Personnalités à découvrir

DELORD Françoise et Rodolphe

Il y a comme un parfum d’errance dans la vie de Françoise Delord – fille d’institutrice, comédienne, artiste -, à la façon d’un animal sauvage qui parcourt un territoire avant de s’y installer ; une vie pas comme les autres où se mêlent difficultés et chance, volonté et amour, instinct et vision. Elle aurait pu traverser le monde en roulotte, ses deux marmots derrière elle, aller de ville en ville, de foire en foire, monter ses tréteaux, et faire spectacle, avec singes, ours, oiseaux. Mais son amour des animaux l'ont conduit vers un vaste projet : le ZooParc de Beauval qu'elle a créé à partir de quelques oiseaux et qui est aujourd'hui, grâce à elle, mais aussi son fils et sa fille, un des plus grands d'Europe et qui, surtout, se préoccupe de la préservation des espèces menacées.

Il faut d’abord lire son livre « INSTINCT » avant d’entrer à Beauval, pour comprendre ce qui l’y a conduit. C’est émouvant, comme toute histoire d’artiste, poète de la vie, d’une autre vie, plus belle, plus harmonieuse, plus aimante.

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En complément du numéro spécial de Terre Sauvage d’avril 2015 consacré au ZooParc de Beauval, nous avons passé un moment avec Françoise et Rodolphe, son fils, qui a, dans sa foulée, propulsé Beauval au premier rang des parcs zoologiques de France, avec la volonté d’en faire d’abord un lieu de préservation de la richesse de la vie sauvage, même s’il conçoit que la vie sauvage… devrait rester sauvage.

Françoise Delord, comédienne d’abord ? Oui !

En classe de Robert Manuel, je voulais entrer à la Comédie française et jouer Phèdre. C’était ma passion de gamine, toute jeune je voulais jouer Racine. J’étais forcenée de théâtre, grâce à ma mère et ma marraine, férues de littérature, avec lesquelles nous récitions des vers le soir, qui m’en ont donné l’amour.

J’ai fréquenté les théâtres de Paris, où nous allions tous les soirs, le TNP, la Comédie Française, le cours Escande, le Conservatoire d’Art Dramatique avec René Simon, Robert Manuel…, tout le répertoire classique et côtoyé des comédiens merveilleux, Jean Villard, Maria Casarès, Sylvia Montfort, Gérard Philippe…

Puis, par Robert Manuel, j’ai présenté des centaines de spectacles à Bobino pendant 6 ans. Je devins «Mademoiselle Bobino», en scène chaque soir, une robe neuve par spectacle, que je cousais moi-même ! Ecriture, animation, et encore des artistes, Brassens, Noiret, Brel, sa chanson « Les filles et les chiens » :

« Les chiens ça n’vous donne rien, c’est peut être pour ça qu’on doit les aimer… ».

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L’histoire de Beauval commence là ? Un jour, à l’occasion d’un abonnement à un magazine, j’ai gagné deux oiseaux, deux Becs d’argent (hélas importés alors).. ! Et voilà ! J’ai acheté une petite cage, puis d’autres oiseaux, puis d’autres cages, puis…. J’avais un grand appartement, je faisais de la menuiserie, j’ai construit mes volières. Arrivée à 300 oiseaux, il a fallu bouger.

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Cornures (perruches du soleil)

 

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Rodolphe : maman m’a piqué ma chambre pour y mettre des oiseaux, m’a mis dans la chambre de ma sœur (Delphine, aujourd’hui directrice de la communication de Beauval).

Françoise : J’ai peu à peu abandonné la scène.

Mes beaux parents habitaient Tours, ils ont trouvé et m'ont donné cette propriété de 5Ha, lieu d’origine du Parc. L’aventure a commencé. J’ouvre d’abord, en 1980, un parc ornithologique ; une petite table à l’entrée, ma petite caisse, je vendais mes billets ! ….

