Les sangliers polonais au bord de la disparition programmée

Pour lutter contre l’épidémie de peste porcine qui sévit dans le pays, les autorités polonaises ont lancé une campagne massive de chasse au sanglier, délaissant les mesures de sécurité sanitaire.

Si les quotas de chasse pour la saison 2018-2019 sont remplis, plus de 90 % des sangliers polonais auront disparu d’ici la fin du mois de février. En cause, une campagne nationale de chasse ordonnée par le ministère de l’Environnement sur fond d’épizootie [épidémie, mais chez les animaux, ndlr] de peste porcine africaine. Henryk Kowalczyk, le ministre de l’Environnement polonais, a annoncé au début du mois de janvier que les organisations de chasse avaient abattu 168 000 sangliers en 2018, sur un objectif de 210 000 à atteindre avant la fin de la saison de la chasse, en février. Probablement trop loin du compte pour le ministère qui a ordonné dans la foulée l’organisation de grandes battues pour les trois derniers week-ends de janvier. Les chasseurs recevront une prime, jusqu’à 650 zlotys (150 euros) pour chaque animal abattu.

Le but de cette campagne d’abattage est de lutter contre la propagation de la peste porcine africaine (PPA) qui touche la Pologne depuis 2014, à l’instar de nombreux pays d’Europe de l’est. La maladie est inoffensive pour les humains mais tue rapidement les sangliers comme les cochons. C’est le sort de ces derniers qui inquiète le gouvernement polonais. Les élevages du pays en ont fait le quatrième producteur européen de viande de porc, et l’épizootie qui sévit complique l’exportation vers certains marchés. Elle a aussi obligé les éleveurs à abattre 25 000 porcs l’an dernier.

«Laissez les vivre»

Depuis l’annonce de la tenue de ces battues, des voix se sont élevées dans le pays pour dénoncer un «massacre». Sur une population de sangliers estimée à 230 000 individus début 2018, il n’en restera plus que 20 000 en février si les quotas sont atteints. Depuis 2015, ce sont plus d’un million de bêtes qui ont déjà été abattues. Une pétition intitulée «Laissez les vivre» signée par plus de 500 000 personnes réclame le maintien de la population de sangliers à un niveau permettant la durabilité de l’espèce, et pointe les conséquences environnementales d’une quasi-disparition des sangliers. Les suidés qui se nourrissent essentiellement de nuisibles et de charognes, et sont eux-mêmes une source de nourriture pour les loups, forment un maillon essentiel de la chaîne alimentaire. En retournant les sols, ils favorisent aussi la dissémination de semences et de jeunes pousses.

Les initiateurs de la pétition, comme les scientifiques qui se sont fait entendre ces dernières semaines, dénoncent surtout l’inefficacité de la chasse. Depuis 2014, l’épidémie n’a fait que se répandre malgré les campagnes d’abattage. Les battues et la chasse intensive pourraient même avoir contribué à son expansion en augmentant la migration des sangliers infectés. Les chasseurs eux-mêmes, comme leurs véhicules ou leurs chiens, sont un risque de propagation de ce virus très résistant qui peut se disséminer par des voies très diverses. Une centaine de scientifiques ont écrit au Premier ministre en plaidant pour des «mesures alternatives»,avec une meilleure supervision vétérinaire des élevages porcins.

Derrière les considérations écologiques et sanitaires, se cache aussi un enjeu électoraliste, à en croire les auteurs de la pétition. L’abattage des sangliers est réclamé par les agriculteurs et les éleveurs, électorat traditionnel du parti Droit et justice au pouvoir, alors qu’ils verraient d’un bien plus mauvais œil des mesures de renforcement de sécurité sanitaire. «Le sanglier est devenu un bouc émissaire, affirme Adam Bohdan de la Fondation Wild Poland, qui a participé à lancer la pétition. Le sanglier, contrairement à l’agriculteur, ne vote pas – l’extermination du sanglier doit assurer la victoire aux élections

 

 

photo :Des défenseurs des sangliers tiennent devant le parlement polonais une banderole sur laquelle est écrit «Ce sont les chasseurs qui dissémine la fièvre porcine africaine», le 9 janvier à Varsovie. Janek Skarzynski. AFP