Personnalités à découvrir, Les scientifiques

FRETEY Jacques

Herpétologue passionné au long cours, Jacques Fretey, 72 ans, a roulé sa bosse sur la planète pour défendre et protéger les habitats tropicaux et les tortues, marines en particulier, qu'il connait sur le bout de la carapace.Jacques 01

Les étapes essentielles de son parcours de vie :

. 1970 : Obtention de la bourse de la Fondation de la Vocation, ce qui lui permet de partir 2 ans en Guyane française. Il y fait, avec des missions de l’ORSTOM-IRD, l’Institut Pasteur et le Muséum de Paris, un inventaire des Chéloniens et découvre alors les plages de ponte (uniques au monde) de la Tortue luth.Jacques 03

. 1977 : Début des campagnes internationales de suivi de la ponte des Luths en Guyane avec Muséum de Paris, le WWF, Greenpeace… Elles dureront jusqu’en 1996.

Grunewald c(photo O. Grunewald)

Jacques 07 A

. 1983 : Il représente la France au Western Atlantic Turtle Symposium au Costa Rica et est adoubé parmi ses pairs par le Pr Archie Carr.

. 1998 : Création avec la Convention de Bonn (CMS) et l’UICN-France du Mémorandum  d’Accord sur les Mesures de conservation pour les Tortues marines de la Côte atlantique de l’Afrique (dit « Mémorandum d’Abidjan »). Il en devient le coordonnateur scientifique.

. 2000 : Award de la conservation

Actuellement Jacques mène en Guinée un projet dans les très oubliées îles Tristao. Ce projet veut associer de façon exemplaire un volet conservation de la biodiversité à un important volet humanitaire.

Il se bat aussi depuis plusieurs années pour la création du parc national marin de Manyange na  Elombo Campo au Cameroun qui sera en superficie la 5e plus grande AMP d’Afrique occidentale (Cf. Le Courrier de la Nature n° 290 de 2015).

Il a, par ailleurs, organisé 2 manifestations à la Villa Arnaga (Pays Basque) : un spectacle théâtral en 2016 sur la dynastie des Rostand avec l’acteur Jean-Claude Drouot et en 2017, avec plusieurs professeurs du Muséum de Paris, un hommage à Jean Rostand pour le 40e anniversaire de sa disparition.

 

Jacques Fretey a publié un "Guide des Reptiles et Batraciens de France" (Hatier), "Guilleret, le lézard vert" (Hatier), « Les tortues marines de Guyane » (Editions Plume Verte) et publié de nombreux articles dans les revues scientifiques.

Il prépare actuellement un film sur ses 40 ans de combat.

Nous avons rencontré cet "homme tortue" entre deux missions.

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Quels sont vos maîtres à penser ? Mon parcours professionnel, très lié à mon parcours global de vie, a été marqué par des étapes liées à chaque fois à une personnalité scientifique qui me faisait avancer, rebondir, me redynamisait, me conseillait : Jean Rostand, Pr Pierre Paul Grasset, Pr François Bourlière (créateur de l’UICN), Pr Robert Hoffstetter, Pr Archie Carr, Pr Leo Daniel Brongersma, Pr Federico Medem, Theodore Monod, Peter Pritchard, Douglas Hykle…

C’est surtout Jean Rostand qui a été le propulseur primordial de mon parcours et le plus important à partir de quoi toutes les étapes de ma vie naturaliste se sont succédées.

Pourquoi l’animal sauvage ? Je suis tombé dans le chaudron Nature quand j’étais gamin. Mes copains s’intéressaient aux Oiseaux, moi ce fut tout de suite les Reptiles et Amphibiens. Difficile d’expliquer (surtout à l’époque à mes parents effarés !) mon attirance pour ces mal -aimés. On dit que les serpents peuvent fasciner… Ils m’ont fasciné.

