Photographes animaliers

Simon BUGNON

J’ai commencé à faire des images afin de rapporter et partager le bonheur vécu lors d’escapades, en recherchant des fragments du sauvage le long de sentiers oubliés et de ruisseaux encaissés. En Ardèche, parfois ailleurs mais rarement bien loin. J’ai tendance à laisser s’éloigner les rêves de contrées lointaines en préférant revenir maintes fois en un même lieu pour en découvrir les trésors. À préférer l’intime au spectaculaire, en réapprenant sans cesse à regarder.

Rêver comme un enfant. Se réveiller avec des sentiments prégnants de forces sauvages. Avoir rendez-vous avec un éclat de lumière, un animal ou une fleur. Courir, grimper, s’arrêter, laisser le temps filer, se remettre à marcher en s’accrochant à une intuition. Avoir soudain le souffle coupé. Laisser les questionnements se faire balayer par l’évidence. Reconnaitre ce que l’on ne connait pas. Sentir les larmes couler. Remercier les pierres, les feuilles et le vent. Espérer futilement que les images rapportées conserveront un parfum de ces instants, et quelques bribes de l’expression des éléments…

Les éclairs d’émerveillement, qui ont sans doute une parenté avec les coups de foudre, nous attendent aux jonctions de l’espace et du temps où l’on se retrouve dans l’en-dehors de soi. La photographie est une synchronicité. L’émerveillement, ce qui permet de se sentir faire partie d’un ensemble plus grand. Mon guide, ma motivation. La porte d’entrée vers une autre ontologie, un bond au-dessus des démons de l’occident affairés à creuser le fossé entre culture et nature pour s’arroger la possession de cette dernière, l’antidote à l’utilitarisme.

Suis-je photographe de nature ? La photographie n’est qu’un moyen et la nature n’existe pas… 

 

Entretien avec...

Quel cheminement personnel jusqu'à l'animal sauvage ?

J’ai passé les toutes premières années de ma vie dans un cadre naturel exceptionnel, mes parents ayant fait l’expérience d’une vie pratiquement autarcique, à l’écart de la fureur de la foule et des voitures. Ma vision de cette période résulte surement davantage de mes rêves que de souvenirs véritables, mais je pense que cette proximité avec la nature a été fondamentale.

En osant, je dirais que j’en suis resté, au fond de moi, un animal sauvage. Le déchirement qui s’en est suivi, avec l’arrivée en ville, je le vois comme une sorte d’analogie à l’isolement qui a provoqué chez l’Homme la dichotomie entre nature et culture. L’arrivée dans les montagnes d’Ardèche, salvatrice, m’a permis de poursuivre mon enfance entre la scolarité, avec une difficile socialisation, et les évasions sur les sentes des sangliers. Les plus beaux rêves dont je me souvienne, de mon enfance, sont ceux où je me métamorphosais en un renard, filant à vive allure sous les taillis, ou en un circaète planant au dessus des crêtes…

J’ai eu besoin, pour satisfaire ma curiosité, mon besoin de comprendre, et peut-être aussi en réaction aux brimades, de développer un esprit rationnel, analytique, et de chercher à contenir mes émotions, ne laissant guère de place à la spontanéité, mais c’est toujours mon rapport à la nature qui m’a permis de ne pas perdre pied, la part de sauvage, d’intuition, ayant tendance à s’exprimer dans les moments de communion solitaire. Après avoir arrêté au plus tôt les études, c’est la photo qui s’est imposée comme un moyen d’aller vers les autres, de prendre confiance, en cherchant à partager ce qui m’est essentiel. Finalement, je dirais que mon cheminement a surtout consisté en un rapprochement vers ceux de mon espèce…

Un maître à penser ?  

Ni Dieu ni maître ! Seulement la Nature et des personnes inspirantes… J’aime lorsqu’on m’aide à me poser des questions, pas lorsqu’on prétend m’apporter des réponses. Pour m’inciter à réfléchir, mon ami Christophe Sidamon-Pesson était très fort, il restera pour moi un exemple à bien des égards, par ses idéaux, son exigence et l’intransigeance de ses principes, je souhaiterais qu’autant de gens que possible puissent s’imprégner de son œuvre et méditer ses réflexions. Son départ a laissé un vide terrible, mais son travail, je le souhaite, poursuivra son chemin. Je voudrais également citer deux personnes aux pensées révolutionnaires, avec un don exceptionnel pour apposer les mots justes sur leur ressenti : le photographe-philosophe de la Forêt Primordiale, Bernard Boisson, et l’immense artiste animalier et penseur paléolithique Robert Hainard.

