Cinéma

La panthère des neiges

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Date / Heure
Date(s) - 15/12/2021
0 h 00 min

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Au cœur des hauts plateaux tibétains, le photographe Vincent Munier entraîne l’écrivain Sylvain Tesson dans sa quête de la panthère des neiges. Il l’initie à l’art délicat de l’affût, à la lecture des traces et à la patience nécessaire pour entrevoir les bêtes. En parcourant les sommets habités par des présences invisibles, les deux hommes tissent un dialogue sur notre place parmi les êtres vivants et célèbrent la beauté du monde.

Un film de Marie Amiguet et Vincent Munier avec Vincent Munier et Sylvain Tesson

Marie Amiguet

Biologiste de formation puis diplômée d’un Master de cinéma animalier (IFFCAM), la réalisatrice franco-suisse Marie Amiguet tourne avec Jean-Michel Bertrand La Vallée des loups et réalise Avec les loups, un portrait du cinéaste.

En 2017, elle rencontre Vincent Munier avec qui elle signe Le Silence des bêtes, coup de gueule contre le braconnage des lynx. Puis elle s’embarque dans l’aventure au Tibet pour filmer la rencontre de l’écrivain et du photographe.

Vincent Munier

Vincent Munier est un photographe, cinéaste et éditeur, amoureux des grands espaces et sensible à la poésie du monde sauvage. Des Vosges à l’Arctique en passant par le Tibet, il tente, via ses photographies, livres et films, de partager sa passion et surtout d’alerter sur le besoin vital d’être en harmonie avec les autres être vivants. Il a fondé KOBALANN Éditions & Productions en 2010 et est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, dont Solitudes, Arctique et Tibet, minéral animal.

 

2021 – France – 92min – 1.85 – 5.1

Ce voyage a inspiré le livre de Sylvain Tesson La Panthère des neiges (Gallimard 2019), récompensé du Prix Renaudot 2019

Entretien avec Marie Amiguet

Comment est venue l’idée que vous puissiez accompagner Vincent Munier dans sa quête de la panthère et sur cette expédition en particulier ?

Vincent avait vu notamment mon travail avec Jean-Michel Bertrand, le film La Vallée des loups, et en 2017, il m’a proposé ce projet au Tibet. J’avoue qu’il m’a semblé difficile de refuser une aventure là-haut avec un écrivain que j’admire énormément et Vincent, le photographe que l’on sait, devenu mon compagnon entretemps. Même si, déjà, se posait pour moi la question de l’impact environnemental de nos déplacements.

Où exactement vous êtes-vous rendus ?

Dans l’Est du Tibet, sur des plateaux situés en moyenne à 4.500 m d’altitude avec des sommets à 6.000. Un paysage très sec, très aride. Il n’y a rien que l’immensité à perte de vue.

Combien de temps a nécessité ce tournage ?

Avec Sylvain, Vincent et Léo-Pol Jacquot, assistant-réalisateur, nous avons fait deux séjours de trois semaines sur place, sans compter les voyages. Mais Vincent avait déjà accumulé énormément d’images vidéo animalières au cours de 5 précédents voyages, seul ou accompagné d’amis naturalistes. Son premier voyage remonte à 2011.

Qu’étiez-vous venue filmer ? La panthère des neiges ? Le célèbre photographe animalier sur les traces de la panthère ? Une rencontre «au sommet» entre l’écrivain à la faconde facile et le silencieux maître de l’affût ?

Ça, je l’ai inscrit dans mon carnet à notre départ : je voulais filmer, en effet, la rencontre entre deux bonshommes d’univers différents. J’étais curieuse de découvrir quel feu d’artifice ce tête-à-tête allait provoquer entre, d’un côté, Vincent, un homme très sensible à la nature, obsédé par la beauté et effectivement taiseux, et de l’autre, cet écrivain très volubile qui dévore la vie par les deux bouts. J’aime filmer les gens passionnés, tenter de comprendre ce qui anime ces êtres humains d’exception. Cela dit, je n’avais pas d’a priori. Je n’ai fait aucun repérage et je refuse de mettre quoi que ce soit en scène. Il me fallait donc rester ouverte simplement à ce qui allait se présenter.

