Photographes animaliers

Denis PALANQUE

Denis est photographe professionnel spécialisé dans la Conservation, la Nature et les Sciences ; conférencier et enseignant photo.

Sa double formation de Biologiste et de Photographe lui permet d’appréhender ses sujets avec à la fois les connaissances naturalistes et scientifiques nécessaires à la compréhension et au respect de son sujet, mais aussi avec la sensibilité indispensable à la réalisation de toute photographie.

Pour lui, la photographie de nature se veut plus que jamais engagée dans une démarche de conservation. « Nos projets photographiques ne doivent plus se contenter de transmettre un message ou une information emballés dans une composition plaisante. Nos photos doivent aussi inciter le spectateur à se poser des questions sur son rôle et sa relation à la nature. »

Il collabore avec des magazines tels que Terre Sauvage ou National Geographic France et ces images sont distribuées par les Agences Naturagency, Hémis et Nature Picture Library.

Il travaille également pour des muséums, organismes de recherche et de conservation internationaux et depuis plus de 10 ans il crée et accompagne des stages de formations et voyages photographiques de par le monde.

Denis est membre de l’iLCP (International League of Conservation Photographers) et Ambassadeur de la marque de filtres photographiques Cokin.

Nous l'avons rencontré en mars 2020

 

Entretien avec...

Votre Parcours en quelques étapes ? Mon parcours est en fait assez classique, assez simple. Depuis mon enfance je suis incontestablement attiré par la Nature. Aux dires de la directrice de la maternelle de mon village, qui était également une amie de mes parents, je passais plus de temps lors de mes récréations à observer les fourmilières aux pieds des tilleuls qu’à jouer avec mes camarades. De là, tout a dû s’enchainer avec la plus élémentaire des logiques. En place et lieu de la pratique du foot comme les autres copains, je préférai passer du temps en forêt à faire des cabanes, collectionner les plumes, des insectes trouvés mort, observer les oiseaux et les animaux. Vers 13 ans (il me semble, peut-être 14 !) mon père m’a offert mon premier reflex (un Minolta X500 qui fonctionne d’ailleurs toujours très bien). Ce n’était pas mon premier appareil photo puisqu’avant j’avais eu un « instamatic » en format 110 à mes 11 ans. Mais celui-ci était un « vrai » appareil digne de ce nom. Il est inévitablement devenu l’un de mes compagnons de vadrouille.

A la maison, nous avions un laboratoire noir & blanc installé dans le grenier et mon père en passionné perfectionniste m’a transmis sa passion pour l’image. Par la suite, aux journées passées en forêt ou aux bords des étangs j’ai tout naturellement enchainé sur des études de biologie à la Fac de Lyon I. Maîtrise en Dynamique des Ecosystèmes et des populations animales en poche, j’ai bossé un temps dans le monde de la recherche et de la conservation. De contrats en vacations, du Grand Tétras dans les Vosges au service scientifique du Parc National des Ecrins, j’ai fini par me rendre compte que l’univers de la recherche et son travers du « résultat à tout prix » n’était finalement pas la manière dont j’envisageais ma relation à la nature. Ayant toujours utilisé la photographie lors de mes études comme un outil de savoir, j’ai décidé de parfaire ma formation au sein d’une école de photographie et ainsi transformer cet outil en un moyen d’expression à part entière. Un outil qui soit maintenant capable de transmettre non plus une information mais bien un message, une émotion, en vue de sensibiliser et d’impliquer les personnes qui regarderaient les images produites.

Et depuis maintenant plus de 18 ans, je suis photographe professionnel de Nature et de Conservation. A 46 ans je m’estime heureux de me sentir parfaitement à l’endroit où je le devrais et de pouvoir poursuivre cette voie qui me fait vibrer.

Vos actions en cours en quelques mots ? M’investir toujours plus dans les problématiques de conservation et continuer à apporter mon aide tant aux scientifiques de terrain qu’aux ONG qui luttent pour la préservation des espèces, des milieux et des cultures dites originelles.

Quels sont vos maîtres à penser, vos références culturelles ?  De nombreuses œuvres ou personnes ont influencé ma perception du monde, de l’autre et de la Nature au cours de ma vie. Dans le registre de la pensée, la liste complète serait trop longue à énumérer. Depuis l’expérience de vie et de relation à la Nature de l’œuvre de John Muir ou la manière dont Doug Peacock(naturaliste et écrivain américain né en 1942) décrit sa « renaissance » après la guerre du Vietnam grâce à sa rencontre avec les grizzlys dans « mes années Grizzly » en passant par le "Livre Tibétain de la Vie et la Mort" de Sogyal Rinpoché, toutes ces œuvres ont bien évidement eu une influence sur moi et ma relation au monde.

