50 nuances de vert Macron et l’environnement: «Make our planet great again», vraiment?

Protection de la biodiversité, réduction des gaz à effet de serre, lutte contre les pesticides… Malgré un affichage très vert et quelques avancées, le bilan du président-candidat Macron en matière d’environnement n’est pas à la mesure des grandes promesses de 2017.

Auréolé de son titre de «champion de la Terre», décerné en 2018 par le Programme des Nations unies pour l’environnement, Emmanuel Macron a multiplié les discours enflammés et les «One Planet Summit». Il a enchaîné les symboles : nomination de Nicolas Hulot à la tête d’un grand ministère de la Transition écologique – lequel a fini par démissionner avec fracas –, fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, abandon de projets comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… Il a promis en 2017 que le glyphosate, l’herbicide le plus utilisé au monde, serait interdit en France au plus tard fin 2020. Il a voulu la création du Haut conseil pour le climat et l’organisation de la convention citoyenne. Plusieurs lois ont été votées (sur l’économie circulaire, les mobilités, le climat, l’agriculture et l’alimentation). Au bout de cinq ans de mandat, qu’en est-il ? «La France, comme d’ailleurs la plupart des autres pays, n’est en aucun cas en situation de respecter les accords de Paris sur le climat, déplore le think tank “transpartisan” La Fabrique écologique. Et les progrès en matière de biodiversité, de prévention des pollutions et de transformation du modèle agricole sont limités.» Libération fait le point.

Biodiversité, grandes incitations et faibles contraintes

Sur la scène internationale, Emmanuel Macron souhaitait faire figure de «fer de lance du combat» pour la protection de la biodiversité. Il a voulu que la France accueille le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), à Marseille, en septembre 2021. Il a aussi accueilli un «One Planet Summit» consacré à la biodiversité et un «One Ocean Summit» consacré à l’océan. Il a lancé une série de coalitions, comme celle de la Haute ambition pour la nature et les peuples, coprésidée par la France, le Costa Rica et le Royaume-Uni. Objectif ? Rassembler «plus de 50 gouvernements des six continents dans le but d’obtenir un accord mondial visant à protéger au moins 30% des terres et au moins 30% des océans de la planète d’ici 2030 lors de la COP15 de la Convention sur la diversité biologique», qui doit se tenir cette année à Kunming, en Chine après moult reports.

Mais la France a-t-elle fait preuve d’exemplarité sur son propre territoire ? Parmi les décisions favorables à la biodiversité figure l’abandon de plusieurs grands projets, dont le méga centre commercial Europacityprès de Paris ou la Montagne d’or, immense mine d’or à ciel ouvert envisagée au cœur de la forêt guyanaise. Las, au-delà de ces symboles, «le sujet n’a pas encore pris une dimension systémique sous cette mandature», souligne Marine Braud, ex-conseillère de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, dans une note publiée par le think tank Terra Nova. En juillet 2018, Nicolas Hulot, alors en charge de ce ministère, annonçait en grande pompe un nouveau plan biodiversité, décliné en 90 mesures, allant de la fin de l’artificialisation des sols à l’objectif de zéro plastique rejeté dans les océans en 2025, en passant par l’élargissement des réserves naturelles marines. Des mesures cependant incitatives et non contraignantes. D’où, quatre ans plus tard, un bilan bien maigre. Ainsi, entre 24 000 et 30 000 hectares de terres agricoles et naturelles sont toujours artificialisées chaque année au profit de lotissements, bâtiments industriels ou commerciaux, constituant la première cause de perte de biodiversité.

Autre exemple, les acteurs chargés de protéger la faune et la flore sur le terrain déplorent un manque de moyens humains et financiers. Qu’il s’agisse des agents de l’Office français de la biodiversité, de l’Office national des forêts ou des parcs nationaux. Dans le même temps, la biodiversité pâtit d’aides publiques. «Lors des négociations sur le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche et sur la Politique agricole commune, la France a contribué à subventionner massivement la surexploitation des océans et l’agriculture intensive», déplore la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Reste aussi la question de la chasse. Le gouvernement a multiplié les cadeaux aux chasseurs, notamment la division par deux du montant du permis de chasse. Comble du cynisme, quelques jours après son discours d’ouverture du congrès de l’UICN, le chef de l’Etat ordonnait la mise en consultation de projets d’arrêtés autorisant le massacre de plus de 110 000 oiseaux sauvages, ignorant des jugements de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’Etat.

Climat, petites avancées et gros détricotages

Pour le climat, la France, pays hôte de la COP21 (en 2015) dont est issu l’Accord de Paris, «s’est dotée d’une feuille de route, la Stratégie nationale bas carbone, et de budgets carbone, correspondant à des plafonds de gaz à effet de serre (GES) à ne pas dépasser», rappelle le Réseau Action Climat(RAC). Problème : l’Etat n’a pas baissé suffisamment ses émissions de GES pour espérer atteindre le nouvel objectif de l’Union européenne de -55% d’émissions d’ici à 2030 (contre -40% auparavant). Un constat d’échec relevé par le Haut Conseil pour le climat dans son troisième rapport annuel, publié en juin 2021, qui estimait qu’«en raison du retard accumulé par la France, le rythme actuel de réduction annuelle des émissions devra pratiquement doubler […]». C’est d’ailleurs à ce titre que l’Etat a été condamné l’année dernière dans le cadre de «l’affaire du siècle» par le tribunal administratif de Paris, lequel a reconnu sa responsabilité partielle dans la crise climatique.

