Une saison meurtrière pour les rennes du Svalbard, en Norvège

Quelque 200 bêtes ont été retrouvées mortes par l’Institut polaire norvégien, lors de son opération annuelle de recensement.

De retour de son expédition annuelle de recensement des rennes du Spitzberg sur l’archipel du Svalbard, à quelques centaines de kilomètres du pôle Nord, Ashild Onvik Pedersen, chercheuse à l’Institut polaire norvégien, sonne l’alarme. Plus de deux cents rennes ont été trouvés morts de faim durant l’été, la plupart dans Adventdalen. Jamais elle n’a trouvé autant de cadavres. « C’est une expérience terrible de trouver autant d’animaux morts », dit-elle.

Pour l’Institut, qui procède à ce travail d’observation des rennes du Spitzberg tous les étés depuis quarante ans dans le cadre d’un programme scientifique, le réchauffement climatique est sans la moindre hésitation à l’origine du drame. « L’impact du changement climatique s’observe de deux façons, explique Ashild Onvik Pedersen au Monde. Il y a maintenant de la pluie en hiver dans le Haut-Arctique, ce qui entraîne, quand le froid passe dessus, la formation de couches de glace qui interdisent l’accès à la végétation. Ensuite, le réchauffement des températures l’été transforme le paysage, l’herbe des pâturages devient meilleure ici, donc la population de rennes augmente, ce qui induit plus de compétition entre les animaux. »

Cette concurrence a des conséquences dramatiques l’hiver, quand le nombre de rennes est trop important pour une nourriture qui devient plus rare et difficilement accessible sous la glace, d’où une mortalité bien plus grande. « Il sera sans doute plus commun à l’avenir de constater des variations très importantes dans les deux sens, note Ashild Onvik Pedersen, avec une population de rennes importante du fait des bons pâturages d’été, mais une mortalité importante à cause de la rareté de la nourriture l’hiver. »

Territoires bouleversés

En décembre 2018, de fortes précipitations ont été observées sur le Svalbard. Un changement qui peut paraître anecdotique, mais qui est un changement radical dans un territoire qui, comme certaines régions de l’intérieur de la Laponie, est traditionnellement très sec. La tendance est nette, avec un réchauffement bien plus rapide en Arctique qu’ailleurs dans le monde. Selon un récent rapport de la direction norvégienne de l’environnement, « Climate in Svalbard 2100 », l’archipel a connu un réchauffement de trois degrés sur la période 1971-2017, et sa température pourrait grimper de dix degrés d’ici à la fin du siècle.

Un chercheur de l’institut polaire norvégien prélève un échantillon du cadavre d’un renne, dans l’archipel des Svalbard, en 2017.
Un chercheur de l’institut polaire norvégien prélève un échantillon du cadavre d’un renne, dans l’archipel des Svalbard, en 2017. ELIN VINJE JENSSEN / NORWEGIEN POLAR INSTITUTE / AFP

Le renne du Spitzberg, une espèce sauvage, évolue souvent en petits groupes de trois à cinq bêtes. Sauf parfois l’hiver, quand une partie des pâturages est inaccessible sous des couches de glace, poussant les rennes à se regrouper sur les meilleures zones. En Laponie en revanche, les rennes sont élevés et appartiennent à des éleveurs regroupés au sein de structures collectives. Ces derniers constatent directement le changement de comportement des animaux sous l’effet du réchauffement. « En fonction de l’état du pâturage de l’année précédente, les rennes auront tendance à retourner l’année suivante sur un bon pâturage », explique Egil Kalliainen, le chef du district des éleveurs de la vallée de Pasvik, en Laponie norvégienne, le long de la frontière russe.

Avec le dérèglement climatique, la carte des territoires se trouve bouleversée, non sans créer des conflits : les rennes d’un éleveur vont sur les pâturages d’un autre, ou des bêtes cherchent la nourriture dans les champs d’un agriculteur. Les parlements sami d’Europe du Nord ont d’ailleurs mis sur pied des stratégies d’adaptation au changement climatique, dont l’une est en discussion au Parlement sami de Suède.

« Nuits tropicales »

En Suède, on parle de « nuits tropicales » ces temps-ci, lorsque la température ne descend pas sous 20 °C de toute la nuit. Ces événements peuvent se produire, mais en Suède, ils s’accélèrent et sont plus fréquents. La nuit du 26 juillet, les services météo suédois ont enregistré la première d’une série de telles nuits, à l’intérieur même des terres et non sur la côte où elles sont plus habituelles.

Début juillet, la Fédération suédoise des agriculteurs a annoncé le paiement par la direction de l’agriculture de la plupart des aides publiques pour les dégâts liés à la sécheresse de 2018. En tout, quelque 1,57 milliard de couronnes auront été payées, couvrant seulement 15 % des pertes des paysans suédois liées à la sécheresse. Les jeunes agriculteurs sont particulièrement touchés.

La vague de chaleur qui touche la région polaire se constate sur le pourtour arctique. Les services météo canadiens ont relevé un record de température de 21 °C sur la base militaire Alert, dans l’extrême nord canadien, à 800 kilomètres du pôle Nord. Le précédent record, dans cet endroit septentrional le plus habité dans le monde, était de 20 degrés en 1956.

Le Centre national de données sur la neige et la glace, qui surveille notamment l’étendue de la banquise, a constaté que juin 2019 marquait, pour un mois de juin, la deuxième surface la plus faible, juste derrière le minimum record enregistré en 2016.

Olivier Truc/Le Monde 4 août

photo : Les chercheurs de l’institut polaire norvégien près du cadavre d’un renne, sur l’île de Longyearbyen, dans l’archipel des Svalbard, en juin. SIRI ULDAL / NORWEGIAN POLAR INSTITUTE / AFP