Tout autant d’ailleurs que certains profs incroyables que j’ai pu avoir en Fac.

Concernant le domaine de photographie de Nature, ce sont incontestablement Art Wolfe et Frans Lanting qui ont été mes « Maîtres à Regarder » lorsque j’étais plus jeune. Ils ont eu la capacité de guider, de façonner mon approche de l’image et ma perception du sujet. Le livre de Art Wolfe « The Living Wild », «Libre et Sauvage» en édition française, a pour moi été une réelle étape dans l’approche visuelle de la faune. Cette approche révélait l’animal, non plus en gros plan comme beaucoup de livres de l’époque, mais dans son milieu de vie et avec une parfaite proportion de l’un face à l’autre.

Pour moi le message était on ne peut plus clair  : « l’animal, quel qu’il soit, ne peut vivre sans son habitat ». Et encore aujourd’hui nous devons être capable de sortir de cette vision étriquée dont nous voyons les choses et la vie afin d’élargir notre champ de perception et comprendre que la vie animale ne va pas sans les milieux qui l’abritent.

Pourquoi la faune/l’animal sauvage, la vie sauvage Peut-être tout simplement parce que je me sens comme faisant pleinement partie de ce tout.

L’animal dans ce qu’il a de plus sauvage et authentique, par bien des aspects n’est que le reflet enfoui de nos propres instincts. La vie sauvage m’attire car je ne m’en sens pas différent.

Si vous étiez un animal sauvage, lesquels ? Sans hésitation le Grand Corbeau et le Lynx !

Pourquoi le Grand Corbeau?…Dans nombre de civilisations et cultures, des Mayas aux Celtes en passant par la mythologie Viking et Grec c’est un oiseau qui revêt une importance toute particulière entre le monde terrestre et spirituel. De médiateur entre le monde des vivants et des morts au statut de messager divin, chacun y va de sa croyance. Pourquoi pas. Pour ma part, je vois le Grand Corbeau plutôt comme un grand frère, un guide, qui régulièrement vient me chuchoter aux oreilles quelques secrets lors de mes affûts. Un photographe doit tout autant savoir regarder et écouter.

Et quant au choix du Lynx, c’est suite à une rencontre inoubliable avec l’un(e) d’entre eux que ma relation à cet animal (que j’admirai déjà par ailleurs) a réellement changé.

La ou les deux plus belles rencontres / émotions de rencontre ? C’est donc sans conteste cette incroyable rencontre avec ce lynx au Yukon.

En décembre 2018 je suis partie en Alaska et au Yukon en commande pour le magazine Terre Sauvage. J’avais notamment prévu de remonter plein nord le Yukon afin d’atteindre la frontière septentrionale des Territoires du Nord-Ouest. C’est au début de cette piste mythique qu’est la Dempster Highway que j’ai aperçu ce lynx traverser à 150 m devant moi et s’enfoncer dans la forêt.  Au cours de mon reportage, j’ai croisé plusieurs fois le Lynx du Canada. Animal aussi magnifique que furtif. Je l’ai toujours vu filer à plus de 200m de moi sans jamais me laisser une seule chance de le photographier.

Aussi, cette fois, j’ai laissé la voiture immédiatement sur le bord de la piste et je me suis dirigé vers l’endroit où je l’avais vu disparaitre. Pistant ses traces dans la neige, je me suis retrouvé nez à nez avec lui, à 20 mètres à peine. Il avait fait volteface et rebroussé chemin. Nous étions aussi surpris l'un que l'autre. Nous nous sommes regardé, je ne bougeais pas. Ne souhaitant pas le faire fuir en levant mon appareil pour le photographier, je me suis donc assis en lui parlant doucement, l’appareil sur les genoux. Et là ce fût assez incroyable. J’ai clairement vu quelque chose changer dans son regard. Il s’est apaisé et lui aussi s'est assis, face à moi. J’en avais des frissons et pas uniquement à cause du froid ambiant. Après un instant qui m’a paru aussi long que magique, très doucement, j'ai commencé à prendre une photo. Il a dressé les oreilles au bruit du déclenchement, mais il est resté. C'était un moment fantastique, au final je suis resté 35 minutes avec lui. Je n’ai pas fait beaucoup d’images mais il y a vraiment eu un partage entre lui et moi. Il avait délibérément décidé de me faire confiance.

