Le bébé rhino, l’insémination artificielle et la conservation

Peut-on remettre le sort des espèces au bord de l’extinction dans les seules mains des spécialistes de la technologie reproductrice ?

Il s’appelle Edward. Il pèse près de 70 kilos et se porte à merveille. Né dimanche au zoo de San Diego, en Californie, le premier bébé rhinocéros blanc du Sud conçu par insémination artificielle en Amérique du Nord tient à peine sur ses quatre pattes que sa notoriété est déjà mondiale. L’actualité serait-elle si peu trépidante au cœur de l’été ? Sur les chaînes de télévision, qui ont repris la communication du parc animalier, on nous dit que cette naissance est synonyme d’«espoir» pour la préservation de son espèce «quasi menacée» d’extinction. C’est vrai : à l’état sauvage, il ne reste qu’environ 18 à 20000 spécimens, principalement e Afrique du Sud, en raison du braconnage et de la destruction de leur habitat. C’est encore plus vrai pour ses cousins du Nord, dont il ne reste que deux femelles depuis la mort, il y a un peu plus d’un an de Sudan, dernier mâle de cette sous-espèce qui peuplait l’Afrique du Tchad à la république démocratique du Congo.

Les techniques d’insémination, nous dit-on également, permettraient donc un jour prochain – «d’ici dix à vingt ans» – de sauver le rhinocéros blanc du Nord de son extinction certaine grâce à des embryons conçus in vitro et aux bonnes volontés des femelles rhinocéros blanc du Sud, leurs mères porteuses désignées. Entre-temps, les scientifiques devront tout de même se confronter à quelques difficultés de taille : tout d’abord arriver à séquencer le génome du rhinocéros blanc du Nord pour voir à quel point son matériel génétique diverge ou pas du pachyderme du sud; mais également parvenir à reprogrammer des cellules de peau de rhino en cellules-souches pluripotentes pour en faire des cellules et tenter d’obtenir des gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes), ce qui est à l’étude sans être vraiment encore au point.

Une dernière chance pour l’espèce ? Peut-être, même si ces travaux audacieux scientifiquement et dispendieux (plusieurs millions d’euros pour u projet similaire en Pologne) prêtent à controverse parmi les conservationnistes. En effet, peut-on remettre le sort des espèces au bord de l’extinction dans les seules mains des spécialistes des biotechnologies ? A cette question, beaucoup d’acteurs, scientifiques comme environnementalistes, répondent que ces efforts sont vains et devraient être déployés dans les politiques de conservation qui manquent, elles, cruellement de moyens et d’ambition qui marquent, elles, cruellement de moyens et d’ambition  – et pas seulement pour protéger les rhinocéros. En renforçant la lutte contre le braconnage par exemple, en améliorant la protection des milieux naturels (création de zones sanctuaires) et en associant à cette gestion les populations locales sur le terrain – en Afrique comme en Asie où les rhinocéros de Java et de Sumatra se comptent aussi sur les doigts d’une main.

Sous nos yeux, des milliers d’espèces animales, invisibles parmi les invisibles (poissons, insectes, amphibiens, oiseaux) s’éteignent en silence. Or on ne pourra jamais toutes les ramener à la vie. Alors, sans opposer les biotechnologies à la conservation, on aurait tort de faire de la première l’unique solution de la seconde plutôt que de ménager leur bonne entente. Afin de préserver au mieux les populations restantes, contrer leur déclin face aux pressions et aux prédations et, tout simplement, pour éviter la catastrophe. Floria Bardiou/Libération, 2 août 2019

Photo : Edward le rhino blanc, sur ses pattes, le lendemain de sa naissance. Photo Ken Bohn. AFP