Si vous en étiez un, lequel ? Peut-être un crocodile. J’ai une grande attirance pour ce groupe zoologique des Crocodiliens. Et si les évènements ne m’avaient pas lié ainsi aux seules tortues marines, j’aurais aimé travailler sur les crocodiles. J’avais d’ailleurs envisagé, dans ma période guyanaise, un mécénat avec la société Lacoste pour étudier le Caïman noir…

Je ne souhaiterais pas être une tortue marine car leur vie, depuis l’œuf jusqu’à un âge très avancé, est une vie à très hauts risques.

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La ou les deux plus belles rencontres avec la vie sauvage? Il y en a 3 qui me viennent immédiatement à l’esprit…

1). Bien sûr la première Tortue luth qui, en 1971, est sortie de la mer face à moi, alors que j’étais absolument seul, sur la plage très isolée d’Aztèque en Guyane (maintenant protégée au sein d’une réserve naturelle nationale grâce à moi et j’en suis fier). La vision de cette énorme Luth si proche a certainement été l’étincelle qui a mis en branle tout mon combat des années suivantes et jusqu’à maintenant.

2). Mon expédition dans le Parc national de Monte-Alen, en Guinée Equatoriale, avec le conservateur de cette aire protégée. Aucun Primate vu pendant de longues marches en forêt (seulement des cris entendus de Chimpanzés). Mais au retour au village de base, un jeune Gorille orphelin qui me saute dans les bras, puis me prend la main et me tire pour me montrer ses jouets. Grand moment !

3). Sur la plage de Saziley, à Mayotte, quand j’organisais le premier suivi des tortues marines sur cette plage, quand des Lémuriens sont arrivés en bande dans les arbustes d’arrière-plage et sont mis à m’engueuler et sans doute à me faire comprendre que je violais leur territoire.

Jacques 07 B

Votre lieu sauvage de prédilection? Depuis plusieurs années, ce sont des sites africains où j’ai des projets. L’un est la grande plage mauritanienne, avec les extraordinaires grandes dunes oranges de Jraif plongeant dans la mer. A chaque fois que j’y suis, je pense bien sûr à Théodore Monod qui a foulé ce sable avant moi.

Je me sens chez moi à Ebodjé, au sud-ouest du Cameroun. J’y ai créé une petite station de recherches et je suis notable de la Chefferie du village. Je me bats depuis 12 ans pour la création d’un parc national marin dans cette région. Je vais y arriver théoriquement cette année.

Un lieu mythique où vous rêvez d’aller ? La caldera du volcan Alcedo, sur l’île Isabela, dans l’archipel des Galapagos. Les tortues géantes s’y regroupent à une certaine saison. Une expédition avec Peter Pritchard y avait été envisagée et ne s’est jamais faite.

L’œuvre qui vous semble illustrer le mieux votre parcours ? Sur une vingtaine de bouquins que j’ai écrits, seul ou en collaboration, c’est peut-être celui sur les tortues marines de Guyane, aux Editions Plume Verte, dont je suis le plus content. Malgré la réduction budgétaire de dernier moment pour l’impression, obligeant à supprimer beaucoup de photos pleine page de la maquette et à réduire le nombre de pages, c’est je pense un beau livre. J’en ai fait la maquette de la couverture à la dernière page avec une infographiste exceptionnelle de l’Imprimerie de l’Ouest à La Rochelle. J’aurais pu rédiger les textes tout seul. Mais  je connais mes limites, mes manques. J’ai donc demandé à des collègues, plus compétents que moi dans certains domaines de recherche, de co-écrire avec moi.

Quel genre de matériel utilisez-vous dans votre activité ? Je ne suis pas photographe professionnel, mais je me sers beaucoup de la photo dans mon travail de terrain. Tombant souvent sur des scènes naturalistes étonnantes, j’ai eu à une époque des photos gérées par Biosphoto. Je fais cependant attention à vivre en direct ce que je vis et d’éviter de tout voir à travers un viseur d’appareil photo. Ca m’est arrivé par le passé et je fais maintenant la part des choses.

Grunewald a(photo O. Gunewald)

Et quelles techniques de rencontre  avec l’animal sauvage ? J’ai la chance d’étudier les tortues marines, essentiellement sur leurs sites de ponte. Ce sont elles qui viennent à moi sur la plage et pas besoin d’affut, il suffit d’une approche non dérangeante.

