Le gouvernement s’apprête à autoriser le piégeage de dizaines de milliers d’animaux, dont certaines espèces menacées

Le projet d’arrêté fixant le classement des espèces susceptibles de causer des dégâts pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2022 est soumis à consultation publique du 6 au 27 juin 2019. A retrouver sur les sites de nos associations : LPOFNE et ASPAS.

Cet arrêté fixe, département par département, la liste des mammifères et des oiseaux qui pourront être détruits par tir et par piégeage durant les trois prochaines années, y compris en dehors de l’ouverture de la chasse.

Malheureusement, le projet d’arrêté de 2019 est très similaire à l’arrêté triennal précédent de 2015. Les mots « espèces d’animaux classés nuisibles » ont été remplacés par les mots « espèces d’animaux classés susceptibles d’occasionner des dégâts », mais l’esprit qui préside à ce classement reste le même, il ne respecte pas la volonté du législateur qui a mis fin à la notion de « nuisible » dans la loi pour la reconquête de la biodiversité d’août 2016. Nos associations invitent leurs adhérents et sympathisants à se mobiliser en masse pour refuser certaines dispositions inacceptables au moment où la France prétend être un modèle dans le domaine de la protection de la nature.

L’arrêté aurait dû être modernisé en tenant compte des évolutions des mentalités et demandes sociétales : bien-être animal et conditions de piégeage, déclin de la biodiversité dans son ensemble, désuétude de la distinction entre animaux utiles et nuisibles… Ce n’est pas le cas, loin de là. Est-il par exemple normal au XXIe siècle d’autoriser la destruction des espèces en période de dépendance des jeunes ?

Les critères de classement des espèces reposent sur la réglementation en vigueur, selon laquelle une espèce doit avoir commis des dégâts pour figurer sur la liste, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi prendre en compte la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle « les dommages peuvent être considérés comme significatifs si leur montant avoisine 10 000 € par an, pour l’espèce et le département considéré ».

Certes on peut arguer du risque et de la nécessité de prendre des précautions. Mais le maintien de nombreuses espèces sur les listes alors que les dégâts n’ont pas été avérés les trois dernières années n’est pas justifié. Du reste, la réalité des dégâts n’est pas avérée dans bien des cas, faute de remontée d’informations, d’harmonisation des procédures et modèles et, principalement, de vérification par l’administration. On est en droit de s’interroger sur la véracité de l’identification de l’espèce ayant commis des dégâts dans bien des cas. Qui fait la différence entre les dégâts causés par une fouine et ceux commis par une martre ? Entre une corneille noire et un corbeau freux ? L’État se contente d’enregistrer des déclarations sans pouvoir en vérifier le fondement, pas plus que la sincérité des montants déclarés (comme en témoignent quelques perles dans les déclarations).

Aucun élément ne vient démontrer que les destructions massives des dernières années ont effectivement permis de réduire les dégâts économiques. L’impact négatif de ces destructions de grande ampleur n’est jamais évalué non plus. L’argument selon lequel « ça aurait sans doute été pire » n’est pas étayé. Il ne tient pas compte des dynamiques de population, comportements territoriaux, etc.

Pour prendre l’exemple du Geai des chênes, il est proposé de l’inscrire dans 7 départements, contre 4 précédemment, alors qu’il n’y a aucun dégât avéré, pas de présence significative de l’espèce dans les départements en question. Le Geai des chênes est le premier forestier de France par le nombre d’arbres plantés (cet oiseau a l’habitude de cacher les graines et d’en oublier un certain nombre).

91 départements sur 96 font figurer le renard sur la liste (les départements de Paris et de la Corse du sud n’ont pas fait de propositions de listes au Ministère). Près d’un million de renards sont tués chaque année en France (entre 400 000 et 470 000 par tir selon l’étude ONCFS de 2013-2014, 200 000 par piégeage et autant sur les routes). Cette destruction massive et indifférenciée, sans rapport avec la présence d’élevages, n’est pas efficiente, comme l’ont montré les dernières études de l’ONCFS. Pire, elle est sans doute contre-productive puisqu’elle prive l’agriculture d’un allié de poids : chaque renard consomme environ 4 000 micromammifères par an, dont nombre de campagnols des champs.  Lorsque les prédateurs naturels ont été détruits, l’agriculture lutte contre les rongeurs en utilisant des produits chimiques tels que la bromadiolone qui pose de nombreux problèmes sur toute la chaîne alimentaire.

L’impact de la destruction des carnivores, pourtant alliés de l’agriculture par la consommation de nombreux rongeurs, n’est pas évalué, ni en termes économiques, ni en termes de santé (utilisation de raticides, facilitation de la diffusion de certaines maladies comme celle de Lyme, etc.).

Le classement du putois dans la liste des espèces susceptibles de causer des dégâts est une hérésie : le putois est une espèce qui a connu un fort déclin de ses populations ces dernières années, en raison de la régression de son habitat naturel, les zones humides. Cette situation a conduit l’Union internationale pour la conservation de la nature et le Muséum national d’Histoire naturelle à classer cette espèce sur la liste rouge des mammifères menacés en France. Ce classement signifie qu’il est urgent de prendre des mesures pour enrayer le déclin de l’espèce. Or, le tir et le piégeage contribuent à la fragiliser : plus de 6 000 putois sont tués chaque année. Stopper ces pratiques est une mesure simple à mettre en œuvre et dont les effets sont immédiats.

Il en est de même pour la belette, une espèce discrète dont l’état des populations est mal connu. Sa présence sur la liste nationale des espèces susceptibles de causer des dégâts n’est pas justifiée : la prédation de la belette sur les élevages est très marginale et les mesures de protection des poulaillers sont simples à mettre en œuvre. Au contraire, la belette est un animal extrêmement utile car elle se nourrit essentiellement de rongeurs, qu’elle contribue à réguler.

Seuls deux départements (pour le putois) et un seul (pour la belette) continuent à piéger et détruire par tir ces deux mustélidés : leur maintien sur la liste nationale n’a plus aucune raison d’être. Ces animaux devraient plutôt être classés sur la liste des espèces protégées, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays d’Europe. Le département du Pas-de-Calais, dont le président de la Fédération départementale des chasseurs n’est autre que le président de la Fédération nationale des chasseurs, a obtenu le maintien du classement de la belette et du putois sur son territoire. Cela en dit long sur les lobbies cynégétiques toujours à l’œuvre en France, et sur la volonté de leurs dirigeants de faire perdurer un système archaïque.

Nos associations demandent à François de Rugy :

– de retirer le putois et la belette de la liste des espèces susceptibles de causer des dommages ;

– de revoir pour tous les départements la liste des espèces en retirant celles qui n’ont pas causé plus de 10 000 € de dommage par an(1) ces dernières années (en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat) ;

– de définir pour tous les départements des zonages par espèce en fonction des dégâts constatés et de la présence d’exploitations agricoles ;

– de limiter la durée du présent arrêté à un an afin de le retravailler sérieusement et dans le respect de la volonté du législateur lorsqu’il a voté la loi pour la reconquête de la biodiversité il y a trois ans seulement ;

– d’interdire le déterrage du renard ;

– de rendre obligatoire la mise en œuvre de méthodes alternatives en amont de toute destruction et pour toutes les espèces ;

– de retirer la possibilité de tuer les mustélidés et la pie bavarde pour répondre aux seuls intérêts cynégétiques.