Personnalités à découvrir

SELOSSE Marc-André

Nous nous sommes croisés lors d'une conférence en commun sur la biodiversité dans le cadre d'un festival nature de Lagny-sur-Marne initié par la mairie et son directeur de cabinet d'alors, Philippe Guerlet (initiateur et co-fondateur de faune sauvage.fr).

Très impressionné par ses connaissances botaniques et la pertinence des ses interventions, nous nous étions promis d'aller plus loin un jour, d'en savoir davantage sur ce naturaliste

Né le à Paris, Marc-André est un biologiste français spécialisé en botanique et mycologie qui a travaillé sur la symbiose, en particulier dans les domaines de l’évolution et de l’écologie. (voir biographie sur Wikipedia : ICI)

Profitant de l'occasion de la création BioGée, nouvelle fédération au service des Sciences de la Vie et de la Terre - qu'il a co-fondée -, et d'une récente conférence de présentation, nous l'avons enfin rencontré.

Un parcours qui vaut la balade!

Ouvrages principaux

"L'origine du monde", une histoire naturelle du sol (Actes Sud, 2021)

M.-A. SELOSSE, 2000. La symbiose : structures et fonctions, rôle écologique et évolutif. Vuibert, Paris. 154 p.

M.-A. SELOSSE, 2017. Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations. Actes Sud, Arles, 368 p.

M.-A. SELOSSE, 2019. Les goûts et les couleurs du monde. Une histoire naturelle des tannins, de l’écologie à la santé. Actes Sud, Arles, 358 p.

 

Votre Parcours  en quelques mots ? J’ai eu la chance que mon grand-père m’emmène en forêt toutes les semaines lorsque j’étais enfant et j’ai ainsi découvert les champignons. C’est ce qui mène une vie de botaniste et mycologue fasciné par le monde naturel et son observation. J’ai ensuite fait l’Ecole Normale Supérieure (une école d’interdisciplinarité !) et une thèse dans le domaine des champignons mycorhiziens, ces champignons qui sont associés aux racines des plantes, comme par exemple la truffe… Enfin j’ai eu la chance de pouvoir devenir enseignant-chercheur : en devenant professeur du Muséum en 2013, j’ai, à 52 ans, trouvé l’équilibre parfait, pour moi, entre enseigner, vulgariser et faire de la recherche.

Vos actions en cours et à venir en quelques mots ?  Mon objectif est de mettre au service de tous les énormes acquis de la connaissance scientifique. Cela passe à la fois par une présence dans le domaine de l’enseignement (je suis actif en formation des enseignants comme dans les commissions de programmes officiels de SVT) mais aussi par de la vulgarisation au travers des médias radiophoniques et télévisuels chaque fois que possible, des vidéos disponibles sur Internet comme sur YouTube, ou encore l’écriture de livres ou d’articles. Pas trop facile quand on gère au jour le jour des équipes de recherche, comme celles que j’anime à l’Université de Gdansk et à Paris, au Muséum, sur ces fameux champignons mycorhiziens. 

Quels sont vos maîtres à penser, vos références culturelles ? Les influences qui structurent une vie sont trop nombreuses pour se prêter à une courte liste mais s’il fallait en citer deux je voudrais faire un hommage à mon professeur de SVT de cinquième qui m’a donné l’envie de travailler sur les champignons. Et puis également à « la structure des révolutions scientifiques » de Thomas Kuhn qui explique clairement ce qu’est le progrès scientifique et relativise les avancées tout en sanctuarisant ce que la communauté scientifique bâti de concert. Beaucoup de mes maîtres m’ont enseigné par les mots sans jamais écrire de livres et je ne voudrais pas faire la même erreur qu’eux.

 Pourquoi la vie sauvage ? L’observation est quelque chose qu’on ne peut épuiser et qui pose des questions qui nous renvoient aux concepts et aux questions générales incessamment. Beaucoup de ces questions d’ailleurs ont été posées par des étudiants à moi avant que j’ai l’occasion de comprendre que je pouvais me les poser moi-même, à un âge où hélas l’habitude de réponse écrase la capacité à poser des questions simples. Dans mon livre sur « les goûts et les couleurs du monde », qui traite des rôles étonnants des tannins dans le monde qui nous environne, je suis assez content d’avoir pu composer de nombreuses pages sur la base de l’observation du réel assistées par les questions de mes étudiants… pour expliquer la vie sauvage

Si vous étiez un animal sauvage ou une plante, lesquels? Linné avait choisi de donner son nom à une plante pleine d’humilité pour dire sa propre humilité par rapport à la création divine. Moi qui ne crois en aucun Dieu, je n’ai envie d’être ni un animal sauvage ni une plante. Je veux être un homme car c’est une espèce animale, un peu sauvage car difficilement domestiquée par elle-même. Je n’aurais pas assez de ma vie pour être humain avec assez de sagesse ni assez de puissance pour avoir une utilité dans l’écosystème actuel ou dans les écosystèmes à venir. Il n’est pourtant jamais venu à l’idée d’être autre chose qu’utile dans la société où je vis.

