Photographes animaliers

Frédéric DEMEUSE

Frédéric Demeuse est photographe et naturaliste de formation, de nationalité belge et résident à Bruxelles

Il a fait de la nature dans toute sa diversité son sujet de prédilection. Ses photographies sont l'expression de sa volonté de témoigner de sa fragilité, de sa force et de son importance.

La raison d'être de ses photos a été d'extraire la beauté de notre essence commune du chaos de ce monde. Elles offrent à voir une vision du monde qui émerveille par son aspect souvent idéalisé et parfois intemporel lorsqu’il utilise le noir et blanc.

Forêts d’Europe et d’ailleurs, paysages, montagnes, faune et biodiversité de son pays et du monde font partie de ses sujets privilégiés.

Puisant son inspiration dans la nature, Frédéric recherche des interprétations significatives à travers ses photographies afin de transcender le lieu commun, refléter des réflexions plus profondes et susciter la curiosité du spectateur. En tant que naturaliste passionné il aime passer le plus de temps possible sur le terrain avec une prédilection pour les écosystèmes forestiers. Ce principe d’immersion dans le monde naturel est pour lui l'ingrédient clé pour retranscrire la magie de la nature, d’en absorber ses nombreuses humeurs afin d’en révéler ses merveilles secrètes. Il s’intéresse notamment particulièrement aux forêts primaires et à haute naturalité afin de témoigner de leur intérêt et des pertes incommensurables et irrémédiables que nous provoquons dans ce monde, où chaque jour davantage la nature ‘libre et sauvage’ est en sursis.

Plus que jamais il considère l’outil photographique comme la parfaite synthèse entre l’art et la science, comme le moyen idéal pour rappeler aux gens qu’ils ne sont pas coupés de la nature, mais qu’ils y sont intimement liés. Notamment à travers l'ouvrage "Notre planète" auquel il a participé.

 

Auteur des photographies de 4 ouvrages sur la nature de son pays, son travail qui s’est illustré dans les plus prestigieux concours internationaux, peut être pris pour ce qu’il est : une manifestation d’optimisme, comme un acte de bienveillance et d’émerveillement vis à vis du monde qui nous entoure mais aussi comme un appel à un sursaut vis à vis de tout ce que nous sommes en train de perdre et de notre responsabilité commune envers la biosphère, dont la protection et la valorisation devraient plus que jamais mobiliser toute notre attention et nos efforts communs.

 

Entretien avec...

 

Quels maîtres à penser, quelles références ? Tous ces hommes et ces femmes qui ont éveillé ma conscience, nourri mes réflexions, apporté tant de réponses, façonné ma pensée et ma perception du monde; dans les domaines de la science, de l’environnement et de l’écologie au sens large, je pense particulièrement à des contemporains comme Théodore Monod, Jean-Marie Pelt, Henry David Thoreau, Yves Paccalet, Francis Hallé, Jane Goodall, Stephen Jay Gould, Edward O. Wilson, Albert Jacquard, Hubert Reeves, Aldo Léopold, Edward Abbey, Ralph Waldo Emerson, Joanna Macy, Paul Hawken, Robert Barbault, Jean Malaurie, Edgar Morin, George Monbiot, Janine Benuys, Luc Schuiten, Frans de Waal, …

Des œuvres marquantes ? « Avant que nature meure » de Jean Dorst. Le premier livre en langue française à défendre la Nature contre l’emprise démesurée de l’homme. Une réflexion et un état des lieux tellement prémonitoires de la crise actuelle.

De la même époque « Le printemps silencieux » (1962) de Rachel Carson est aussi un incontournable.

« Voyages, trois siècles d’explorations naturalistes » de Tony Rice, passionnant.

Le guide « Les oiseaux d’Europe » de Michel Cuisin qui m’accompagnait partout.

« Histoire naturelle » de Buffon, une somme.

Le ‘National Geographic Magazine’, avec une collection commencée très jeune grâce à un abonnement annuel de mes grands-parents et auquel je suis toujours resté fidèle. 

« L’humanité disparaîtra, bon débarras » d’Yves Paccalet et « Oser, résister » de Jean Malaurie, des repères.

« L’invention de la nature » d’Andrea Wulf, la biographie d’une des personnalités les plus célèbres au monde à son époque, l'un des pères fondateurs et génie de l'écologie: Humboldt (1769-1859), un chef d’œuvre !

« Un an dans la vie d’une forêt » de David G. Haskell, un indispensable.

Plus récemment, les essais « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité » d’Aurélien Barreau , « L’humanité en péril »  de Fred Vargas ou « Une autre fin du monde est possible » de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gautier Chapelle. Pas très réjouissant ni facile à digérer, mais salutaire.

