Aires marines protégées : Interdire les pêches destructrices est plus rentable que es autoriser

Une analyse socio-économique commandée par l’ONG européenne Seas At Risk et réalisée par la New Economics Foundation révèle que l’interdiction de techniques de pêche destructrices pour les fonds marins dans les aires marines protégées entrainerait des bénéfices nets dès la quatrième année de son entrée en vigueur.

L’interdiction d’une activité économique est souvent perçue comme une perte de rentabilité. Dans le cas du chalutage profond et d’autres méthodes de pêche (cf. contexte), Seas At Risk nous démontre le contraire. Selon une étude commanditée par l’ONG européenne et réalisée par la New Economics Foundation, l’interdiction de ces techniques dans les aires marines protégées a non seulement des effets concrets pour y protéger la biodiversité, mais s’avérerait aussi rentable à très court terme.

L’étude souligne qu’au bout de 13 ans d’interdiction, chaque euro dépensé rapporterait 3,41 euros : en 20 ans, cela entrainerait un gain net cumulé de 8,4 milliards d’euros ! Alors que le chalutage de fond libère autant de carbone que le transport aérien, il devient urgent de questionner son intérêt.

Des avantages climatiques et commerciaux, ainsi que pour… la pêche durable

Les principaux avantages commerciaux à l’interdiction de ces pêches seraient, entre autres, la création de nouvelles activités de loisir et la présence de poissons plus gros et en plus grand nombre, qui pourraient être pêchés par les pêcheurs utilisant des méthodes de pêche vertueuses.

Plus important encore, les conséquences d’une mer saine et d’écosystèmes résilients bénéficieraient à la population en termes de régulation du climat, d’eau propre, de piégeage du carbone et de protection contre les phénomènes naturels extrêmes.

« Nous sommes au cœur de la 6e extinction de masse. Les aires marines protégées ne peuvent pas jouer leur rôle fondamental de protection de la vie marine si des activités de pêche destructrices continuent à être autorisées », affirme Marc-Philip Buckhout, Responsable des aires marines protégées à Seas At Risk. « Interdire le chalutage de fond et les autres méthodes de pêche tout aussi destructrices pour les fonds marins, dans les aires marines protégées nous permettrait de lutter contre le déclin de la biodiversité et aiderait l’océan à atténuer le changement climatique, et ce avec de nets bénéfices socio-économiques. »

Encourager les engagements au niveau européen

Afin de préserver les ressources halieutiques et de protéger les écosystèmes marins, la Commission européenne est en train de bâtir un programme qui répond aux engagements présentés dans sa Stratégie en faveur de la biodiversité et son Pacte vert pour l’Europe. Ce programme sera crucial pour la protection du milieu marin et la future réforme de la Politique Commune des Pêches (PCP).

« A la lumière des résultats de ce rapport, nous appelons la Commission européenne à amorcer la suppression de la pratique de pêche destructrice qu’est le chalutage de fond, en commençant par les aires marines protégées et les zones littorales sensibles, dans un proche avenir », explique Andrea Ripol, Responsable des politiques en matière de pêche chez Seas At Risk.

Le tableau ci-dessous présente les coûts, les bénéfices et les impacts nets dans les aires marines protégées européennes dans les 20 années suivant une interdiction des engins de pêche à contact avec le fond (chaluts et dragues).

Tableau chiffres_Pêche et aires marines protégées

Contexte

Les engins de pêche impactant les fonds marins (comme le chalut de fond, les sennes démersales, les chaluts à la perche et à panneaux et la pêche à la drague) constituent les techniques de pêche les plus destructrices et les plus nuisibles. Ces engins peuvent racler jusqu’à 41% des invertébrés présents dans les fonds marins, le plancher océanique peut mettre jusqu’à six ans pour se rétablir. Le chalutage de fond libère autant de carbone que le transport aérien ; il a donc un impact non négligeable sur le changement climatique.

Malgré ces preuves scientifiques, la pêche au chalut est encore fortement pratiquée dans les aires marines protégées : en 2017, le chalutage était encore permis dans 59% des 727 aires marines protégées et que son taux de pratique était 46% plus élevé dans ces zones que dans le reste de l’océan. Dans les aires marines protégées du Golfe de Gascogne, entre 2015 et 2018, 229 990 heures de pêche au chalut de fond et à la drague ont été comptabilisées.

Selon Elodie Martinie-Cousty, pilote du réseau Océans, Mers et Littoraux de France Nature Environnement : « Seulement 1,6% des aires marines protégées françaises le sont réellement. Le chalutage de fond est l’une des pratiques les plus néfastes pour le milieu marin et doit être interdite au plus vite si la France veut atteindre son objectif de 10% de protection forte et engager la transition écologique de la pêche française ». C’est aussi ce que réclame l’avis du CESE « Quelle pêche durable en mer face au changement climatique ? », voté à l’unanimité le 29 mars 2021.

Les impacts négatifs des activités économiques sur la vie et les écosystèmes marins sont directement responsables d’un déclin préoccupant de la biodiversité et de la dégradation de l’environnement marin. Les écosystèmes marins sont dès lors moins aptes à contribuer à la modulation du changement climatique et à assurer la santé et le bien-être de l’humanité.

La législation européenne et les accords internationaux reconnaissent pleinement les aires marines protégées comme permettant de lutter contre la perte de la biodiversité car elles contribuent au rétablissement des espèces et habitats marins. Lorsqu’elles sont correctement gérées, les aires marines protégées permettent une augmentation de la taille moyenne des poissons et des crustacés ainsi qu’une amélioration de la santé des écosystèmes marins, y compris dans les zones se trouvant à proximité de la délimitation de ces aires.

Il est possible d’atteindre un bon niveau de conservation dans les aires marines protégées. Cependant, beaucoup d’entre elles sont encore trop soumises aux activités humaines les plus désastreuses, comme la pêche au chalut ou à la drague. Si l’Union européenne et les États membres ont consacré 12,4% des eaux européennes en aires marines protégées, seulement 1,8% des eaux européennes bénéficient d’une réelle protection.

POUR ALLER PLUS LOIN
[L’étude] Valuing the impact of a potential ban on bottom-contact fishing in EU Marine Protected Areas – New Economics Foundation (2021)
[Sur le terrain] Présentation des aires marines protégées françaises
[Dossier de fond] Devine où je vais pêcher ? Dans les aires marines protégées – Carte détaillant le nombre d’heures de pêche exercées dans les aires marines protégées françaises entre 2015 et 2018
[Communiqué] Pêche destructrices dans les aires marines protégées : les chiffres chocs