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COPELAND Sebastian, explorateur photographe : nouveau livre, retour sur un portrait

Sebastian Copeland - 55 ans - aime les îles, surtout celles de l'extrême comme l'Arctique qu'il a traversée à pied après avoir arpenté l'Antarctique durant deux saisons. C'est dire si il sait ce qu'est le froid, la solitude, les contraintes imposées par la nature.

C'est dire aussi s'il sait ce qu'est la nature et si, du coup, il a conscience des atteintes que lui porte l'être humain.

C'est un type cash, qui parle net, qui sait où il va et qui n'a pas peur de l'avenir même s'il se préoccupe de l'état de la planète. Une sorte de pionnier à l'américaine - on avance, on cherche, on trouve!

Et dont la connaissance de la beauté du monde (le côté artiste) rejoint la conscience de la nécessité de sa préservation (le côté militant).

Sur les grilles du jardin du Luxembourg à Paris, en septembre 2018, il a montré - "De pôle à pôle, un monde qui disparaît"- ce que son regard ( aidé de ses appareils photo) a rencontré : la beauté, la sauvagerie, mais aussi le risque que tout cela s'évanouisse par notre faute.

Il veut "semer l'alarme" dans l'esprit des visiteurs. Par la beauté,  "un lien vers la nature".

photo JBDumond

Il vient de publier "Antarctica, the waking Giant" (Rizzoli), une synthèse d'aventures et une réflexion sur le climat

 

 

Rencontre avec un explorateur-photographe-aventurier-baroudeur-militant qui peut nous aider à évoluer vers le mieux!

Web : www.sebastian-copeland.fr

Facebook : scopelandadventures

Instagram : copelandadventures

Twitter : sebcopeland

Quel parcours jusqu’à cette exposition sur les grilles du jardin du Luxembourg à Paris ? J’ai commencé très tôt dans l’aventure, avec Jules Vernes, et surtout Jack London – mon écrivain de chevet -, « Croc Blanc », « L’appel de la forêt » …,

mais aussi les récits plus idéalistes à la sensibilité socialiste comme « Martin Eden » ; puis les récits des explorateurs comme Shackleton, Scott, John Franklin, Amundsen…, tous les grands explorateurs.

L'expédition Schakelton

Adolescent, j’avais envie d’être explorateur des régions polaires, sans en avoir aucune idée, ayant grandi dans les villes (Paris, New York, LA, Londres…).

Ensuite j’ai eu la chance d’emprunter l’appareil photo de ma mère ; et, à 12 ans, j’ai eu un petit appareil Kodak en plastique ; mon grand-père vivait en Afrique du Sud (Swaziland),

et je suis parti en safari, et j’ai pris mes premières photos de girafe, d’éléphant, de crocodile… avec cet appareil ; je me souviens on s’est fait charger par un rhino noir. C’étaient mes premières photos mais c’est cela qui m’a fait démarrer et m’a donné le goût pour l’image.

Ensuite, je suis passé à un Olympus OM2. Puis, à 16 ans mon père m’a donné un Canon A1, un bel appareil. Puis ma mère est passé au Nikon F3 que je me suis rapidement approprié dès 18 ans ! Je l’ai toujours, depuis 1980, avec la même pile !

Je suis parti ensuite au collège à LA pour étudier le cinéma, et entre temps j’ai étudié la photo, entre université et stages.

J’ai fait une licence de cinéma et d’anglais, j’ai fait des clips, puis je suis entré dans la publicité – en film et en photo de pub et de célébrités d’Hollywood.

Tout en restant aventurier dans ma tête : ski et bateau dès 3 ans – la mer est devenue rapidement ma maîtresse -, voile, planche à voile, surf – l‘océan était mon domaine. A Los Angeles mais aussi sur l'île de Ré (j’y ai été moniteur de planche à voile),puis la randonnée et plus tard l’escalade et la montagne sont devenus des points forts de mon rapport à la nature et à l’aventure. 

Tout en me disant « quand j’aurai la cinquantaine, je partirai vers les pôles ». Car c’est cher d’aller là-bas ! Mais le désir est le carburant qui fait trouver des solutions. Et permet de devenir l’ingénieur de sa destinée.

C’est à la fin des 90’s que je me suis éduqué davantage, en rencontrant des gens qui m’ont introduit à la nature et surtout à la question du changement climatique.

