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Le temps des forêts

Symbole aux yeux des urbains d'une nature authentique, la forêt française vit une phase d'industrialisation sans précédent. Mécanisation lourde, monocultures, engrais et pesticides, la gestion forestière suit à vitesse accélérée le modèle agricole intensif. Du Limousin aux Landes, du Morvan aux Vosges, Le Temps des forêts propose un voyage au cœur de la sylviculture industrielle et de ses alternatives. Forêt vivante ou désert boisé, les choix d'aujourd'hui dessineront le paysage de demain.

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la critique du Monde/12 septembre

Ça sent le sapin. Il flotte une atmosphère de mort latente, pas visible à l’œil nu, dans le documentaire de François-Xavier Drouet, sobrement intitulé Le Temps des forêts. Les arbres sont bien là, dans le Limousin, le Morvan, les Vosges ou les Landes. Mais cette verdure rassurante – surtout pour les citadins – devrait pourtant nous inquiéter. Il faut dessiller les yeux du spectateur. Toute la force et l’originalité du film résident dans la déconstruction de l’image de la forêt authentique, au fil d’une enquête patiente et tenace dans la veine des films de Dominique Marchais – Le Temps des grâces (2009) et La Ligne de partage des eaux (2014).

Comme pour démasquer les faux-semblants, le film s’ouvre sur l’image d’une forêt sur le plateau de Millevaches. L’instant d’après apparaît une carte postale ancienne du même paysage, mais dénudé. A l’origine, les arbres n’existaient pas. Ils ont été plantés pour des raisons industrielles, et le paysage s’est assombri, explique en voix off une vieille dame, qui, telle une conteuse, ajoute : « Les sapins m’ont fait partir. » La promenade commence, et on entre petit à petit dans ce sujet touffu et paradoxal, où le tapis d’aiguilles peut être un signe de mauvais présage.

LA FORÊT DURABLE EST COMPATIBLE AVEC LES ENJEUX ÉCONOMIQUES, AFFIRMENT DES FORESTIERS « RÉSISTANTS »

Le danger, explique François-Xavier Drouet, n’est pas la déforestation mais la « mal-forestation » : on ne laisse plus le temps aux arbres de grandir. On plante ceux qui poussent le plus rapidement en vue de les couper le plus vite possible. Dans cette course à la compétitivité, qui se conjugue avec l’engrais, le sapin sort gagnant. Victoire du « douglas » et de la monoculture au détriment de la diversité des feuillus. On coupe l’arbre, rien ne reste en travers du chemin et il n’y a plus de nichoirs pour les oiseaux. D’ailleurs, on ne les entend plus chanter.

C’est le « désert vert », dit l’auteur. L’une des images les plus saisissantes du film est la vision d’agents forestiers qui, tels des Playmobil, plantent des minisapins selon un geste répétitif, quasi chorégraphique. On a pourtant assez d’essences (bouleau, châtaignier…) pour faire la route dans l’autre sens, pour paraphraser Alain Souchon. La forêt durable est compatible avec les enjeux économiques, affirment des forestiers « résistants ». La sonnette d’alarme avait déjà été tirée dans une étude réalisée en 2013 par des habitants du plateau de Millevaches (dont François-Xavier Drouet fait partie), Rapport sur l’état de nos forêts, téléchargeable sur Internet.

On coupe et on replante

Récompensé le 11 août du Grand Prix à la Semaine de la critique du Festival de Locarno, Le Temps des forêts arrive en salle avec de nombreuses séances-débats en perspective. Car ce film engagé laisse la parole à ceux qui assument la gestion actuelle : les arbres, affirment-ils, ça se récolte. On coupe et on replante. Le transport des marchandises, la mondialisation nécessitent de l’emballage. Faire pousser des arbres pour qu’ils finissent en palette ? Nul doute que l’Office national des forêts enverra dans les salles obscures des représentants de la direction.Dans le cadre de leur mandat syndical, des agents de l’ONF ne cachent pas en effet leur profond désarroi.

Sans provoquer ni chercher à contredire son interlocuteur, le réalisateur pose des questions simples. Quel est le quotidien du conducteur de l’abatteuse ? L’un d’eux répond que l’engin coûte cher et qu’il faut l’amortir. Il travaille « dix à douze heures par jour » afin de couper ses « deux cents mètres cubes » quotidiens. « On est un peu esclaves de nos machines », reconnaît-il.

On apprend qu’un arbre a besoin de temps, disons quarante ans, pour puiser sa force dans le sol. Ce n’est qu’ensuite qu’il peut « lui » rendre à son tour des éléments nutritifs – la chute des feuilles et leur décomposition participent à la formation d’un humus protecteur. Le couper avant, c’est un peu un crime. Une forestière le dit : « C’est une société, une forêt. »

et la critique de La Montagne/11 septembre : ici

 

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