Le hoazin, cet oiseau qui rumine et marche à quatre pattes

Pour gravir une pente ou monter aux arbres, les poussins de ce volatile exotique utilisent les griffes disposées au bout de leurs ailes et progressent comme un quadrupède.

Au firmament des animaux bizarres trône, chacun le sait, l’ornithorynque. Mammifère et ovipare, bec de canard et queue de castor, pattes postérieures de loutre munies d’aiguillons venimeux, la bestiole reste imbattable.

Pourtant, un drôle de volatile sud-américain pourrait presque lui contester le titre. A première vue, le hoazin pourrait passer pour un vulgaire faisan. A première vue… Car en réalité, de son mode de vie à son métabolisme en passant par son anatomie, l’animal défie toutes les catégories.

Constamment installé dans les arbres, il boude les fruits et se nourrit exclusivement de feuilles, toxiques de préférence… qu’il rumine. Comme les vaches, cerfs, girafes et autres buffles, il opère ainsi une première digestion prégastrique avant de définitivement assimiler les aliments. Une exception parmi les volatiles herbivores, qu’il accompagne de délicats dégagements gazeux.

Patte gauche, aile droite, patte droite, aile gauche

« L’oiseau puant », comme le surnomment les Britanniques, ne s’en tient pas là. Lorsqu’un prédateur s’approche de son nid, dissimulé dans les épineux au-dessus des rivières du bassin amazonien, les petits se jettent à l’eau. Déjà bons nageurs, ils regagnent sans peine le bord.

Et c’est là qu’intervient le plus étonnant. Pour remonter sur la rive, les oisillons profitent des griffes disposées au bout de leurs ailes, et marchent. Patte gauche, aile droite, patte droite, aile gauche, de façon coordonnée, tel le pas d’un cheval. « Ou plutôt la marche d’une salamandre », corrige Anick Abourachid, qui a publié cette découverte, le 22 mai, dans la revue Science Advances.

Professeure d’anatomie fonctionnelle au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, elle se passionne depuis toujours pour les liens entre forme et fonction. Depuis vingt-cinq ans, elle rêvait d’examiner la locomotion de cet étonnant animal.

En 1888, un ornithologue du Musée d’ethnologie de Leyde (Pays-Bas) avait bien décrit un oisillon sortant d’une calebasse à quatre pattes « mais personne n’avait vérifié », raconte la chercheuse. Non que l’animal soit introuvable. « Dans certaines régions, ils sont aussi courants que les pigeons à Paris. Sauf que ces régions sont souvent reculées. Quant aux nids, cachés dans les épineux au-dessus des rivières, ils sont inaccessibles. » Une première tentative de l’équipe française, en Guyane, a échoué. Et c’est finalement au Venezuela, au bord du Rio Cojedes, à 300 km de Caracas, qu’Anick Abourachid a trouvé le site idéal.

Quatre oisillons ont été prélevés et placés dans une piscine transparente. Leur nage comme leur déplacement sur plan incliné ont été filmés et analysés. Avec une conclusion sans appel : « Il ne s’agit pas de battements symétriques des ailes, comme le font de nombreux oisillons pour favoriser leur adhérence, ni de mouvements hasardeux ou spontanés, comme un bébé qui agripperait un doigt, mais bien d’actions coordonnées, même si l’on constate des irrégularités », conclut la chercheuse.

Sérieuses questions évolutives

Cette grande première ouvre de sérieuses questions évolutives. On pensait en effet que la coordination quadrupède s’était envolée, ou plutôt qu’elle avait disparu lorsque les théropodes, ces dinosaures bipèdes parents des oiseaux, avaient perdu l’usage locomoteur de leurs membres antérieurs.

Les hoazins l’ont-ils en réalité conservé ? Ou cette compétence est-elle réapparue chez ses ancêtres, après la disparition des dinosaures il y a 66 millions d’années ? « On ne dispose pas de fossiles exploitables pour nous aider à trancher », regrette la biologiste.

Son équipe va donc poursuivre les investigations. Les données déjà accumulées permettront ainsi de conduire des analyses anatomiques et génétiques. De quoi lever peut-être un autre mystère, à savoir sa place exacte dans l’arbre des espèces. Un programme d’études comportementales était aussi prévu, mais la situation politique et économique au Venezuela l’a renvoyé à des temps meilleurs.

 

photo : Un hoazin (« Opisthocomus hoazin »), au Pérou, en octobre 2009. BILL BOUTON / CC BY-SA 2.0