Comment choisir les moments où, vous, vous pouviez filmer à votre guise sans entraver le travail de Vincent ? Votre caméra intervenait-elle toujours en second rang quand le photographe avait déjà fait le plein de clichés ?

C’est vrai que, lorsqu’il part en solo, Vincent pense photo sans discontinuer. Tout juste s’il prend le temps de dormir un peu. Mais cette fois, il avait autre chose en tête. Il s’était donné comme but de partager cette quête. Et à partir du moment où il avait décidé d’emmener Sylvain, il a travaillé sur un mode différent. Il a mis la photo un peu au second plan. Son objectif, c’était cette rencontre rêvée entre Sylvain et la panthère. Il nous a donc laissé toute la place nécessaire.

Ce qui impliquait de vous montrer doublement discrète : pour ne pas déranger vos sujets humains, et moins encore la faune qu’ils étaient venus observer…

En effet. Mais je sais ce qu’est l’affût, je sais me faire oublier. Comme eux, je me collais à plat ventre par terre, je rampais, je me faisais discrète, soit derrière eux, soit sur le côté, et je me transformais en caillou, sans plus bouger. Alors, je filmais tout ce qui se passait, et rien n’était écrit.
La contrepartie, évidemment, c’est que je ne pouvais pas jouer sur champ et contrechamp, par exemple. A notre 2e séjour en 2019, j’ai néanmoins pu mieux anticiper, en prenant un peu d’avance sur eux, ce qui me permettait de les capter de face lorsqu’ils arrivaient à moi, de prendre du recul.

Y a-t-il eu des moments où la caméra n’était pas forcément la bienvenue ?

En général, je le sens vite quand je risque de déranger, mais la présence de la caméra n’a pas semblé les ennuyer. Ils se comportaient de façon très naturelle, complètement absorbés par leurs observations. Je ne sais pas trop comment ils faisaient, d’ailleurs.

Même si c’est du ressort de Vincent de photographier et filmer la faune, cela vous arrivait-il, à vous aussi, d’enregistrer des séquences animalières ?

De ce côté-là, on disposait de beaucoup de matière rapportée par Vincent lors de ses précédents voyages au Tibet. Mais on y a ajouté quelques plans réalisés pendant le deuxième séjour, en particulier pour la scène des ours. Je m’attachais vraiment à filmer les gars, même lorsque la panthère est venue la première fois. Je savais que la caméra de Léo-Pol et l’appareil de Vincent tournaient les images animalières. Rencontrer la panthère à travers les yeux émus de Sylvain, c’était mieux que de la voir par mes propres yeux.

Parlez-nous un peu des conditions climatiques endurées pendant le tournage.

Difficiles, on ne peut pas le nier. En février, la moyenne est de -18°C, plutôt -25°C le matin. Un jour, alors qu’on avait dormi sous la tente à 4.800 m, le thermomètre indiquait -35°C mais ne pouvait de toute façon pas tomber plus bas ! Alors certes, on était bien équipé, mais pour filmer, il m’a fallu trouver des stratagèmes. D’autant que le froid aux doigts m’handicape vraiment. Je limitais donc les réglages à faire sur la caméra pour ne pas avoir à sortir mes mains des moufles, ou bien je recourais aux chaufferettes. Mais il fallait compter aussi avec le vent, très fréquent et fort, qui soulevait énormément de poussière fine ! Ça peut être redoutable pour le matériel, et en plus, ça me fait grincer des dents, sensation bien plus désagréable que le froid dans un voyage où nous n’avions pas d’eau pour nous laver.

Patienter ainsi pendant des heures, dans l’attente que surgisse un animal, vous a-t-il paru parfois interminable ?