Dans le domaine de la photographie nature et animalière qui nous concerne ici, des incontournables parmi tant d’autres: « Les Oiseaux » d’André Fatras, véritable Madeleine de Proust, « Genesis » de Salgado (sublime et définitif) , « Vanishing act » d’Art Wolfe, « L’Autre versant » de Christophe Sidamon-Pesson, « Jungles » de Frans Lanting , « Origines » et « Nature » d’Olivier Grunewald », « Solitudes I & II » de Vincent Munier, « Il sentiero perduto » de Stefano Unterthiner, « Birds of Paradise » de Tim Laman et Edwin Scholes, la collection des « BBC Wildlife » ou encore « Last Place on Earth : Photographs » de Michael Nichols  (qui a décidé le président du Gabon a créer douze parcs nationaux, ce qui peut conforter l’idée qu’un travail engagé peut faire bouger les choses). 

Dans un autre registre les œuvres du photographe islandais Ragnar Axelsson et du japonais Shinzo Maeda sont une grande source d’inspiration ainsi que le photographe belge Carl De Keyzer ou Brent Stirton, références du photoreportage.

Sinon, avec une mère historienne de l’art, j’ai été baigné dès mon pus jeune âge dans l’univers artistique et particulièrement celui de la peinture. « Le Jardin des délices », tryptique de Jérôme Bosch, est probablement le tableau qui m’a le plus marqué. Comme une sorte d’œuvre ultime, magistrale, intemporelle et hautement symbolique.

Pourquoi le sauvage ? Parce que réveiller le sauvage que l’on porte, ressentir ce sentiment d’unité avec l’ensemble du vivant, se connecter avec quelque chose qui nous dépasse, est une nécessité absolue et a toujours été un besoin vital à titre personnel. C’est ce lien avec ce à quoi nous tenons, avec ce qui compte vraiment au plus profond de nous, et avec ce qui existe au-delà de notre condition humaine.

Le fait d’avoir grandi et toujours évolué dans un environnement urbain a plus que probablement accentué mon attrait pour le monde naturel, sauvage. Comme une attirance qu’il m’était difficile d’expliquer et de saisir dans un premier temps mais qui m’apparaît aujourd’hui comme une évidence.

C’est notamment au cœur des vieilles forêts naturelles que j’ai pu ressentir ce plus profond sentiment d’humilité et de respect, ces frissons de plénitude, de sérénité, de simplicité évidente et retrouvée.

Sans parler des bienfaits sur la santé, tant physique que mentale, du contact avec la Nature. La déconnexion avec celle-ci, s’accompagnant d’une profonde déconnexion avec nous-mêmes, pourrait bien être la source majeure de nos problèmes.

Une belle rencontre, un spot préféré ? Chaque rencontre avec l’animal est toujours empreinte d’une émotion forte et parfois l’aboutissement d’une quête. 

Je me souviens très bien de « mon » premier Loriot d’Europe, oiseau exotique dont la livrée d’un jaune d’or étincelant tranchait avec la dense couverture forestière, aperçu dans une propriété du Var où j’ai passé de nombreuses vacances dans ma jeunesse.

Au fil des années j’ai eu la chance de parcourir des endroits incroyables, sac photo et trépied sur le dos.

 Si, pour des raisons de proximité évidentes, mon « spot » préféré restera la Forêt de Soignes, une des rencontres les plus mémorables avec le monde sauvage eut lieu à Bialowieza, forêt mythique transfrontalière à la Pologne et la Biélorussie. Lors d’un sixième séjour sur place, j’y suis tombé un jour d’hiver sur quatre mâles de bisons européens. Partant le lendemain, je parcourais la forêt sans but précis lorsque j’aperçus au loin des formes étranges parmi les arbres tombés au sol (une grande quantité de bois morts est une des particularités de cette forêt à haute naturalité). Un rapide coup d’œil aux jumelles me confirma que la chance me souriait ce jour-là : les bisons étaient bien là, tels des géants discrets et immobiles, placidement couchés sur le sol forestier. J’aurais pu passer des dizaines de fois tout près d’eux sans les voir… Après m’être fait oublié, et l’appréhension initiale passée, je me retrouve quelques heures plus tard à partager leur intimité dans une communion totale. Me permettant même le luxe de faire quelques photos d’un Pic à dos blanc avec un bison à quelques mètres, vaquant tranquillement à ses occupations! A la tombée du jour je marchais à leurs côtés, comme dans un rêve…un moment inoubliable, hors du temps, avec ces miraculés de l’histoire.