Ce déclic m’a encouragé et motivé pour aller vers les pôles en y associant mon expérience de la photo et mon goût de pour la nature.

Mon appareil photo était un atout et un équipement nécessaire dans toutes ces expéditions. Tout en m’investissant dans le combat pour la prise de conscience des questions environnementales. 

Puis, après quelques voyages en Arctique, en 2006 j’ai eu l’occasion de partir sur un bateau de recherche en Antarctique où j’ai passé une saison, répétée en 2007(2 ans après Katrina et avant le livre « La vérité qui dérange » d’Al Gore) qui m’a permis d’avoir un vrai contact avec le monde de la glace. Cela m’a permis une approche privilégiée et libre de cette nature, et dans les règles.

Heureusement ce continent est protégé par le traité de Madrid qui limite et discipline sa fréquentation (lieux, approches des animaux, non exploitation minière et commerciale).

J’ai fait des plongées sous-marines, des approches risquées au milieu des icebergs….

Après deux saisons, j’avais rassemblé assez de « butin » visuel pour écrire et éditer mon premier ouvrage « Antarctique, alerte sur la planète » en français mais – titre plus intéressant en anglais – « The global warning », jeu de mot entre « warning » et « warming » !

(« Antarctica: The Global Warning » – quel rappel terrifiantde ce qui est en jeu et raison pour laquelle nous ne pouvons pas abandonner avant que le travail ne soit terminé ! » - John Kerry, Ancien Secrétaire d’État des États-Unis)

Comme je travaillais avec l’ONG Green Cross, l’ouvrage a été introduit et préfacé par Gorbatchev (son fondateur) et Leonardo di Caprio, qui commençait à s’impliquer dans l’environnement.

Ce livre est arrivé au bon moment, il a touché un nerf quelque part. J’ai obtenu plusieurs prix (dont celui de photographe de l’année). Et ça m’a permis de continuer.

J’ai compris que dans la nature 90% du succès c’est l’accès, savoir où chercher, où attendre, où se poser.

Je me suis transformé, avec ces acquis, en explorateur de la glace et j’ai fait ma première exploration du pôle nord en 2009 (année du centenaire de Robert Peary,le premier à atteindre le pôle Nord), expérience difficile...

Pourquoi est-ce difficile ? Parce que le pôle Nord est considéré comme un milieu très difficile, le plus difficile, car très risqué – 55 à 60 jours de tortures qui durent, la température, l’humidité -, on ne peut jamais faire un break, lire un livre, écouter de la musique, à la limite du supportable pour l’être humain ; Contrairement à l’Antarctique, l’Arctique est un océan entouré de terres qui bougent constamment (marée, vents, courants) et se fracturent et

S.Copeland

s’ouvrent sur des profondeurs immenses. Il faut traverser, parfois sauter à l’eau, tirer son traineau qui pèse jusqu’à 200Kg, franchir des murs de glace. On marche sur une glace qui recule !

Sans compter l’humidité extrême et le très grand froid (-50, -55) ! Contrairement à l’Antarctique qui est froid et sec et qu’on traverse au printemps.

La tente est constamment glacée, la température tombe rapidement, le sac de couchage se couvre de givre. 

C’est un milieu dangereux ? Oui, surtout à cause des ours polaires. Ils se promènent, cherchent de la nourriture, sont curieux et, d’un coup, peuvent s’intéresser à l’homme !

S.Copeland

A ce propos, quelles rencontres animalières vous ont le plus impressionné ? L’ours polaire est le summum : fascinant, dangereux…une rencontre qui fait vibrer et monter l’adrénaline. C’est le prédateur le plus large, très confiant de son milieu, aussi à l’aise sur la glace que dans l’eau. Il est parfaitement adapté et surtout il peut courir jusqu’à 40Km/h. Les Inuits classent ses différents comportements : curiosité, provocation, charge. J’ai fait les trois expériences, j’ai été attaqué, j’ai eu le temps de m’adapter, échanger caméra et fusil. Il m’a chargé trois fois, agressivement, à 3 mètres, j’ai tiré à côté de lui. Dans ce cas, heureusement, c’était une femelle juvénile, simplement curieuse, et elle n’a pas insisté.

Quel est leur problème majeur aujourd’hui ? L’espace, la nourriture ? L’ours chasse sur la calotte. En hiver les phoques « cultivent » des trous sur la glace; L’ours se tient à côté, se cache le museau avec la patte, attend que le phoque émerge et l’attrape.