La ou les deux plus belles rencontres / émotions de rencontre de vie sauvage ?. Ma première émotion est une orchidée sans chlorophylle qui a suscité mes premières recherches : la Néottie nid-d’oiseau est une orchidée sans chlorophylle qui se nourrit par le biais de champignons qui colonisent ses racines, mais également les arbres voisins dont elle tire indirectement ses ressources. L’étude des interactions entre plantes voisines par des champignons partagés est un champ de questionnement et de renouvellement de nos connaissances écologiques sans fin, qui guide le travail de mles équipes de recherche. La seconde émotion que je voudrais rapporter est celle des galles, ces déformations imposées aux plantes par des parasites. Je n’ai de cesse de les observer et d’identifier les agents qui les causent mais c’est ici un plaisir égoïste car je n’ai encore jamais publié, ni guère enseigné à ce sujet.

http://data.abuledu.org/URI/506402b0

Votre/vos lieux de nature préféré ?Il est très difficile de répondre à cette question car le propre du naturaliste est de trouver à s’intéresser partout où il est. En revanche je dois avouer que la découverte des écosystèmes coralliens sous les tropiques ou encore de la forêt tropicale avec sa canopée et ses épiphytes a été pour moi était une singulière émotion. Ces milieux croulent à la fois d’observations riches d’un point de vue esthétique et de stratégies physiologiques ou écologiques qui mettent singulièrement en perspective celles que nous observons dans nos écosystèmes tempérés.

Le lieu mythique où vous rêvez d’aller ? Pour moi et après avoir vu le milieu tropical comme je l’indiquais, la plupart des milieux actuels ne recèlent que des copies de ce que nous pouvons comprendre et c’est plutôt vers des écosystèmes anciens que j’aimerais aller. J’aimerais beaucoup mettre mes bottes et aller passer quelques instants il y a 400 millions d’années ou, encore mieux mais avec des bouteilles de plongée, dans les océans il y a 600 millions d'années…

L’œuvre qui vous semble illustrer le mieux votre parcours ? J’avoue avoir une admiration immense pour l’œuvre de Jared Diamond qui arrive à relier histoire, ethnologie et sciences de l’évolution dans ses ouvrages (« de l’inégalité entre les sociétés », « effondrement », etc.). Je suis aussi béat d’admiration devant la capacité narrative et le don d’aller d’une anecdote au concept d’un Stephen Jay Gould ! Ces auteurs ont guidé ma façon d’écrire (avec plein d’humilité !) mon ouvrage sur les tannins (les goûts et les couleurs du monde) où j’essaye de révéler des choses que tout le monde a vu au travers des propriétés communes qui les expliquent !

Quel matériel utilisez-vous lors de vos sorties ? La question se découpe en deux aspects sur moi. L’un d’eux est l’observation, qui nécessite souvent une loupe car d’une façon générale le monde vivant est beaucoup plus petit que ce que nous pouvons observer : malheureusement nous ne sommes pas à l’échelle idéale pour voir le monde. Il est microscopique pour l’essentiel et nous avons besoin d’instruments de grossissement pour l’observer. L’autre aspect est celui de la conservation de l’observation et même si j’ai été entraîné à dessiner, j’avoue que le téléphone portable offre à présent des solutions exquises en termes de confort et de qualité d’image pour conserver l’instant, sans compter la vidéo qui capte l’action : j’ai abandonné les outils plus sophistiqués que j’avais un temps achetés pour photographier et filmer !