Passé un moment des Geais de Steller passèrent bruyamment au-dessus de nous. Son instinct de prédateur s’est réveillé et il s’est levé aux aguets, les suivant du regard. Encore quelques photos. Une glissade sur les fesses pour raccourcir d’un mètre ou deux la distance entre nous et essayer de trouver un angle de vue sans trop de branches. Pas un regard. Il s’est alors assis dos à moi. Sans aucune sorte d’appréhension. Certes, je voyais ses oreilles basculer vers ma direction à chaque déclenchement mais j’avais vraiment le sentiment de vivre l’un de ces rares moment privilégiés où l’on se sent réellement comme étant un élément du tout. Pas l’un de ces bipèdes intrus dont chaque mouvement provoque une cohorte de comportements de fuite.

Cela dit, après avoir fait 3 images d’un lynx vu de dos, j’ai rapidement repris mes esprits et compris l’inutilité de ces photos. Avec la tête sur le côté, ce serait en effet nettement plus représentatif. Et là, grâce à la magie de nos équipements modernes, il m’a suffi de frotter mon bras sur mon flanc pour que le crissement peu agréable du tissu synthétique de ma très grosse veste (et très appréciée, vue les températures) pour que seigneur de ces forêts daigne me regarder…intrigué peut-être ?

Une branche étant entre nous, j’ai pu faire trois photos dans lesquelles notre lynx par un regarde de travers mais sans travers m’observe une fois par-dessous, une fois par-dessus et une fois…au milieu. Un triptyque somme toute original !

Et puis vint le moment où chacun dû regagner son monde. Et ce magnifique animal s’en ai alors retourné, avec juste un léger craquement de neige sous ses pas, à la tranquillité et au silence de ses forêts yukonnaises.

Winter enhances the colors and the magic that emerges from the Abyss Pool hot spring on the shores of Yellowstone Lake (West Thumb Geyser Basin). 

Votre/vos lieux de nature préféré ? Dans la Nature, c’est en forêt que je me sens le plus épanoui. C’est là que j’aime et ai besoin d’aller pour me retrouver. Pour retrouver ma quiétude, ma sérénité. Je m’y sens bien et calme. A ma place.

Dos à un chêne, entourer de mousse et de fougères, c’est le meilleur endroit du monde pour se ressourcer, pour médité…ou faire une sieste !

A quelques kilomètres de Whitehorse, en territoire Première Nation Kwanlin Dun, la rivière Fish Creek serpente au milieu de la végétation gelée

Le lieu mythique où vous rêvez d’aller ? Le monde est si vaste et si beau ! Au milieu de ces multiples endroits incroyables dont notre planète à le secret, j’avoue avoir un faible pour les forêts moussues de la côte ouest des Etats Unis et du Canada, mais également pour les paysages grandioses de la Nouvelle Zélande. Deux lieux que je ne connais pas mais qui ne manque pas d’attiser mon imagination.

L’œuvre qui vous semble illustrer/résumer/symboliser le mieux votre parcours ? Peut-être quand même le livre de John Muir, « Journeys in the Wilderness ». Ce précurseur de l’écologie, inventeur, scientifique, botaniste, géologue, écrivain et aventurier, est l’un des premières naturalistes modernes militant pour la protection de la Nature et le fondateur du Sierra Club.

C’est en grande partie grâce à ces écrits que la vallée du Yosemite a été préservée et que l’idée des parcs naturels américains a vu le jour. Cet ouvrage est plus qu’un simple recueil. Bien sûr il y décrit son amour et son émerveillement pour la nature et ses trésors mais c’est aussi un livre profondément initiatique. Paradoxalement une véritable quête du soi par l’oubli de cette individualité propre à l’homme. Pour lui un homme sans contact avec la nature n’est rien. Il n’est pas complet, en tout cas pas complètement un homme.

Quel matériel utilisez-vous dans vos sorties ? Les jumelles bien sûr ! A défaut de pouvoir me payer une paire de Swarovski (question de priorisation des budgets !) une paire de jumelle Steiner 10x42 est mon outil de base pour l’observation et mes sorties dans la nature. Indispensable.

Pour travailler, j’utilise des boitiers Canon avec grande satisfaction. Actuellement EOS 1Dx et EOS 6D II. Les optiques que j’utilise le plus couramment sont le 16-35 mm f4L, le 70-200 mm f4L II, le 400 mm DO II. Auquel j’adjoint tout un tas d’accessoires, du converter x 1.4 et x 2, bagues allonges, télécommandes, flashs et accessoires, optique macro… Et bien évidement quelques trépieds et rotules en fonction de ce que j’ai besoin de faire. 