S.Copeland

En été, la glace fond (actuellement plus tôt comme elle gèle plus tard en hiver), les étés sont de plus en plus longs, la période de jeûne s’allonge. Les ours ont plus de mal à trouver leur nourriture.

En même temps, il y a un mouvement migratoire d’ours qui commencent à sur-peupler des territoires et y créent un stress de nourriture pour certaines populations. En plus le sevrage des petits se retarde. D’où le besoin de nourriture additionnel. Il y a même des cas de cannibalisme. 

Et en Antarctique ? Les Manchots ! Il n’y a pas de gros prédateurs heureusement, donc les manchots ont à peu près la paix. 

Manchots/S.Copeland

Et les mammifères marins ? Les baleines à bosse, quand elles émergent, quand elles sautent, pour communiquer ou se débarrasser des balanes. Il y a un rythme dans leurs sauts qu’on peut presque calculer. C’est formidable de les voir venir près des bateaux, des rencontres sensuelles, très émotionnelles. 

Whale breaching/facebook

Mais l‘ours reste le symbole des problèmes du climat.

Que voulez-vous faire passer comme message lors de l’exposition sur les grilles du Luxembourg ? Vous avez dit « la beauté est un lien vers la nature », c’est cela que vous voulez exprimer ? La beauté est un véhicule qui permet d’ouvrir les esprits. La relation entre la nature et l’homme est une vieille histoire, avec un malentendu perpétuel : l’être humain a toujours voulu plier la nature à ses besoins (Siècle des Lumières, les religions – l’homme à l’image de Dieu) et la nature opère à sa façon, de façon cruelle à notre échelle.

La nature n’a pas de début et de fin, elle se transforme en permanence. La planète se fiche de qui l’habite – homme ou animal -, elle s’adapte. Il n’y a pas de logique dans l’Univers – seulement des lois, comme la gravité -, c’est nous qui essayons d’en mettre. Selon les périodes, l‘océan a été acide ou pas, couvert de glace ou pas….

La grande différence aujourd’hui, c’est la « contribution » de l’être humain à l‘évolution, son approche juvénile. Si on avait inventé les panneaux solaires avant les énergies fossiles, on n’en serait pas là.

Comme pour la photo : si on avait inventé le numérique avant la chimie, on n’aurait pas de chimie !

Alors, cette époque numérique est-elle une chance pour demain ? Pour les nouvelles générations, c’est une aubaine.

Mais la plus grosse urgence c'est la nécessité pour l‘être humain de développer et d’exploiter le concept de la compassion, c’est la dimension qui peut nous aider à survivre, vis-à-vis d’autrui : associer humain et nature.

Aller au-delà de ce qui nous sert de façon immédiate.

L‘avenir est déterminé par la technologie et la science qui va se trouver aux mains d’algorithmes (Intelligence Artificielle) de plus en plus développés et plus puissants que les capacités humaines. Notre Frankenstein mythique devient plus puissant que son créateur !

Exemple : on est en train d’envisager comment « terraformer » Mars, c’est-à-dire de reproduire sur Mars des conditions identiques à celles de la terre – créer de l’humidité, créer une atmosphère… - . Ce ne sont pas les êtres humains qui vont faire cela, ce sont les robots.

Mais un jour, le robot pourrait se dire « est-ce que j’ai besoin de l’homme » ?! Qu’est ce qui va alors empêcher que nous devenions l’animal domestique du robot ? Nous ne possédons pas la pensée exponentielle des algorithmes qui évoluent selon la loi de Moore.

Mais tout ce que l’être humain a que le robot n’aura jamais, c’est la compassion. Une vision qui va au-delà de subvenir à ses besoins.

Quand je suis né, il y avait moitié moins d’êtres humains sur la planète ; On va être 11 milliards en 2070 ; on se démultiplie, on vit plus longtemps, on a accès à une qualité de vie beaucoup plus agressive sur l’environnement, 100 fois plus.

Si on ne prend pas conscience de notre rapport à la terre, que nous sommes un virus, si on ne s’oriente pas vers une vision plus globale, la machine va nous rayer pour maintenir un statu quo.

On va se retrouver dans « 2001, l’Odyssée de l’espace », avec Al qui ne va pas ouvrir la porte du vaisseau.