Une œuvre marquante ? 

Comme exprimé plus haut, je n’ai pas eu besoin de « déclencheur » pour ce rapprochement… En parlant d’œuvre marquante, celle qui me vient en tête est celle qu’un artiste a accompli il y a 32000 ans sur les parois de la Grotte Chauvet.

Si j'étais un animal sauvage ? 

Un rapace (c’est encore le circaète qui me vient à l’esprit), avec le sentiment de liberté…

Une belle émotion ou rencontre avec la faune ? 

Les plus beaux moments sont bien souvent de ceux dont je n’ai pas pu faire la moindre photo, comme récemment des chouettes effraies avec la lune derrière. L’émotion est particulièrement forte lorsqu’un contact s’établit avec l’animal, quand il me repère, se montre curieux, j’essaye alors intuitivement de lui faire comprendre que je ne suis pas une menace.

Malgré la force des émotions éprouvée lorsque j’observe des « grands » animaux, la photo animalière, de mammifères en particulier, n’occupe pas une place centrale dans mon travail. Je n’ai jusque-là consacré que bien peu de temps à des affûts, la plupart de rencontres sont impromptues ou le résultat d’une approche. Dernièrement, j’ai vécu de beaux moments en suivant la Pie-grièche à tête rousse et en faisant connaissance avec une famille de castors juste à côté de chez moi.

Un animal disparu qui reviendrait ?

Je vais peut-être répondre à côté de la question si elle concerne des espèces éteintes, que je ne souhaiterais pas voir ressuscitées par des manipulation génétique – comme si l’Homme, en prétendant pouvoir y parvenir un jour, pouvait se déresponsabiliser de ses crimes en conservant sa posture de domination et sa volonté de tout contrôler.

Dans ma région, un souhait qui est en passe de devenir réalité, si on ne s’y oppose pas, serait déjà de voir s’installer à nouveau le loup et le lynx dans les modestes espaces de forêt plus ou moins naturelle de la montagne ardéchoise, leur conférant alors une autre dimension, dans le sens d’une nature sauvage. Mais comme ailleurs, peu de gens semblent prêts à reconsidérer leur place et tolérer l’existence de grands prédateurs, même le parc dit « naturel » des Monts d’Ardèche s’est prononcé contre.

Un animal fantastique qui existerait ?

L’être humain, mais il risque d’avoir disparu avant de s’être reconnu comme un animal…

Spot préféré ?

J’ai un peu de mal avec la sémantique en vigueur chez les photographes, mais si un « spot » est un lieu ou je me rends pour photographier la faune et la flore, j’ai plusieurs sanctuaires que je ne désignerai pas précisément autour de chez moi, avec la chance d’avoir des milieux très variés, entre la garrigue et les vallées cévenoles.

Un lieu mythique ? 

J’ai longtemps rêvé d’aller en Islande, en Terre de Feu ou au Kamtchatka, mais au vu de l’engouement pour ces destinations, mes souhaits se sont plutôt tournés les espaces sauvages de Scandinavie et d’Europe de l’Est, ainsi que vers des pays d’Asie centrale

Et d’Afrique. Je voudrais pouvoir voyager avec des moyens en cohérence avec mes convictions, en prenant le temps, aller vers les peuples ayant conservé des valeurs authentiques, mais avec la marche effrénée du monde qui sacrifie les cultures et l’emprise exponentielle de la société de consommation mes rêves s’étiolent…

Et la technique ?

Mon grand regret avec la photo est d’être à ce point dépendant de la technique. Je ne vais m’étaler sur ce sujet, car même en étant tributaire du matériel, ce ne sont pas les détails techniques qui font la valeur d’une photo (j’évite d’ailleurs les discutions entre photographes sur ces aspects, ne leur trouvant guère d’intérêt).

Juste noter que toutes les images sont faites en lumière naturelle, je n’ai pas recours à beaucoup d’accessoires, sinon à l’occasion des filtres polarisant et gris neutre pour les paysages, ainsi qu’on trépied, pour le reste (macro et proxy, animalier) je travaille presque toujours à main levée.