Un lieu mythique ? Le Grand Nord russe, canadien, l’Alaska, les colonies d’oiseaux de mer des îles Aléoutiennes et Kouriles…Un jour, peut-être, quand ma fille sera plus grande et en prenant bien le temps. Mais c’est triste de penser que l’impact de l’accélération du changement climatique y est actuellement dramatique pour les ressources alimentaires dont dépendent ces oiseaux. Et à moins d’y aller à pied et en voilier, s’y rendre ne peut que contribuer au problème…

S’il m’arrive de rêver à des coins perdus de la Patagonie chilienne, aux forêts pluviales tempérées de Tasmanie ou à toutes ces îles australes battues par les vents, par exemple, il me plaît de penser que ces lieux reculés existent et qu’il est sans doute préférable de les préserver le plus possible de tous visiteurs, photographes en l’occurrence. Les effets de mode et l’engouement pour certaines destinations ont souvent des conséquences dommageables sur l’équilibre fragile de certains écosystèmes.

Le matériel, la technique ? Tenter de rapidement maîtriser les bases afin d’obtenir un résultat précis et de pouvoir se reposer sur certains automatismes qui ont fait leur preuve, et si besoin s’en affranchir afin de s’exprimer le plus librement possible. Constamment se perfectionner, s’essayer à différentes techniques dans le but d’innover, de créer, d’une recherche de style personnel, fait probablement partie de la démarche de tout photographe. Mais une discussion sur le matériel, la technique, l’évolution (trop rapide) de la technologie et des nouvelles possibilités, s’apparente souvent à une épreuve pour moi, car on s’éloigne vite de l’essentiel...

On a trop vite fait, surtout au début, de se chercher des excuses du côté du matériel.

Si du bon matériel est indispensable pour obtenir certains résultats -il ne faut pas se mentir-, avec le temps je dois reconnaître que celui-ci ne fait pas tout.

Un animal fantastique qui existerait? La terre aurait porté une espèce répondant au nom d’Homo sapiens, « l’homme sage, qui sait », ça me plairait bien de le rencontrer ! Blague à part, l’Humanité, qui au cours de son histoire a souvent été capable du pire mais aussi de réalisations grandioses, n’a jamais engendré autant de connaissances mais si peu de sagesse collective…

Et pour atteindre cette sagesse, nous avons surtout besoin d’une conquête intérieure.

Des urgences ? Etant de la génération née à l’âge de l’écocide, les problèmes sont posés et c’est à notre génération de les résoudre. Depuis le rapport Meadows de 1972 on se doutait qu’avec l’intensification des recherches ce serait plus les mauvaises nouvelles qui allaient s’accumuler…45 ans plus tard force est de constater que l’amorce de conscience humanitaire et environnementale ne fait pas encore le poids face au modèle général basé sur la compétition, la croissance économique, le consumérisme poussé à l’extrême et l’exploitation frénétique sans issue des ressources naturelles, induisant des inégalités insupportables et loin de nous apporter le bonheur.

Comme nous le rappelle Dominique Bourg : « Les dégâts causés à la biosphère sont devenus incommensurables, démesurés, transcendentaux ».

La terre est en mesure de pourvoir à nos besoins, mais les lois de la nature sont strictes : ne pas les respecter nous mènera à la catastrophe et on n’a plus le temps d’explorer de fausses pistes. Face à l’urgence de la situation dans sa globalité, des théories sérieuses « d’effondrement » de notre société techno-industrielle ou un concept comme la « solastologie » font surface. Le plongeon dans l’Anthropocène ne fera qu’accentuer ce sentiment de peine écologique.

Changement de paradigme, rupture ontologique, construire ou inventer d’autres façons de « sentir-penser » le monde, selon l’expression d’Arturo Escobar, faciliter l’accès à la culture, de beaux concepts et de grands mots face à tous ces grands maux.

De mon point de vue trois urgences sont hautement prioritaires : 

- protéger les forêts tropicales humides, grandes régulatrices du climat et plus importants réservoirs de biodiversité, sans la moindre concession.

Mais délicat, avec une posture d’occidental, de donner des leçons aux pays concernés pour lesquels notre mode de vie est le modèle à atteindre. Et quand on voit ce qu’il nous reste de forêts primaires ou la difficulté d’envisager d’autres modes de gestion forestière. Intégrer les populations à la protection de l’environnement est un défi majeur.

-Repenser nos modes de production agricoles aujourd’hui à bout de souffle. Se détourner le plus possible de l’alimentation carnée industrielle, de loin l’action individuelle la plus efficace et la posture la plus cohérente pour toute personne se revendiquant un tant soit peu consciente et avertie des problèmes environnementaux.

-Figer la protection du vivant sous toutes ses formes dans la loi. Il est grand temps de s’intéresser à son effondrement dans ce contexte de sixième extinction de masse en cours, et de ne pas se focaliser uniquement sur l’évolution du climat.

Mais cette révolution prend du temps, et c’est justement de cela dont nous manquons.