Et quelles techniques de rencontre avec le sauvage ? Je le répète, la rencontre avec le sauvage se fait partout. Il faut un peu de temps et de concentration, et aussi se poser des questions. Je ne suis pas l’homme d’un seul groupe du vivant seulement : je ne suis ni ornithologue ni purement botaniste ou purement mycologue. J’aime bien observer tout ce qui est autour de moi et quand je ne comprends pas, j’ai la chance d’avoir un réseau d’amis et de contacts qui me permet en diffusant des images ou des croquis de savoir ce que je n’ai pas compris. Vous savez, l’incompréhension commence au marché…

Un conseil au débutant dans votre activité ? Il faut être très concentré sur ce que l’on voit et être capable de se poser des questions naïves. Quand on a la chance comme moi d’avoir des étudiants, ou des élèves, il faut écouter attentivement leurs questions qui recèlent des approches des choses que nous ne questionnons plus car elles nous sont habituelles. Ensuite il existe à la fois des forums sur Internet mais aussi des sociétés scientifiques qui nous permettent de transformer nos questions en compréhensions, en trouvant au coup par coup des mentors, pour donner des noms et identifier des processus qui les engendrent. Il y a aussi les livres pour cela mais ce sont des partenaires tristes - si je me souviens bien des sentiments qu’il a éveillé dans ma propre adolescence.

Un animal/une plante disparu.e revient, lequel, laquelle? Je suis désolé que l’évocation des Prototaxites ne permette pas vraiment de répondre à cette question d’une façon que tout le monde comprendra. Mais ces fossiles âgés de 400 millions d’années qui restent énigmatiques alors que certains pouvaient mesurer jusqu’à 8 ou 10 m de haut posent des questions à la fois quant à leur forme exacte et à leur mode de vie. Eh oui, on ne sait même pas ce qu’étaient ces organismes : j’ai publié des articles pour démontrer que ce sont des lichens géants mais la question reste ouverte… Il est vrai que le grand public les ignore, mais ils montrent à quel point la biosphère a pu changer.

Une urgence pour la vie sauvage ? À mon sens la vie sauvage survivra à toutes les coups de canif et à toutes les violences que l’homme lui fera mais ce qui survivra le moins est l’humanité telle que nous la vivons. Nous sommes l’urgence de la vie sauvage et du respect des milieux de vie. Car notre propre vie et sa qualité dépendent des écosystèmes qui nous entourent. Ces écosystèmes-là, je ne leur donne pas un million d’années après la disparition de l’humanité pour redevenir riches et divers. Mais il y a au fond de moi quelque chose d’assez humaniste pour espérer que l’humanité soit encore là et j’appelle de mes vœux des écosystèmes qui nous laissent une place, ou pour être plus exact j’appelle de mes vœux une action sur les écosystèmes qui nous laisse une place digne. Il faut relire les lignes de Hans Jonas sur le poids moral qui pèse sur nous pour léguer à l’humanité de demain des écosystèmes qui lui permettent d’avoir la même liberté de choix et d’existence que nous avons eu.

Une initiative prise ou à prendre? Je pense que former la génération suivante est vraiment le cœur du combat que nous devons mener : il est clair que l’information reçue par les générations précédentes n’a pas pu empêcher le désastre écologique où nous nous trouvons. Elle n’a pas su non plus empêcher le début de l’érosion de ce qui fait notre bien-être. Plutôt que de corriger les vieux qui n’en ont plus que pour quelques dizaines d’années à abîmer le monde, moi je pense que c’est la jeunesse qu’il faut soigner. D’abord elle n’a pas de culpabilité, ensuite elle est par essence généreuse, enfin si on lui donne les outils moraux et techniques, elle pourrait faire mieux.

Une association qui vous tient à cœur ? J’ai cofondé la Fédération BioGée, un groupe de sociétés scientifiques, d’Académies, d’associations d’entreprises et de sociétés d’enseignants qui initie un mouvement collectif parmi les Sciences du vivant, de la santé, de la Terre et de l’environnement, pour défendre les apports de ces disciplines dans les crises auxquelles se trouve confrontée la société française (http://www.biogee.org/).

Notre mouvement collectif est né du recul de nos disciplines dans la réforme du Lycée et les priorités de l’enseignement primaire. Plus largement, BioGée veut promouvoir un message commun vers la société, sur les sujets de santé, d’environnement, de durabilité et d’éducation citoyenne. Loin d’être seulement disciplinaire, BioGée souhaite penser et promouvoir les interdisciplinarités qui serviront les citoyens dans les questions sociétales complexes en émergence. Au travers d’actions variées, dont l’organisation d’une journée nationale annuelle dédiée aux sciences du vivant et de la Terre, nous souhaitons ajouter la voix de nos disciplines au concert de celles qui façonnent l’avenir de nos sociétés.

Pour conclure, vous disparaissez ce soir, qu’aimeriez-vous laisser comme message aux autres ?

"Fac et spera", fais et espère que cela servira. Nous sommes tous petits mais si nous faisons bien notre travail, il rejoint celui des hommes et des femmes qui font le même travail. Nous passons mais nous sommes une des touches du pinceau qui dessinent l’avenir.

 

 

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