L’objectif dont je me sers le plus est de loin le 100mm macro. Les fichiers RAW sont développés avec LightRoom, en m’attachant généralement à conserver l’ambiance de la scène, je tiens à avoir un rendu naturel. Si les effets, comme les flares, ont tendance à s’imposer dans les modes, avec la technique au premier plan, je fais souvent des photos assez simples, cherchant à retranscrire sincèrement l’émotion ressentie, parfois juste la beauté d’un insecte ou d’une fleur…

Des urgences ? 

Tant de situations alarmantes, de toutes parts, qu’il est tentant pour qui se veut lucide de renoncer au combat, voir de souhaiter la disparition de l’espèce humaine. Il faut dire que tout est fait pour que l’on se sente dépossédé de tout moyen d’action, sinon dérisoire, dépassé par des entités mondialisées contre lesquelles on ne peut rien, et qu’il est à la mode même dans les milieux « alternatifs » d’aspirer à un bonheur individuel sans se sentir responsable des blessures infligées à la Terre, à tout le Vivant. La prise de conscience progresse, de plus en plus de gens réalisent qu’un avenir n’est possible sans remise en cause de notre mode de vie et renoncement à un certain confort, mais les actes ne suivent pas. Personnellement, sans du tout me placer en exemple, si j’ai accepté bien des concessions pour exercer ce travail et faire partie de ce monde, je m’efforce par des choix concrets d’être le moins possible un paradoxe ambulant (vie sobre, végétarisme, consommation bio et locale…), et je cherche toujours les moyens de vivre plus proche de mes convictions. S’il me fallait pour cela renoncer à la photo, je pense que je n’hésiterais pas…

Pour qu’un avenir soit possible pour l’humanité, la grande révolution qui s’impose pour chacun passe par une remise en cause de notre place dans la nature, de cette suprématie instaurée au cours des millénaires par la religion, la philosophie et la science, et de retrouver une relation à ce qui nous entoure, ou plutôt ce dont nous faisons partie, qui existait au paléolithique et que l’on retrouve chez ce qu’il reste de peuples dits « premiers ». Notre manque de capacité collective à appréhender l’inéluctable, malgré tous les voyants passés au rouge, risque de faire que l’on se sente dans une situation d’urgence seulement après l’effondrement des ressources naturelles et les dégâts irrémédiables causés à la biodiversité, avec l'hécatombe que cela représenterait…

Des conseils ? 

Etre curieux, exigeant, ne pas trop se focaliser sur la technique mais ne jamais cesser d’apprendre à regarder. En composant, être sensible au dialogue qui peut s’instaurer entre les éléments. Avant tout, être intuitif. La photo de nature ne peut se pratiquer sans une bonne connaissance des sujets, rien ne remplace le temps passé à l’observation, mais les guides naturalistes seront vos meilleurs alliés.

Une association à mettre en avant ?

Si on peut éviter les ONG vendues aux multinationales, comme le WWF… Je pense au centre de soins de la faune sauvage (qu’il tenait à cœur pour Christophe Sidamon-Pesson de soutenir) dont s’occupe Michel Phisel, dans les Hautes-Alpes.

Pour conclure ?

Une citation de Robert Hainard (mentionné plus haut) : "J'ai l'infini à ma portée, je le vois, je le sens, je le touche, je m'en nourris et je sais que je ne pourrai jamais l'épuiser. Et je comprends mon irrépressible révolte lorsque je vois supprimer la nature : on me tue mon infini." Robert Hainard

Distinctions & Parutions

Récompenses

Prix de la catégorie "une vie d'insecte" au concours International de Montier en Der en 2011

2 photos sélectionnées et exposées à Namur en 2012

Une série sélectionnée au concours Terre Sauvage en 2012

Coup de coeur du festival Signé Nature 2015

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Prix de la Région Grand Est au concours du festival de Montier 2023

 

Livres 

Simon Bugnon a illustré une dizaine d’ouvrages, dont une trilogie sur la nature d’Ardèche, dans un format compact à l’italienne. Son premier livre, « l’Ardèche sauvage », remonte à 2009, il fut suivi deux ans plus tard de « l’Ardèche secrète » puis de « l’Ardèche vivante » en 2013, préfacé par Pierre Rabhi.

Expositions

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