Pas simple, rien de nouveau mais plus que jamais d’une urgence absolue, faute de quoi…

Une association à mettre en avant ? Il n’est pas toujours évident de s’y retrouver parmi la pléthore d’associations, d’organisations et de mouvements qui agissent pour la protection de l’environnement. L’activiste étasunien Paul Hawken estime qu’il y aurait entre 1 à 2 millions d’organisations travaillant pour la durabilité écologique et la justice sociale, et ce qu’il appelle le réveil du « système immunitaire » de la Terre ne cesse de grandir. Ce qui est bien évidemment un signal encourageant, mais dans le même temps les « zones sauvages » ont fortement régressé car les efforts pour les protéger sont deux fois plus lents que le rythme de leur destruction…

Dans l’esprit « de réfléchir globalement, agir localement » il est tout d’abord important de se focaliser sur ce qui peut être fait proche de chez soi. La plupart des européens ont sans doute une image plus précise de ce qu’est un léopard, un grand panda, un toucan ou un baobab plutôt que d’un chat sauvage, un Mulot sylvestre, un Bouvreuil pivoine ou un Aulne glutineux.

Au niveau local je suis membre actif depuis ses débuts de Natagora (anciennement RNOB), association qui se consacre à la protection de la nature en Belgique. J’ai eu l’occasion de faire un livre avec eux, « Havres de biodiversité ». Une belle aventure qui m’a amené à parcourir de superbes réserves dans les plus beaux coins de mon pays, de rencontrer tous ces professionnels et bénévoles qui s’engagent au quotidien. 

Je soutiens aussi pas mal d’associations, y consacrant du temps dans la mesure du possible, en dehors de dons mensuels.  Et même si ça peut sembler dérisoire, il est important que tout un chacun « fasse sa part », selon l’expression chère au mouvement Colibris de Pierre Rahbi.

 

Passionné par les vieilles forêts, par les idées de «rewilding», de nature férale, «ensauvagée», en libre-évolution, je suis de près les actions de Vita Sylvae, Rewilding Europe, Naturalité et de l’European Wilderness Society. Je suis très attaché à ce courant de pensée, certes un peu idéaliste et romantique, qui laisserait la place à de grands espaces sauvages, où la nature évoluerait librement sans la moindre intervention humaine. Où celui-ci ne serait qu’un invité de passage, voire délibérément exclu.

Sinon je suis assez admiratif de Paul Watson, véritable héros des temps modernes, pour son engagement d’une vie avec son association Sea Shepherd, d’une légitimité et d’une cohérence indiscutables. Si, dans ma jeunesse, j’avais été moins aveuglé et avais fait preuve de plus de courage, j’aurais bien été me battre à leurs côtés…

Un message à laisser ? Peut-on être optimiste ? Il est plus que jamais important de s’engager, d’apprendre, de s’informer, d’être responsable, de garder à l’esprit la brièveté de la vie, de tenter de réaliser ses rêves.

Il n’y a rien de plus dangereux que de n’avoir que des images négatives de notre futur, rien de plus anxiogène que d’assister à la « fin du monde » confortablement installé derrière un écran, dans l’inaction totale. Parce qu’on pourrait être tenté de perdre tout courage. Les jeux n’étant pas encore totalement faits, nous avons encore pas mal de possibilités pour nous ressaisir. Et les artistes, qu’ils soient poètes, écrivains, sculpteurs ou photographes, qui tentent naïvement et en toute sincérité de célébrer le beau partout où il se trouve, seront plus que jamais nécessaires.

Un changement global de perception traverse actuellement toute notre société. L’avenir passera forcément par les pistes de réflexion que la crise écologique et du vivant nous imposent. La bonne nouvelle est que ça rend plus indiscutable encore le fait d’agir sérieusement et rapidement, enfin pour tout individu normalement ouvert aux réalités.

« Et alors que les problèmes du monde sont de plus en plus complexes, les solutions demeurent honteusement simples », nous rappelle Bill Hollison, l’inventeur du concept de la permaculture moderne. Mais il ne faudra pas hésiter à se retrousser les manches.  

Et comme concluait Mark Rowlands dans son livre « Le Philosophe et le loup », l’insubordination est notre seul salut !

 

Pour conclure ? Félicitations à FauneSauvage pour votre travail, et merci pour l’invitation à me joindre à cette impressionnante galerie. Puisse votre message rayonner le plus loin possible.

Distinctions & Parutions

BBC Willdife Photographer of the Year, 1er prix catégorie « In Praise of Plants and Fungi » 2010

Festival Nature Namur, 1er prix catégorie « Oiseaux » 2009

Festival Montier-en-der, Coup de cœur « Subtilités » 2014

 

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