Agir pour le vivant : chronique «Un été arctique» Sous l’œil du faucon gerfaut

Comme chaque année depuis 2004, notre équipe du CNRS et de l’Institut polaire français Paul-Emile-Victor est installée sur la côte est du Groenland, à Ukaleqarteq, pour y étudier les animaux (5/6). Aujourd’hui, le faucon gerfaut, capable de sprinter à 200 km/h.

Panique au Groenland, le faucon gerfaut est en chasse. Un nuage d’oiseaux marins explose dans toutes les directions, mais le grand rapace blanc a déjà repéré sa proie. Alors que son cousin, le faucon pèlerin, fond des cieux pour briser la nuque des petits oiseaux, le gerfaut est taillé pour la poursuite. Si nécessaire, il sprintera en vol sur plusieurs kilomètres.

La scène se déroule à 200 km/h, et je tente un ralenti pour comprendre.«Quand le gerfaut vise une cible à grande distance, il utilise sa vision monoculaire, pour plus de précision», m’explique Simon Potier, spécialiste de l’écologie sensorielle des oiseaux à l’Université de Lund en Suède. «Mais pendant l’approche finale, il bascule en vision binoculaire, pour gagner en profondeur de champ et mieux saisir sa proie en mouvement.»Les vidéos haute vitesse montrent que le gerfaut freine au tout dernier moment. Alors que son corps lancé à pleine vitesse a la forme d’une goutte d’eau, il écarte légèrement ses ailes recourbées, projette ses pattes en avant et se cambre avant l’impact.

En été, le repas du jour est parfois un oiseau marin, beaucoup plus souvent un lagopède (1). Le gerfaut le ramène tout d’abord sur une aire de dépeçage et le plume presque entièrement avant de le rapporter à sa nichée, entier ou en morceaux. Dans notre zone d’étude côtière au Groenland, les nids de gerfauts trônent sur les flancs abrupts des fjords, avec une vue imprenable sur un territoire gigantesque. Les rapaces, présents dans cette région inhospitalière depuis plus de mille ans, utilisent souvent les mêmes nids pendant des siècles, et les restes desséchés de leurs repas permettent de reconstituer leurs menus au fil du temps. Ceux-ci varient peu, ainsi que les tailles de populations de gerfauts dans le haut arctique. L’espèce est cependant rare dans la nature, avec seulement 20 000 couples éparpillés dans une zone couvrant toute la Sibérie, la Scandinavie, l’arctique canadien et l’Alaska.

Et cette aire de répartition globale est encore plus immense qu’on ne le pensait, car elle englobe aussi les milieux marins. On ignorait tout de la migration des faucons gerfaut, mais des balises Argos (2) posées sur certains d’entre eux au Groenland-Est ont révélé leurs mouvements au fil de l’hiver, loin de nos yeux. L’automne venu, les gerfauts quittent la côte du Groenland vers le sud. Ils rejoignent la bordure de la banquise, parfois à plusieurs centaines de kilomètres au large.

Là, dans la pénombre de l’hiver arctique, ils rejoignent les chouettes harfangs arrivées du fin fond de la toundra. Perchés sur des icebergs, les rapaces attendent patiemment l’arrivée des eiders, guillemots et autres oiseaux marins venus plonger en bordure des glaces de mer.

(1) Aussi appelé «perdrix des neiges».

(2) Emetteurs satellites miniaturisés permettant de localiser les animaux.

 

par David Grémillet, (depuis le Groenland), directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé / Libération, 2 octobre 2021

 

photo : Un faucon gerfaut au Canada. (Gerard Lacz / Rex Featu/REX/SIPA/Gerard Lacz / Rex Featu/REX/SIPA)