Un conseil au débutant dans votre activité, que lui diriez-vous ? Je conseille souvent des étudiants, puisque j’en ai toujours qui travaillent avec moi dans mes projets. J’essaye de leur insuffler ma vision des choses, qui est plus celle d’un naturaliste du XIXe siècle que d’un chercheur du XXIe, et ça les perturbe souvent car ils pensent qu’on ne peut étudier la faune sauvage que si les chercheurs sont bardés d’électronique, d’informatique et d’écrans. Ce qui ne veut pas dire que je suis allergique aux technologies sophistiquées (j’ai inventé le balisage satellitaire et l’identification par des transpondeurs magnétiques chez les tortues marines), mais pour moi ce n’est pas une fin en soi, juste des moyens d’aller plus loin dans la connaissance.

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(photo O. Grunewald)

Un animal disparu revient, lequel ? L’Archélon ! Ce Chélonien marin est le plus grand connu. Il mesurait environ 4,50 m et pesait plus de 2 tonnes. Je fantasme sur le fait que vivant au Crétacé il n’a pas complètement disparu et qu’une nuit de pleine lune une femelle de l’espèce Archelon ischyros vient pondre sur la plage tropicale où je me trouve !

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 Travaillant dans des régions où la mami wata est un être mythique, j’imagine aussi un jour rencontrer une sirène qui en serait vraiment une et non pas un Lamantin à la chevelure d’algues. J’aimerais bien, d’ailleurs, assister au Cameroun ou à Bahia, au Brésil, à la cérémonie annuelle qui est faite pour célébrer mami wata ou yemandja.

En termes de préservation, quelles initiatives devraient être prises ? Des initiatives en faveur de la faune sauvage, ça fait partie de mon quotidien professionnel. Je me bats pour ça depuis quasiment toujours, au moins depuis mon adolescence. J’ai gagné quelques combats, mais j’en ai aussi beaucoup perdus.

Y a t’il une association pour laquelle votre cœur bat davantage ? Il y en a peut-être 2…La SNPN car j’y suis maintenant l’un des plus anciens administrateurs, avec Pierre Pfeffer. J’ai mené des combats que j’ai gagnés avec l’aide de cette association nationale et j’y ai côtoyé de belles personnalités comme le regretté Théodore Monod. Je n’y suis plus très utile, mais j’y reste par sentimentalité, l’ami Gilbert Simon m’ayant dit un jour que j’y étais l’un des derniers guerriers. Mais maintenant que j’habite à 700 km de Paris et étant souvent en Afrique, il m’est difficile d’assister aux conseils d’administration.

Et puis mon association Chélonée (voir www.chelonee.org et https://www.facebook.com/Sea-Turtles-Chelonee-1766100613667684/), car c’est mon outil de travail au quotidien. Elle est officiellement, pour le ministère  français de l’Ecologie et le U.S. Fish & Wildlife Service, un interlocuteur privilégié pour la mise en œuvre du Mémorandum d’Abidjan.

Une urgence en de faveur la faune sauvage? Faire disparaître l’Homo destructor de la surface de la Terre ! Est-il vraiment utile que j’explique pourquoi ?

Pour conclure, vous disparaissez ce soir, quel message aimeriez-vous laisser? Mon maître Jean Rostand disait qu’être naturaliste, c’est soulever les jupes de la Nature. J’ai soulevé les jupes de la Nature pour mieux connaitre certains milieux, certaines espèces assez mystérieuses comme la Tortue  luth.

J’ai, je pense, fait ce que j’ai pu, pas toujours avec de gros moyens, pour sauver ce pourquoi (espaces et espèces) j’avais quelques aptitudes pour réussir à les sauver d’une destruction certaine. Désolé de n’avoir pu faire mieux, le résultat est médiocre. Je sais maintenant que le combat était vain pour sauver une certaine Nature contemporaine face à la cupidité et  l’irresponsabilité humaine. Mais je sais que Gaïa a beaucoup de ressources en elle et qu’après que l’Homme se sera fait disparaître lui-même à son tour, une nouvelle Nature reverdira.

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