« Sale temps pour les oiseaux » : billet d’humeur de Eric de Kermel, directeur du magazine Terre Sauvage

« Le 3 septembre, au Journal officiel étaient publiés onze arrêtés ministériels signés par Élisabeth Borne pour fixer les quotas de chasses « traditionnelles » dans plusieurs départements français. Comment accorder le moindre crédit au gouvernement d’Édouard Philippe en matière d’écologie alors qu’il continue de cautionner le massacre des oiseaux, symbole, s’il en est, de la nature ! Alors que la biodiversité s’effondre et que nous avons perdu le tiers de nos oiseaux communs, nous venons d’autoriser à nouveau les piégeages barbares de 150 000 oiseaux ! C’est ainsi que 42 500 grives et merles noirs vont disparaître grâce à des pièges à glu, que 106 000 alouettes vont être attrapées dans des filets ou des matoles ! (1) Comment croire aux grandes déclarations du gouvernement français en matière de biodiversité si, piétinant tous les constats des scientifiques, il permet encore à quelques « chasseurs » sans conscience de remplir des congélateurs d’oiseaux qui souvent ne seront jamais consommés.

Au-delà des oiseaux ciblés, plein d’autres espèces sont prises dans les pièges à glu mais aussi dans les matoles, petites cages qui capturent des pinsons, des verdiers, des mésanges…, soi-disant relâchés quand les prises se font par erreur.

J’ai eu l’occasion de vouloir sauver une mésange prise dans la glu et j’ai pu me rendre compte que c’est impossible sans lui arracher les plumes des ailes, qu’elles ont par ailleurs souvent abîmées en voulant se libérer. L’oiseau ne peut alors plus ni se nourrir ni voler correctement. Cessons de donner des leçons aux Africains avec leurs éléphants, aux Japonais avec leurs baleines si nous ne sommes pas capables de protéger l’essentiel. Les oiseaux sont au cœur de la pyramide de la biodiversité de notre pays. Les oiseaux sont le relief du ciel, ils inspirent les poètes et les peintres, jusqu’aux enfants des écoles qui les représentent dès leurs premiers dessins. Il est urgent de comprendre que nous sommes de la nature. Nous sommes les fleuves, les montagnes et les océans, nous sommes les oiseaux qui vont mourir à feu lent, les plumes accrochées dans la glu ! Croire que nous vivrons encore quand tout aura péri autour de nous est une dramatique illusion. Il est urgent de considérer d’un même regard l’humain et le non-humain. De comprendre que l’écologie, c’est la culture de l’ensemble des liens qui relient le vivant au vivant et portent notre monde, participent d’un même souffle.

Parfois, ces liens entre tout ce qui concourt à la vie terrestre ont été altérés, et ils doivent être rapiécés, accompagnés, nourris pour qu’une résilience advienne. À d’autres moments, les liens sont coupés, des espèces ont disparu, des territoires sont devenus des déserts. Les efforts qu’il faut déployer pour que les liens existent à nouveau sont alors considérables, quand ils ne sont pas impossibles. Leur coût est démesuré. Réparer le « vivant naturel » ou s’y substituer, comme c’est le cas quand des pollinisations manuelles doivent remplacer celles naturellement assurées par des insectes, est bien plus coûteux que de protéger ce qui existe.

Si nous ne sommes pas capables d’agir en prenant de simples décisions qui protègent les oiseaux, comment imaginer que nous serons capables de prendre des mesures ambitieuses pour le climat, qui demanderont un autre courage que celui d’affronter les lobbys régionalistes de la chasse. Cette décision est une contre-image pour les fédérations de chasse qui tentent de trouver une place responsable dans les débats autour de la biodiversité et font, dans certaines régions, un travail important en lien avec les gestionnaires d’espaces naturels. Mais surtout, elle décrédibilise notre pays qui prétend par ailleurs être à l’avant-poste de la transition écologique et accueille en 2020, à Marseille, le congrès mondial de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), dédié aux enjeux de la protection de la biodiversité.

Après les baisses des budgets alloués aux parcs nationaux, le regroupement des agences de l’état au sein d’une Agence française pour la biodiversité, qui ne cesse de balbutier un projet, et la récente fusion de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage avec cette agence, nos actes gouvernementaux attestent, depuis le départ de Nicolas Hulot, que la protection de la biodiversité est reléguée au rang des objectifs mineurs de la France.

Des mots, toujours des mots, en matière d’écologie, nous sommes un pays où les mots sont proclamés avec arrogance alors que nous ne sommes que de tristes clowns ! »

Éric de Kermel/Directeur de « Terre sauvage » – La voix/16 septembre

(1) Source : Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

photo : jbdumond2019