Union européenne : les contrôles des importations ne permettent pas de lutter contre la pêche illégale

Seuls cinq États membres (Autriche, Chypre, France, Lituanie et Espagne) détaillent le nombre ou la proportion de CC ou de lots arrivés par conteneurs qui sont soumis à des inspections physiques.<br />© Isaac VEGA / WWF

Selon l'analyse publiée par Environmental Justice Foundation, Oceana, The Pew Charitable Trusts et le WWF, les disparités et la faiblesse des contrôles réalisés sur les importations des pays clés de l'Union européenne permettent aux poissons issus de la pêche illégale de passer à travers les mailles du filet et donc d'arriver dans les chaînes d'approvisionnement de l'UE.

Une évaluation complète des contrôles

Il s'agit de la première analyse des données transmises par les États membres à la Commission européenne pour la période 2014-2015 dans le cadre de la mise en œuvre du règlement relatif à la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), entré en vigueur dans l'UE en 2010.

Elle révèle d'importants problèmes et disparités en ce qui concerne les contrôles des lots de produits de la mer qui entrent sur leur territoire.

De grands pays importateurs tels que l'Italie et l'Allemagne n'appliquent toujours pas de contrôles rigoureux sur ces lots même lorsqu'ils proviennent d'États ayant fait l'objet d'avertissements de la part de l'UE. La plupart ne dispose pas des outils adéquats pour prévenir et lutter contre la pêche illicite. Par ailleurs, les procédures mises en œuvre par la plupart des pays de l'UE semblent insuffisantes pour leur permettre de respecter les obligations minimales de contrôle prévues par la législation européenne.

Sur la base de ces éléments, l'analyse souligne la nécessité de conduire une évaluation complète des progrès réalisés par chaque pays dans la mise en œuvre des contrôles sur les importations qu'impose le règlement relatif à la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).

 

Une harmonisation des procédures et une numérisation des certificats de capture

Pour éviter que des opérateurs sans scrupules ne tentent de faire passer leurs captures par des ports où les contrôles seraient moins rigoureux, il est urgent de mettre en place des procédures plus harmonisées et plus rigoureuses et de développer la numérisation dans toute l'UE des informations issues des certificats de capture d'ici la fin de l'année 2017.

Selon les autorités en charge de l'application de la législation en vigueur, les importations qui entrent dans l'UE par conteneur – 90% du volume de toutes les importations halieutiques – sont particulièrement problématiques, notamment parce que les procédures correspondantes ne sont à l'heure actuelle ni harmonisées ni alignées sur une norme suffisamment rigoureuse.

Seuls cinq États membres (Autriche, Chypre, France, Lituanie et Espagne) détaillent le nombre ou la proportion de CC ou de lots arrivés par conteneurs qui sont soumis à des inspections physiques.

Les importations par conteneur nécessitent des procédures rigoureuses d'évaluation et de contrôle qui permettront de faire face à la complexité et à l'ampleur de ces échanges commerciaux.

L'analyse publiée ce jour vient corroborer les conclusions d'une récente étude selon laquelle l'arrivée des produits de la mer issus de la pêche illégale était rendue possible par l'utilisation frauduleuse des certificats de capture sur papier et l'absence d'un système européen recoupant les informations issues des documents d'importation. Il est en effet démontré que l'incohérence des contrôles des importations peut entraîner la déviation des flux commerciaux à haut risque vers les États membres qui appliquent des procédures moins strictes.

Isabelle Autissier, présidente du WWF France:

« Pour que le règlement européen de lutte contre la pêche illicite soit réellement efficace, il est absolument nécessaire que tous les Etats membres s'impliquent fortement dans sa mise en œuvre. Nous ne pourrons parvenir à éviter que des importateurs peu scrupuleux s'orientent vers des ports européens où les procédures sont moins strictes qu'avec un niveau de mobilisation homogène et une coordination entre les Etats. Une base de données électronique européenne des certificats de capture doit ainsi être mise en place au plus vite ! La France doit quant à elle poursuivre les efforts entrepris pour le renforcement des contrôles et rester particulièrement vigilante vis-à-vis des pays à risque ».

Tony Long, directeur du projet « Fin de la pêche illicite » mis en œuvre par Pew:

«Les procédures d'importation sont trop disparates, ce qui affaiblit le système de certification des captures et les normes rigoureuses suivies par certains États membres. Il est nécessaire d'améliorer cette situation si l'UE, en tant qu'État de commercialisation, souhaite éradiquer les produits INN.»

Maria José Cornax, directrice de la campagne Pêche d'Oceana:

«Ce rapport montre qu'il y a lieu de renforcer les orientations et les normes pour les procédures d'importation. Il souligne également les lacunes des rapports de mise en œuvre transmis par les États membres, et en particulier le fait que ces derniers n'ont pas l'obligation de ventiler les données des CC par État du pavillon d'origine — ce qui complique fortement l'évaluation des niveaux de risque de pêche INN.»

Steve Trent, directeur général d'Environmental Justice Foundation:

«Cette étude est un coup de semonce pour que les États membres renforcent leurs efforts visant à mettre en œuvre le règlement INN dans son intégralité, et pour que la Commission veille à ce qu'ils le fassent. Nous invitons en particulier les États membres à renforcer leurs capacités et à appliquer des procédures détaillées et standardisées afin de veiller au refus de l'entrée des lots illicites sur le marché européen.»

 

Qu'en est-il de la France ?

Comme pour d'autres grands pays importateurs de l'UE, la mise en œuvre française du règlement INN a un impact décisif sur les efforts de l'UE visant à prévenir l'entrée de poissons illicites sur son marché.

Les importations
  • À l'échelle mondiale, la France est le 5e plus grand importateur de produits de la mer et de la pêche, avec un taux de croissance annuel moyen de 4,8 % pour la période 2004-2014.
  •  La France importe environ 275 000 tonnes de produits de la pêche couverts par le règlement INN chaque année, ce qui en fait le 6e plus grand pays de l'UE dans ce domaine.
  • La France a reçu 88 345 CC d'importation au cours de la période 2014-2015, ce qui la classe 3e de l'UE.

La mise en œuvre des contrôles des importations
  • En 2014-2015, la France a vu une augmentation des CC d'importation provenant de pays hors UE après que la Commission européenne a lancé des avertissements à ces pays dans le cadre de la procédure d'avertissement par carton prévue par le règlement INN. Cela a notamment été le cas du Sri Lanka : la Commission a donné un carton jaune au Sri Lanka en novembre 2012 pour ne pas avoir rempli ses obligations internationales en matière de lutte contre la pêche INN. En 2014, le nombre de CC d'importation reçus par la France pour des poissons capturés par des navires sri lankais a atteint près de 2 000 CC, contre environ 775 CC en 2012. Cette hausse peut indiquer une déviation de ces flux commerciaux à « haut risque » depuis d'autres États membres vers la France, et nécessiterait une analyse plus approfondie.
  • La France a demandé à de multiples reprises à la Commission européenne de mettre en place un système informatique et une base de données des CC pour toute l'Europe dans le but d'améliorer la mise en œuvre du système de CC prévu par le règlement INN. Un tel système permettrait de réaliser des recoupements sur les CC entrants dans toute l'UE, par exemple pour détecter une utilisation du même CC à plusieurs reprises et pour améliorer l'analyse du risque en surveillant les flux commerciaux à destination de l'UE.