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Espèces mars-mai 2018

La vie intime du dodo enfin révélée!

L'éditorial de Cécile Breton, rédactrice en chef
Pourquoi le dodo ? Et pourquoi pas l’o’u, le po-o-uli masqué ou même la ninoxe rieuse ? S’il fallait vraiment choisir un emblème – fallait-il en choisir un ? – parmi les animaux disparus sous l’action de l’homme pour les représenter tous, nous aurions l’embarras du choix. Même si, pour une obscure raison – mnémotechnique ? –, nous devions réduire ce choix aux oiseaux affublés de patronymes ridicules.
La véritable raison c’est que nous n’avons pas vraiment choisi le dodo – lui non plus d’ailleurs, c’est évident. Si le pigeon mauricien est devenu un emblème c’est, d’abord, parce qu’un beau jour Lewis Carroll croisa son portrait dans les couloirs du musée de l’université d’Oxford. Sans doute ce professeur de logique pensa-t-il immédiatement que ce gros poulet à l’air ahuri aurait idéalement sa place entre le chat du Cheshire et le lièvre de Mars dans le bestiaire du pays des merveilles. À sa décharge, il faut dire que la peinture de Roelandt Savery, pourtant réalisée à une époque où le poulet courait encore, ne lui rendait pas hommage (voir p. 19) : encerclé par deux gracieux perroquets qui semblent ricaner, le pigeon goitreux aux ailes atrophiées est figé dans un cadre qui semble avoir du mal à le contenir. Dénonçons au passage cette grande injustice, car le dodo assura la postérité du peintre comme, un peu, celle de l’écrivain.
Puis, le dodo s’assoupit entre les pages d’Alice pendant très longtemps avant qu’un marionnettiste néerlandais ne le réveille, en 1955, pour en faire le personnage principal d’une série télévisée pour enfants. Grâce à lui, dodo est devenu aux Pays-Bas, synonyme d’imbécile.
Alors pour ceux que l’expression “gros poulet à l’air ahuri” a choqués, je précise qu’il ne s’agit que d’un constat, non d’un jugement de valeur, car c’est bien l’image qu’endossa le dodo au début de sa carrière. Non seulement nous l’avons exterminé, mais nous l’avons ensuite ridiculisé. Pour les marins du XVIIe siècle qui s’en nourrissaient, un animal qui ne craignait pas l’homme était naturellement considéré comme un imbécile… mais nous aurions pu revoir cette première impression plus rapidement. Le dodo bashing s’essouffla néanmoins à mesure que les préoccupations environnementales se faisaient de plus en plus pressantes jusqu'à ce que, enfin, nous comprenions que, de l’homme et du dodo, le plus imbécile des deux n’était pas celui que l’on croyait.
Le dodo poursuivit sa carrière télévisuelle dans les années quatre-vingt, à la télévision suisse romande, dans Le dodu dodo où il s’adresse aux enfants avec une voix nasillarde et un fort accent créole. Une sorte de version animale de Carlos. Il n’y brille toujours pas par son intelligence, mais il est tout de même présenté comme le symbole des espèces disparues. Si, aujourd’hui, le dodo s’est diversifié (c’est une bière, un groupe de rock psychédélique, une expression anglaise, le nom d’un journalLa voix du dodole journalisme bouge encore, l’emblème de l’ile Maurice, etc.), souvenons-nous que nous avons bâti son capital sympathie sur le fait qu’il était un imbécile au physique disgracieux, un oiseau à gros bec qui ne pouvait pas voler.
 C’est un peu comme s’il devait notre empathie à son idiotie, comme si sa vulnérabilité nous absolvait un peu. Faut-il aller jusqu’à penser que si le dodo est si fédérateur, c’est justement en raison de son caractère inoffensif ? Prenons, par exemple, le cas du thylacine, le loup de Tasmanie qui, avec sa mâchoire puissante, avait tout pour se défendre. Chassé par les éleveurs pour les bonnes raisons que l’on imagine, on a vendu sa peau à coups de primes étatiques pendant des décennies. Il bénéficia d’une protection alors qu’il n’était plus qu’un animal de zoo… et devenu inoffensif.
Alors, et vous l’aurez compris, je n’aime pas beaucoup que l’on utilise le dodo comme emblème des espèces disparues. Il y a de la condescendance à protéger les imbéciles qui ne se sont pas défendus. C’est pourquoi je lui dédie ces vers d’Aragon qui parlent des sacrifiés de la Grande guerre : je préfère le voir comme un guerrier qui, comme ces soldats, a fièrement combattu et n’est plus aujourd’hui… que pour avoir péri.
Sommauire

• La vie intime du dodo révélée par ses os par Delphine Angst (paléontologue, attachée temporaire d’enseignement et de recherche au laboratoire des sciences du Climat et de l’Environnement).

• Les épaves, oasis de vie temporaires par Laurent Urios (docteur en biologie, ingénieur de recherche à l’université de Pau et des Pays de l’Adour).

• La biodiversité urbaine et son évolution par Maxime Pauwels (maitre de conférences, université de Lille) et Guillaume Lemoine (référent “biodiversité et ingénierie écologique” à l’Établissement Public Foncier Nord – Pas de Calais).

• Constantin Samuel Rafinesque ou les tribulations d'un naturaliste peu ordinaire par Benoît Grison (enseignant-chercheur à l’UFR Collegium sciences et techniques, université d’Orléans).

• L'énigme des algues filamenteuses de Méditerranée par Alain Couté (professeur émérite au MNHN), Catherine Perrette (attachée bénévole au MNHN) et Jérôme Payot (responsable scientifique de la réserve naturelle marine de Cerbère-Banyuls).

• Portfolio / Portraits décalés par Louis Lagurgue

• Tribune / L'intelligence des arbres : mythe ou réalité ? par Catherine Lenne (enseignante-chercheure, laboratoire de physique et physiologie intégratives de l’arbre en milieu fluctuant).

• Biodiversité ordinaire / L’extravagant fusain d'Europe par Gérard Guillot (professeur agrégé en sciences de la vie et de la Terre).

• Quoi de neuf chez les plantes ?/ Des fruits pulpeux pour disséminer les graines par Christine Dabonneville (professeur agrégé en sciences de la vie et de la Terre).

• Carte blanche / Les divergences d’opinions amplifiées par l'éducation par Guillaume Lecointre (directeur du département “systématique et évolution” du Muséum national d’histoire naturelle).

• Mémoires de naturalistes / Un musée princier disparu par Eric Buffetaut (directeur de recherche émérite au CNRS).

• Entr’espèces / Plancton pêcheur de carbone par Bruno Corbara (université Clermont Auvergne/CNRS).

• Tour de France géologique 6 / Les témoins d'un océan disparu par Pierrick Graviou (géologue au BRGM).

• Fondamentaux / De Frank Zappa aux origines de l'espèce par Bruno Chanet (professeur agrégé des sciences de la vie et de la Terre).

• La science par les objets / Vacciner les insectes par Chloé Laubu (UMR biogéosciences et mission Culture scientifique de l'université de Bourgogne).

Nom :

Espèces

Numéro :

Date de parution :

27
2018-02-27

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