Et quid de vos techniques de rencontre avec l’animal sauvage, approche, affut, ? Pourquoi choisir? Chacune a ses avantages et ses inconvénients. C’est bien évidement en fonction de l’espèce envisagée et de son milieu de vie que la technique va être adaptée. Ces techniques doivent rester des techniques. Et uniquement des techniques. Pour moi ce ne sont pas des fins en soi. Il en va de même pour la période du jour ou de la nuit. Ce sont les contraintes biologiques de l’animal qui vont dictée les techniques et périodes à privilégier. D’où l’indispensable phase d’apprentissage de la biologie, des habitudes et des dangers encourus par l’espèce sur laquelle nous avons porté notre dévolu.  Connaitre son sujet est essentiel tant pour la réussite des prises de vues que pour le respect et la tranquillité de l’animal.

Nous ne le répèterons jamais assez, c’est l’animal et son bien-être qui passeront toujours avant la réalisation d’une image. Nous faisons déjà assez de dégât comme cela sur notre planète sans avoir à en rajouter par des pratiques inappropriées et dangereuses pour les animaux et leur survie. Fussent-elles pour la bonne cause de la photographie de nature et l’émerveillement du public aux beautés du monde sauvage…

Un conseil au débutant dans votre activité ?  Premièrement connaitre son sujet ! Ce n’est pas une banalité. Il est nécessaire de bien connaitre l’écologie et comportement d’une espèce afin de savoir poser ses limites sur le terrain et agir avec une éthique irréprochable. La « mode » des concours photo a ses dernières années apporté dans nos forêts et nos prés beaucoup de personnes certes passionnées par la photo et la nature mais très loin d’être des naturalistes. Le résultat s’en ressent et les nombreux travers sont maintenant sévèrement sanctionnés par les jurys. Et ce point est donc étroitement lié à l’importance de l’éthique en photographie de nature. Posez-vous toujours la question de savoir si ce que vous envisager de faire ne met pas l’animal dans une posture de peur, de fuite ou de stress.

L’état d’esprit du photographe doit clairement s’orienté vers l’attitude de ne pas être considérer comme un intrus ou une menace pour l’animal. Respect de son propre espace vital.

Ensuite, la patience. Encore une banalité, mais réussir des photographies exceptionnelles ne se fait pas en 10mn ni même une heure lors d’un safari photo. Il faut passer du temps dehors, pour être capable de sentir et anticipé les comportements, avoir les bonnes lumières ou les bonnes ambiances. Le temps, c’est vraiment le plus important, et probablement le plus difficile à trouver lorsque l’on souhaite devenir un photographe de nature.

Un animal disparu revient, lequel ? Le tigre de Tasmanie ou Thylacine ou loup marsupial. Quel incroyable animal. J’aurai vraiment aimé pouvoir en observer un.

Une initiative prise ou à prendre en faveur de la faune sauvage,? Il y en a temps de nécessaire ! Dans un premier temps, arrêter le braconnage et le trafic mondial des espèces. Laisser de la place aux milieux naturels.

Une urgence pour la faune sauvage ? Endigué d’urgence le changement climatique. Il n’impacte pas seulement les vertébrés de notre planète (nous y compris !). Mais ce sont tous les écosystèmes qui vont en pâtir et des millions d’espèces, végétales comme animales qui vont disparaitre (ont disparues !).

Une association qui vous tient à cœur ? L’ASPAS !! Association pour la Protection des Animaux Sauvages.

Un courage monstre de faire ce que nul autre ne fait et de s’engager sur des combats tout autant essentiels que difficiles.

Cette association s’est donnée pour mission de mener des campagnes d’information pour mobiliser l’opinion publique, interpeller les élus et les décideurs, et sensibiliser tous les publics à la nécessité de protéger les milieux naturels et les espèces.

L’initiative des Réserves de Vie Sauvage est unique en France ! Un vrai grand coup de pied dans la fourmilière de notre vision étriquée de la préservation de la Nature en France. Depuis 2010, l’ASPAS mène une politique d’acquisition foncière afin de créer des espaces protégés où la seule activité humaine autorisée est la promenade sur des sentiers balisés. Le statut de protection apporté par ces réserves est du plus haut niveau. C’est l’équivalent de la catégorie « Zone de nature sauvage » du classement de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

J’invite l’ensemble des lecteurs à découvrir cette association : www.aspas-nature.org

Pour conclure, vous disparaissez ce soir, qu’aimeriez-vous laisser comme message aux autres ? Mais bougez-vous les gars !!! Il n’est pas trop tard pour notre nature ! Ici et dans le monde. Trop radical peut-être … non ?

 

 

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