Les blaireaux anglais, abattus en masse en 2018

Outre Manche, la saison de chasse du blaireau a été sanglante: plus de 32.000 d’entre eux ont été abattus entre septembre et octobre, presque autant que depuis les premiers abattages de 2013, selon un bilan publié mardi 18 décembre par le gouvernement britannique. Pourtant, de sérieux doutes demeurent quant à l’efficacité de cette tuerie pour protéger les troupeaux de la tuberculose bovine.

 

Depuis la fin des années 1990, le Royaume-Uni, en particulier l’ouest de l’Angleterre et le pays de Galles, est touché par une flambée de cas de tuberculose bovine dans les élevages, pour lesquels il constitue un véritable fléau économique. Pour retrouver son statut indemne de la maladie, le Royaume-Uni a opté pour la matière forte: l’abattage massif de blaireaux, principal réservoir sauvage de la maladie, dans les zones où la maladie sévit fortement.

UN ABATTAGE ÉTENDU AU FIL DES ANS

Après son lancement en 2013 dans deux zones des comtés de Somerset et de Gloucester, l’abattage de blaireaux, que ce soit par des tirs directs ou par piégeage, a été étendu à de nouvelles zones: en 2018, 32 zones ont ainsi été définies dans 10 comtés, soit 11 de plus qu’en 2017. Ce qui suscite, dans un pays où la cause animale n’est pas un vain mot, une vive indignation.

Pour plusieurs associations, dont le Badger Trust (association de protection du blaireau), la mesure est aussi cruelle que coûteuse et inefficace. D’autant que plusieurs études (ici et ) ont montré que l’essentiel des cas en élevage provenaient de transmissions entre bovins, que ce soit entre troupeaux voisins ou lors de leurs déplacements.

32.601 BLAIREAUX ABATTUS EN 2018

Cette année, l’indignation est particulièrement vive: du fait de l’extension géographique des campagnes d’abattage, 32.601 blaireaux ont été éliminés pendant la campagne 2018 (entre le 3 septembre et le 1er novembre), soit la moitié des près de 70.000 individus tués depuis 2013, révèle un bilan publié mardi 18 décembre par le département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales (Defra).

Si le massacre est sans précédent, le Defra prévoyait même pire: dans son plan d’abattage annoncé en septembre, il fixait le maximum à 38.748 blaireaux et le minimum à 28.420, pour une population totale estimée à 485.000 en l’Angleterre et au Pays de Galles. Selon le président de Badger Trust, Dominic Dyer, «il s’agit, de mémoire d’homme, de la plus grande destruction jamais menée sur une espèce protégée. Elle intervient après un été caniculaire, qui a déjà entraîné une importante baisse de la population de blaireaux en Angleterre».

DOUTES SUR L’EFFICACITÉ RÉELLE

Selon le Defra, qui prévoit de poursuivre ces campagnes pendant un an ou deux ans selon les zones, la stratégie est payante. Depuis 2013, la première zone d’abattage dans le comté de Gloucester a vu son incidence de tuberculose bovine chuter de 24% à 12%, celle du comté de Somerset de 10,4% à 5,6%.

Dans une lettre publiée en novembre par le journal Vet Record, trois vétérinaires britanniques, évoquant l’«opacité» de ces chiffres, estiment qu’il est impossible d’imputer cette baisse à l’abattage des blaireaux, cette diminution ayant débuté trois ans avant les premiers tirs.

FAIBLE PRÉVENTION DANS LES ÉLEVAGES

Selon les associations, le blaireau n’est qu’un bouc-émissaire, grâce auquel le gouvernement exonère les éleveurs de s’équiper en matière de biosécurité. C’est d’ailleurs ce que suggère un rapport publié le 13 novembre, commandé par le gouvernement à Charles Godfray, professeur de zoologie à l’université d’Oxford.

Sans remettre en cause l’intérêt, «modeste mais réel», de l’abattage des blaireaux, le biologiste estime que «la faible adoption de mesures de biosécurité et l’étendue du commerce de bétail, souvent à risque élevé, freine considérablement le contrôle de la maladie». Conséquence de la polémique sur le blaireau, «l’attention s’est détournée des mesures que pourraient prendre les éleveurs individuels et la profession dans son ensemble».

Charles Godfray appelle par ailleurs à progresser sur la question de la vaccination des blaireaux, un vaccin injectable BCG étant disponible depuis 2010. En Irlande du Nord, une étude menée entre 2014 et 2018 vise ainsi à capturer les blaireaux, puis à les vacciner ou les euthanasier selon qu’ils sont infectés ou non. Ses résultats, qui permettront de déterminer l’efficacité préventive sur les élevages, ne sont pas encore connus.

Le Journal de l’Environnement / 21 décembre 2018 / Romain Loury