Rodolphe m’a rejoint à 16 ans, après plus ou moins d'études. On a travaillé ensemble durant des années. Au début, 17 000 entrées, puis 50 000 ; mais les oiseaux vous savez… Claude Caillé (La Palmyre) m’a suggéré d’introduire des fauves, Rodolphe et Delphine m’ont poussé à le faire. Léopardeau, puma, jaguar, et surtout tigre blanc en 1991 qui a boosté le parc. C'était parti!

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jaguar : mâle tacheté, mère et jeune atteints de mélanisme

DSC_9817                                                            Panthère des neiges

Rodolphe : je suis né dans les oiseaux, j’ai arrêté mes études en 1988, pour créer le parc zoologique avec maman. Aujourd’hui, on est connu et reconnu pour le nombre d’animaux (6 000), des animaux exceptionnels, rares – Lamentin, Koala, Okapi, les grands singes… , les Pandas (arrivés en 2012 après de longues négociations), et surtout comme un grand centre de conservation de la biodiversité. On est membre de l'association des parcs et zoos (95 zoos, 20 millions de visiteurs), on a créé une association de conservation et de recherche, Beauval Nature, qui finance - à hauteur de 500 000€ par an - des projets de terrain (30/35 programmes par an, espèces et milieux, réintroduction d’espèces, achat de forêts, lutte contre des espèces envahissantes).

Aujourd’hui, Beauval accueille près d’un million de visiteurs.

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Françoise : j’ai eu aussi la chance d’avoir Delphine qui s’est mise à la communication et la pédagogie, et la femme de Rodolphe pour l’administration et les Relations humaines. 

Pour vous, c’est quoi la mission d’un zoo ?

Françoise : la protection des espèces menacées

Rodolphe : à mon sens, quatre missions : être des lieux de découverte, d’éducation, de pédagogie, d’information; des lieux de conservation – c’est d’ailleurs une obligation pour les zoos - de la biodiversité et du potentiel génétique (chaque individu a un numéro) en lien avec les autres zoos du monde; des lieux de recherche : on mène de nombreux programmes de recherche en éthologie des espèces; exceptionnellement, des lieux pour la réintroduction (chevaux de Przewalski, Oryx d’Arabie, Oie néné d’Hawaï, le Gypaète barbu…).

DSC_9778Terriblement humain!

On a malheureusement des espèces qui n’existeront bientôt que dans les zoos. 

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C’est compliqué de gérer l’équilibre de la nature, protéger les milieux, les espèces, sortir les espèces de leur milieu, les protéger sur place, pas facile ?

Rodolphe : les détracteurs de zoos préfèrent qu’une espèce disparaisse plutôt qu’on la mette dans un zoo ; c’est un point de vue. Moi, je préfère voir un animal sauvage dans la nature que dans un zoo, mais souvent, le zoo c’est la dernière chance.
DSC_9773Langurs de Java (jeune roux, adulte noir. Espèce en danger dans la nature).

Il faut faire ensemble, protéger sur le terrain et conserver la ressource génétique.

Il reste 80 Rhinocéros de Java, c’est fichu ; il faudrait capturer ces derniers individus, les mettre dans un sanctuaire, mais c'est très difficile. Les Rhinocéros blancs du sud n’existeront bientôt plus que dans les réserves.

Donc les zoos sont un lieu essentiel de sensibilisation ; ici on fait passer des messages sur l’huile de palme, le coltan, le développement durable (gestion des déchets, des papiers, des restaurants, des produits d’entretien…, et nouvelle usine de méthanisation intégrée).

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Vous êtes optimiste sur l’avenir de la biodiversité ?

Rodolphe : ce qui est irréversible, c’est la population mondiale ; on va être 10 milliards, les chinois vont représenter un quart de la population de la planète; ils mangeaient du riz, ils veulent manger de la viande, ils veulent tous des voitures… Plus les indiens.

