Pyrénées : la mort de l’ours Cachou réveille les fantômes des braconniers

La version officielle, un combat fatal entre deux plantigrades, est contestée par des associations écolo. L’ours retrouvé sans vie début avril à la frontière franco-espagnole est-il mort dans une bagarre, tué par l’homme ou involontairement empoisonné ?

Mais qui a tué l’ours Cachou ? L’affaire est devenue un dossier politique bouillant et une source de fantasmes depuis que les autorités espagnoles ont découvert le cadavre d’un jeune plantigrade dans les Pyrénées le 8 avril, sur les hauteurs de Les (val d’Aran), à 2 kilomètres de la frontière française. Version officielle provisoire du conseil général d’Aran : Cachou aurait succombé à une «attaque commise par un autre ours et une chute d’environ 40 mètres sur un terrain très escarpé». En attendant le résultat d’analyses complémentaires, cette hypothèse s’appuie sur la configuration des lieux du drame et le rapport d’autopsie dressé par l’Université autonome de Barcelone, relevant des «plaies perforantes avec des hémorragies sur le côté gauche de la tête, qui correspondraient à des blessures ante mortem».

Ce scénario est jugé «invraisemblable» par les défenseurs de l’environnement. En France, l’association Pays de l’ours-Adet demande «des éléments de preuve incontestables» aux autorités catalanes. Côté espagnol, quatre organisations s’interrogenr  sur les rares photos diffusées, qui laissent entrevoir «le bon état de la dépouille», et l’absence manifeste de traces de combat sur le museau. Quant au terrain que l’on distingue autour, il présente une forte déclivité mais pas de précipice. La disparition de Cachou, l’un des 50 à 60 ours bruns qui peuplent le chaînon, fait craindre à certains le retour du braconnage qui avait quasiment décimé l’espèce. Et si l’homme avait frappé ?

Bergers

C’est le «bon» ours qui meurt au «bon» endroit et au «bon» moment. Sur les deux versants des Pyrénées, ils sont nombreux, chasseurs, éleveurs, qui ont rêvé un jour d’avoir sa peau. Né en 2015 de deux parents capturés en Slovénie et lâchés en France, Cachou était connu pour son «comportement anormal de prédateur excessif», selon le ministère catalan de l’Environnement qui l’avait muni d’un collier GPS en mai 2019, pour tenter de prévenir les attaques de troupeaux. Cet émetteur a permis aux fonctionnaires espagnols de déclencher l’alerte lorsqu’ils ont constaté que l’ursidé ne se déplaçait plus, et de localiser son corps à travers les sapins.

En Ariège, Clémence Biard, présidente des Jeunes Agriculteurs, appelait cet été le gouvernement français à «enlever tous les ours et à en faire ce qu’ils veulent – les tuer, les mettre dans des réserves, peu importe». Ainsi qu’au val d’Aran, où le suspect habituel dévorait quatre chevaux et un poulain en octobre 2019. Le président du conseil général d’Aran, Francès Boya (Parti socialiste de Catalogne), exigeait alors un «retrait immédiat».

Au val d’Aran, ours et bergers se sont longtemps couru après. Dans un passé proche, au creux de vallées oubliées du reste de l’Espagne, les fines gâchettes faisaient figure de héros. Tel Joachim Delseny Barra (1884-1951), qui exécuta son premier ours à 17 ans, avec une vieille carabine trouvée au fond d’un lac. Rituel immuable : le chasseur revêtait la peau de la bête, clouait trois pattes sur la porte de son logis et donnait la quatrième au maire en guise d’offrande. L’édile de Les, Andreu Cortes (PS de Catalogne), écourte notre conversation au téléphone : «Non, je ne vous dirai rien. Tout peut-être mal interprété ces temps-ci.» Dans les alentours, certains anciens se vantaient d’avoir descendu un ours, leur titre de gloire. Maintenant qu’un ours a péri, pour de vrai, le silence et la gêne pèsent sur la vallée. A moins que ce ne soit la peur d’être accusé du délit, passible de deux ans de prison et/ou 150 000 euros d’amende.

Les, un village où la Garonne coule comme un torrent. 800 chasseurs pour 1 000 habitants. C’est sur la commune qu’aurait été braconné le dernier ours autochtone des Pyrénées espagnoles, en 1990 voire 1991, incident jamais élucidé. En 1993, la population s’oppose par référendum à l’introduction d’individus slovènes pour relancer l’espèce (peine perdue, les premiers lâchers se déroulent trois ans plus tard en France). 2007 : un habitant de 27 ans se blesse à la jambe et au front en voulant fuir un plantigrade. 2008 : un homme de 72 ans prétend qu’un ours lui a griffé le bras et mordu le mollet lors d’une, battue au sanglier. Un cas rarissime selon les scientifiques, un mensonge pour les écolos. Les chasseurs promettent de faire feu la prochaine fois. Par une tragique continuité de l’histoire, Cachou aimait vivre dans les forêts de Les, et c’est là qu’il a trouvé la mort.

Luttes

«L’ours a toujours fait l’objet de luttes territoriales très violentes,explique Francès Boya, chef de l’exécutif du val d’Aran. Il y a beaucoup de monde pour défendre l’ours, très peu pour défendre l’agropastoralisme. Nous, nous serons toujours du côté de nos bergers et de leurs troupeaux. C’est bon pour la biodiversité, pour la prévention des incendies, pour l’identité de notre territoire.»L’élu dit avoir aperçu un ours vivant, une fois, lors d’une randonnée : «Ça n’a rien de rare, tout le monde l’a vu ici !» Il se désole du bétail tué en nombre, «surtout en cette saison, au printemps, quand l’ours sort d’hibernation». Contrairement à l’automne dernier, Boya ne réclame plus la capture de ces prédateurs : «Soyons réalistes, on ne nous les retirera pas. Tout ce que nous pouvons faire, c’est améliorer leur cohabitation avec l’homme.» Est-ce la disparition de Cachou qui tempère son discours ? «Je suis très prudent. J’attends les résultats de l’enquête.»

Au nord des Pyrénées, le dossier Cachou est également suivi de près par l’Office français de la biodiversité (OFB), sous la tutelle du ministère de la Transition écologique. «Nos homologues espagnols, avec qui nous avons d’excellentes relations, vont nous faire parvenir leurs conclusions une fois l’enquête terminée, réagit Pierre Dubreuil, président de l’OFB. L’ours reste un sujet sensible. Notre feuille de route consiste à maintenir une population d’individus viables tout en permettant la cohabitation humaine. Nous sommes dans le partage des usages de la nature.»

Vomitif

Mais il y a une affaire dans l’affaire. Le 9 avril, le jour même où est annoncée la mort de Cachou, le quotidien régional la Vanguardia révèle que l’animal avait fait l’objet d’une curieuse expérimentation après ses attaques contre les chevaux. «Le ministère [catalan] des Territoires et du Développement durable a introduit à l’automne passé un fongicide dans une carcasse de jument que Cachou avait tuée, ce qui l’a fait vomir. […] Résultat de ce test pilote, l’ours n’a plus attaqué le bétail.» Le journal glisse un détail préoccupant : les intoxications de carcasses auraient été réitérées «avec l’arrivée du printemps». Une information qui pourrait accréditer la thèse d’un empoisonnement involontaire : Cachou aurait péri dans une expérimentation qui aurait mal tourné…..

Suite et fin : Voir Libération du 23 avril

photo : A Sentein en Ariège, en 2017. Photo Arno Brignon. Signatures