Non, au contraire, ça m’a paru trop court. Surtout qu’il faut intégrer le problème du mal d’altitude. On finit par se sentir vraiment bien au bout de 3-4 semaines, et c’est là qu’il faut redescendre ! Au cours de mes voyages, de toute façon, j’ai compris à quel point il m’était indispensable de prendre le temps. Ne surtout pas voyager pour « cocher des cases », mais pour vivre pleinement le moment, échanger, apprendre et partager. La rencontre des nomades, par exemple, qui nous ont autorisés à vivre 8-10 jours chez eux, à profiter de cette expérience sur la longueur, eh bien ça aurait pu suffire à faire mon voyage !

Quelles références aviez-vous en tête sur les flancs de ces montagnes ?

A dire vrai, je me suis laissé prendre par la main. En partant, je n’avais pas de référence particulière à l’esprit. Tout juste si j’ai relu « Tintin au Tibet » avant de partir (rires) ! J’avais lu les livres de Sylvain, je connaissais le travail de Vincent, je sais que l’imprévisible m’anime. Mais on ne peut que douter, tant que le travail n’est pas terminé.

Quels ont été vos propres émerveillements ? Vos révélations ? Vos peurs aussi, peut-être ?

Côté émerveillement, il y a cette possibilité qui m’a été offerte de retrouver cette sensation d’immensité de paysage, dans lequel on est rapporté à notre juste mesure d’humain. A savoir : rien, ou vraiment pas grand- chose. J’y avais déjà été confrontée dans le Sud algérien, avec saisissement, et aussi en mer en traversant l’Atlantique, sans jamais l’éprouver depuis. En termes de révélations, j’ai surtout été affectée par le sort qu’inflige la politique chinoise à la culture tibétaine nomade. Le gouvernement fait en sorte de la faire définitivement disparaître. On a appris par exemple que les Tibétains n’ont pas le droit de porter de galerie sur le toit de leurs voitures, pour s’assurer qu’ils ne s’aventurent pas dans de longs déplacements. La population sur place n’a pas le droit non plus d’accueillir des étrangers. Enfin, plus qu’une peur, il y a cette interrogation : quel sens va réellement avoir notre démarche ? Pourquoi aller au Tibet aujourd’hui ? Si c’est pour blablater sur l’aventure, les sensations, tout ça, aucun intérêt. Ça ne sera vraiment utile que si notre film participe à provoquer un questionnement et une meilleure prise de conscience du peu de place qu’on laisse aujourd’hui au monde sauvage. Un changement de paradigme est, à mon sens, urgent et nécessaire.

La panthère semble vraiment avoir voulu participer à la tension du récit. Elle se décide à se montrer alors que vous vous apprêtiez justement à lever le camp et quitter le Tibet, comme une vraie scénariste de film à suspense. Inespéré, non ?

Surtout qu’en réalité, je n’imaginais même pas qu’on puisse la voir ! Je la percevais comme totalement inaccessible, une photo dans un livre, et moi, ça me suffisait. Et puis elle est venue. Et à quel moment !!! Mais le plus impressionnant, peut-être, c’est que ce soit précisément cette vieille panthère, la plus cabossée du Tibet sans doute, qui choisisse de rencontrer Sylvain. Il y a là quelque chose de mystique.

Aujourd’hui, après tout ce que vous avez vécu sur place, et les longs mois de montage sur le film, qu’est-ce qu’elle symbolise encore, cette panthère des neiges, à vos yeux ?

C’est l’animal totémique par excellence. Ce qui, paradoxalement, n’est pas sans danger : elle fait partie de ces espèces si emblématiques qu’elles pourraient occulter toutes les autres. D’où le choix de notre dernier plan, qui s’est porté sur un simple petit rouge-queue, afin de rappeler que la faune doit être préservée dans son intégralité, que l’on doit y être attentif. C’est vrai de la panthère comme d’un modeste ver de terre.

Reste que ce félin impassible, qui nous observe de haut sans se manifester, fait figure de vigie silencieuse au sommet d’un monde qui s’abîme. Elle est l’emblème de toute cette diversité (animale, mais aussi culturelle) qui disparaît, entraînée dans les bouleversements de notre époque. Elle incarne le concept de « rareté », cette rareté dont on peut s’approcher, certes, mais à tâtons, pour ne surtout pas déranger.

 

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