Il faut être réaliste.

Françoise : Quelle est la pire espèce animale au monde ?!!!

Rodolphe : On a donc un rôle à jouer, préserver des populations. Et arrêter aussi d’être alarmiste : certaines espèces vont mieux, chez nous en tout cas.

Vous êtes impliqué dans les problèmes de trafic ?

Rodolphe : Il y a toujours des problèmes, un peu moins je pense. Il y a trois jours, on a trouvé deux lions attachés aux portes du Parc des Félins! Il arrive que nous soyons réquisitionnés sur des opérations avec la gendarmerie.

Il y a encore beaucoup de trafic vers la Russie et les pays arabes.

Françoise : il y a aussi les braconniers ; qui tuent les adultes, ramassent les petits et les vendent.

Rodolphe : on surveille nos Rhinos ; 5 kg de corne, 50 000€ le kilo, c’est tentant. Même à la Grande Galerie du Museum, ils ont coupé les cornes, remplacées par des cornes en plastique.

Il faudrait aussi évoquer le trafic de viande de brousse, en liaison avec la culture des populations. Il y a un transit énorme dans les aéroports. Et même des marchés de singe à Paris !

DSC_9785Tamarin-lion, très menacé par la déforestation et le trafic

Le public est-il conscient de ces questions ? Il vient pourquoi ? Il lit les pancartes ? Il milite ?

Rodolphe : il vient en premier lieu pour se divertir. Mais il ne visite plus comme avant. Les gens sont conscients du rôle que l’on joue, que l’on doit jouer désormais. Et ils ont une autre vision en ressortant.

Françoise : il y a aussi les spectacles – les otaries, les oiseaux -, des spectacles pédagogiques, les animations, les classes découvertes qui font passer des messages.

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Rodolphe : avec les Pandas par exemple, qui plaisent beaucoup aux gens, on peut dire des choses. Avec les otaries qui jouent avec une bouteille en plastique, on peut expliquer le problème du plastique ingéré par les tortues matines.

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Votre boutique est assez pauvre en livres, en guides de nature ?

Françoise : on ne gagne rien sur les livres, et au départ il fallait équilibrer les finances du zoo.

Rodolphe : oui, c’est dommage, on va essayer d’améliorer.

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Si vous étiez un animal sauvage ?

Rodolphe : je n’y ai pas réfléchi ; pour moi, ils ont tous la même importance.

Françoise : un fauve je crois, un guépard !

 

Y a t’il des lieux dans le monde qui vous ont particulièrement frappés ?

Françoise : le Kénya, les lionnes. J’avais envie de descendre les caresser.

Rodolphe : Djibouti ; quand vous tombez à 5 mètres sur un requin baleine! ; j’en ai vu deux fois à 15 mètres de profondeur. Bornéo aussi, les Orangs-Outans.

 

Y a t’il un lieu mythique, un lieu où vous aimeriez aller ?

Rodolphe : je ne connais pas l’Amérique latine ; on a des projets en Colombie . On a un ami dans le Pantanal qui gère un projet de Tapir, et un projet de Tatou géant. C’est un endroit merveilleux.

Françoise : moi j’aime l’Asie ; nous allons chaque année à Bali ; mais il reste peu de faune sauvage, des chiens errants, quelques singes de Java, le Martin blanc. L’Amérique du sud m’attire moins.

 

Un animal disparu qui reviendrait ?

Rodolphe : il y en a tellement ; le Dodo peut être.

 

Quelle initiative à prendre en faveur de la faune ?

Rodolphe : à Djibouti par exemple, on ramène des animaux disparus dans des réserves (girafes) tout en faisant de la communication dans les villages. Si une panthère tue une chèvre, on leur achète une chèvre, puis on essaie de leur expliquer qu’ils évitent de laisser leurs chèvres errer.

 

Françoise conclue : ça a été dur, mais c’est de la passion!

 

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