des teneurs typiquement retrouvées dans le nectar des fleurs (entre 5 et 10 milligrammes par litre), suffit à altérer leur flore intestinale, bloquant la croissance des bactéries porteuses de l’EPSPS de type I.

Pire: la pré-exposition au glyphosate rend les abeilles plus susceptibles à Serrata marcescens, une bactérie dite «opportuniste», présente de manière très minoritaire dans l’intestin, mais qui profite de l’affaiblissement des autres espèces bactériennes pour proliférer. En quelques jours, la mortalité s’élevait jusqu’à 80% chez les abeilles traitées au glyphosate puis exposées à Serrata marcescens.

UN FACTEUR DE MORTALITÉ MÉCONNU

«Comme la flore intestinale est cruciale pour le développement des abeilles, pour leur nutrition et leur défense contre leurs ennemis naturels, une perturbation de cette flore pourrait les rendre plus susceptibles aux agents environnementaux, tels qu’un apport alimentaire insuffisant ou des pathogènes», concluent les chercheurs, selon qui le glyphosate pourrait ainsi contribuer à la forte mortalité des colonies.

UNE FRAGILISATION DES ABEILLES

Contacté par le JDLE, Jean-Marc Bonmatin, chercheur au Centre de biophysique moléculaire d’Orléans (Centre national de la recherche scientifique, CNRS) et pionnier de l’étude de la toxicité des néonicotinoïdes sur les abeilles, se montre peu étonné par ces résultats: «plus il y a de pesticides, plus les abeilles sont sensibles aux pathogènes», du fait d’une «perturbation de leur biologie».

«Soit on continue à rechercher des preuves absolues de toxicité et on interdit, soit on applique le principe de précaution, au motif de danger pour la santé humaine, et on s’abstient enfin d’utiliser ces produits», estime le chercheur, favorable à un renversement de la charge de la preuve. Au vu des nombreux effets sanitaires et environnementaux de ces produits, «je ne comprends pas que ces produits continuent à être homologués», ajoute Jean-Marc Bonmatin.

Journal de l’Environnement/25 septembre/Romain Loury