2001: A Space Odyssey

L’homme doit cultiver sa pensée philosophique pour se séparer de la science et de la technologie. Sinon, nous n’avons aucun futur, car nous n’avons aucune chance face à l‘Intelligence Artificielle. 

La seule chose qui nous singularise, c’est notre capacité d’empathie, de compassion, de comprendre que cet arbre est aussi important que nous, que ce frère nous définit comme être humain… Si on n’a pas cette capacité de raisonnement, on n’a pas d’avenir.

Il faut donc arrêter cette idée de l’exceptionnalité de l’humain, de sa prétendue supériorité.

C’est un peu l‘objectif de l’exposition ? Oui, l’objectif de l’exposition, c’est « semer » l’alarme, c’est dire que si les glaces sont les premiers éléments à disparaître, ce ne sont pas les derniers, c’est le canari dans la mine de charbon. La glace telle qu’elle se présente a plusieurs millions d’années, l’homme quelques dizaines de milliers. Or, c’est en trente ans que la glace s’en va et on va la perdre d’ici quelques années !

A tel point que mon retour au pôle Nord depuis le Canada est peut-être compromis, tant la saison de fréquentation possible se réduit.

Il est donc  possible que nos enfants n’aient pas la possibilité de reproduire mon rêve d’enfance d’aller au pôle Nord à pied. 

L’exposition tente d’avoir un élan émotionnel vers la prise de conscience de sauver la planète.

Dès qu’on a une identification visuelle, on a une attache émotionnelle qui, avec un peu de chance, peut monter à l’esprit. 

Il faut associer la science, la politique, les médias…, il faut associer tout le monde, toutes les mains doivent être sur le pont comme le dit Carl Sagan.

 

Icebergs, Îles Melchior, Antarctique/S.Copeland

Pensez-vous qu’il y a compatibilité entre le système économique dominant et l’environnement? L’environnement est finalement une question socio-économique et géopolitique, ne question politique qui doit se traduire en solutions économiques cohérentes.

La technologie existe, des solutions existent, il faut maintenant une vision politique, des choix politiques.

On vit dans une apathie car on ne regarde pas à long terme. Comme la grenouille dans l’eau froide que l’on fait chauffer et qui ne se rend pas compte qu’elle va mourir.

On va vers une extinction massive, dans des délais très courts – voir le jour du dépassement qui avance, au 1er août cette année -, il est plus qu’urgent d’agir.

Steve Hawkins disait que l’homme n’a pas mille ans encore sur cette planète, je le trouve optimiste.

A propos du départ de Nicolas Hulot, le ministère de l‘écologie, c’est un ministère de l’impossible ? La politique est nationaliste alors que l’environnement est global.

Par définition, un ministère de l’environnement est d’une nécessité absolue, avec une vision à long terme, avec un travail gigantesque. C’est un travail ingrat, on fait face à des divergences politiques, c’est un travail sans fin. Je regrette que ce départ ait été trop émotionnel, ce qui est difficilement compatible avec l’action politique. Car il vaut mieux percuter un mur à 60Km/h qu’à 100 !

Mais c’est facile à dire !

Ceci dit, je suis fier que Nicolas Hulot ait donné son patronage à mon exposition.

Et quid de Trump ?Sans commentaires !

C’est à l’opposé de ce qu’on vient de se dire ! Il est à la fois phénomène et risque. Et symptôme de la peur qui règne sur la société face à l’évolution du monde : environnement, migration, mondialisation, arrivée du numérique, rapidité de la communication…

Nous traversons une grande crise d’adaptation. Dans deux générations, après sans doute des conflits, et si nous surpassons cette période, ces questions d’intégration de culture n’existeront plus.

Je crois que l’utopie humaine, encore une fois si on ne s’explose pas d’ici là, ressemblera à une sorte de modèle communiste, dans l’esprit de ce que Marx et Engel pensaient, mais sans la répression.

Et que l’homme pourra retrouver sa vocation première : regarder le paysage, écouter de la musique, lire, rêver, écrire des poèmes, faire l’amour… 

Pour conclure, on a un avenir alors ? On est à un moment excitant, pionnier, de transition entre l’être humain et la technologie (ex. l’investissement gigantesque dans le domaine des batteries : si on sait stocker, on n’a plus besoin d’énergie fossile).

Oui, on a un avenir, un avenir utopien !  C’est ma pensée bouddhiste qui me pousse à dire cela ! Savoir qui on est mais aussi qui est l’autre !

 

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