La loi climat et résilience d’août 2021 issue des travaux des 150 citoyens de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) ayant pour «mandat de définir une série de mesures» pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES d’ici à 2030 n’aura pas permis d’inverser la tendance. «Le président de la République s’était pourtant engagé à adopter “sans filtre” 146 de ces 149 propositions», pointe La Fabrique écologique. Mais ces dernières, ambitieuses, ont pour beaucoup été détricotées voire écartées par le gouvernement. Parmi les mesures abandonnées figurent l’interdiction de la construction et l’extension d’aéroports, la fermeture des lignes intérieures en cas d’alternative en train en moins de quatre heures (contre deux heures actuellement), l’interdiction dès 2025 de la commercialisation de véhicules neufs très émetteurs ou le développement d’un plan d’investissement massif dans le transport ferroviaire…

Une transformation profonde du secteur des transports, premier émetteur de GES en France avec 31 % des émissions nationales en 2019, s’impose pourtant. «Les émissions du secteur stagnent ou ne diminuent que très faiblement. Une multiplication par 5 de l’effort de réduction est nécessaire afin de respecter la Stratégie nationale bas carbone», note le RAC. Le quinquennat a toutefois été marqué par quelques avancées en la matière. Parmi elles, l’adoption de la loi d’orientation des mobilités (LOM) fin 2019 avec un plan vélo, les zones à faibles émissions (ZFE) qui visent à limiter progressivement la circulation des véhicules les plus émetteurs dans les agglomérations les plus polluées, la fin de la vente des voitures neuves essence et diesel en 2040 ou encore le déploiement des bornes de recharge électrique. Sans oublier la prime à la conversion, la relance des trains de nuit, l’instauration d’un malus au poids, ou l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et du projet de l’autoroute A45 entre Lyon et Saint-Etienne. Cependant, «le sujet primordial de la réduction du parc automobile et de la transformation en profondeur du modèle économique des constructeurs automobiles n’a pas été traité», déplore le Réseau Action Climat.

L’industrie a aussi fait des progrès. Le secteur a notamment bénéficié d’un financement et de dispositifs de soutiens exceptionnels, même si le RAC regrette notamment que les dispositions relatives à l’industrie aient été mises en œuvre «tardivement durant le quinquennat». Du côté du bâtiment, secteur qui représente 27% des émissions de GES françaises, les aides à la rénovation énergétique des logements ont été renforcées avec MaPrimeRénov’, destinée à lutter contre les «passoires énergétiques» (travaux d’isolation, de chauffage pour sortir du fioul et du gaz, de ventilation…). Cependant, «le rythme actuel et le niveau moyen des rénovations ne sont pas suffisants par rapport à ce qui serait nécessaire pour tenir les engagements climat», estime La Fabrique écologique. Sur la question énergétique, deux des quatre dernières centrales à charbon du pays se sont arrêtées. Celle basée à Saint-Avold (Moselle) doit être stoppée le 31 mars. La centrale de Cordemais (Loire-Atlantique) pourrait quant à elle fonctionner jusqu’en 2026. A ce jour, la France est le seul pays d’Europe à ne pas remplir ses objectifs en matière de développement des énergies renouvelables. Par ailleurs, le RAC estime qu’«Emmanuel Macron utilise faussement l’argument du climat pour annoncer une relance du nucléaire, alors que la production d’électricité représente moins de 5% des émissions nationales.»

Pollutions, lutte antigaspi et vieux modèles

Faute de changement de modèle, les pollutions d’origine agricole sont toujours un fléau majeur. Le quinquennat n’a pas permis d’avancer sur la question des nitrates, à l’origine des épisodes d’algues vertes en Bretagne. Et l’usage massif des pesticides reste de mise, avec notamment la réautorisation en 2020 des pesticides néonicotinoïdes«tueurs d’abeilles», alors que leur interdiction avait été prévue par la loi biodiversité de 2016. Ces substances affectent pourtant toute la chaîne du vivant, jusqu’aux humains.

Autre dossier chaud, le glyphosate. Fin 2017, Macron promettait que la France se passerait d’ici à la fin 2020 de ce pesticide classé «cancérigène probable» par l’OMS. En 2022, la promesse n’est toujours pas tenue. «De la même manière, le plan Ecophyto visant à réduire de moitié l’usage des pesticides à l’horizon 2018, a échoué et est reporté à 2025», pointe La LPO. Malgré plusieurs rappels à l’ordre de l’UE, «l’utilisation d’engrais azotés de synthèse n’a pas diminué, signale encore le RAC. Pourtant, agir [en la matière] concourt à réduire les émissions de gaz à effet de serre mais aussi la pollution de l’air»

En matière de lutte contre les pollutions, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite loi Agec) a néanmoins constitué une avancée. Elle a permis l’interdiction en 2021 de plusieurs produits en plastique à usage unique et celle, en 2022, du recours au plastique pour les emballages de certains fruits et légumes, les sachets de thé et de tisane, les jouets dans les menus enfants des fast-food ou les enveloppes des magazines. Cette loi encourage aussi la réparation des produits, interdit la destruction des invendus non alimentaires et lutte contre les dépôts sauvages dans la nature. Reste à s’assurer que les mesures sont effectivement mises en œuvre.

photo : Emmanuel Macron (face au Premier ministre norvégien Jonas Gahr Støre), hôte du One Ocean Summit à Brest, le 11 février 2022. (Javad Parsa/NTB. AFP)

Libération/20 mars 2022