Comment les industriels ont plombé l’interdiction des microplastiques en Europe

Un rapport publié le 1er septembre par le Bureau européen de l’environnement (BEE) montre l’intense lobbying opéré par l’industrie chimique pour réduire à peu de chagrin la future réglementation européenne interdisant l’ajout de microplastiques dans les produits.

Un impressionnant travail de sape a visé la proposition de restriction des microplastiques ajoutés dans les produits, depuis sa présentation en janvier 2019 par l’ECHA. Suivant une demande de la Commission européenne, qui voulait éviter l’introduction dans l’environnement de 60.000 tonnes de plastique par an, l’agence européenne des produits chimiques avait tout d’abord publié un avis ambitieux, qui comptait interdire progressivement les microplastiques (dont le diamètre est inférieur à 5 millimètres) volontairement ajoutés dans les produits cosmétiques, détergents, peintures, pesticides ou les granulés de caoutchouc recyclé dans les terrains de sport. Ils représentent environ 51.000 tonnes par an, selon l’agence européenne.

«Nous nous sommes rendus compte que l’ECHA avait modifié sa proposition en accédant aux demandes présentées par plusieurs représentants de l’industrie, dont le Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic) et PlasticsEurope, dont les positions ont été dévoilées lors de la consultation de 6 mois qui s’est terminée le 1er septembre», explique au JDLE Elise Vitali, responsable des produits chimiques au Bureau européen de l’environnement (BEE), qui regroupe une centaine d’ONG.

L’EXEMPLE DES TERRAINS DE SPORT SYNTHÉTIQUES

«La position de l’Echa peut encore changer d’ici à décembre, mais de nombreux régimes juridiques favorables aux industriels sont apparus depuis la proposition initiale, en s’appuyant sur des reports et des exemptions», poursuit Elise Vitali. L’exemple des granulés issus du recyclage de pneus, qui entrent dans la fabrication de terrains de sport synthétiques, résume l’efficacité du lobbying à l’œuvre.

Initialement, l’ECHA avait identifié 4 moyens de réduire cette importante pollution aux microplastiques : l’interdiction immédiate de mettre sur le marché ces granulés, une interdiction reportée à 6 ans, aucune interdiction mais des recommandations d’utilisation pour réduire la pollution avec obligation de reporting, aucune interdiction mais des mesures concrètes de réduction dans les 3 ans. «Alors que des alternatives aux granulés de caoutchouc existent, l’ECHA a retenu le scénario des mesures dans les 3 ans, comme la pose de barrières sur les terrains ou le nettoyage systématique des maillots des sportifs. Une solution qui ne sera applicable qu’aux nouveaux terrains et pour laquelle la responsabilité a été déplacée des industriels aux élus locaux en charge des terrains de sport», note Elise Vitali. En 2016, l’Europe comptait 13.000 grands terrains en gazon synthétique et 47.000 petits terrains utilisés pour le football.

HARO SUR LE REPORTING DES GRANULÉS

Quant à la production des granulés de plastique (vierge et recyclé), génératrice de fuites dans l’environnement lors de la production, du transport et de la réception, Plastics Europe s’oppose à l’introduction d’une obligation de reporting «dans la mesure où celle-ci sera déjà obligatoire dans le cadre de la loi sur l’économie circulaire en France dès 2022 et qu’elle est actuellement déployée en Europe de façon volontaire par les industriels dans le cadre de la certification OCS[1]. Une certification que nous cherchons à rendre opérationnelle en 2022», explique Véronique Fraigneau, directrice pour la France de la communication de l’association européenne des producteurs de matières plastiques.

REPORTS POUR LES PRODUITS COSMÉTIQUES

Le deuxième coup de rabot a visé l’entrée en vigueur des restrictions dans le secteur cosmétique. La proposition initiale prévoyait d’interdire l’ajout de microplastiques dans 4 ans pour les produits rinçables, 6 ans pour les autres (maquillage), 5 ans pour la mise en capsule de parfums et de pesticides. «Désormais, le secteur est totalement fragmenté selon les types de produits et l’entrée en vigueur s’échelonne entre 5 à 8 ans. 8 ans pour interdire des microplastiques dans la fabrication des parfums, c’est quand même disproportionné par rapport à l’usage de ces produits», observe Elise Vitali. Seules les microbilles entrant dans les produits exfoliants seraient totalement interdites en 2022, alors que les fabricants s’y étaient déjà engagés de façon volontaire.

Le BEE a calculé que l’ensemble des dérogations et des reports permettraient seulement une division par deux de la pollution annuelle de l’environnement par les microplastiques en 2028. Alors que le Parlement européen s’avère favorable à une interdiction dès 2020 et les Etats membres à une réduction significative à la même échéance.

UNE INFIME PARTIE DES NANOPLASTIQUES

Le dernier recul vise les nanoplastiques, considérés comme plus dangereux pour la santé humaine et animale, car pénétrant plus facilement les cellules humaines. «Le CEFIC a cherché à restreindre au maximum l’interdiction des nanoplastiques, également visés par la proposition de restriction, sous prétexte qu’ils étaient difficilement mesurables. Et la proposition de l’ECHA ne cible plus que les particules supérieures à 100 nanomètres alors qu’au départ, elle les visait dès 1 nm», commente la représentante du BEE.

Si la plupart des nanoparticules utilisées dans l’industrie sont aujourd’hui supérieures à 100 nm, des particules plus petites entrent déjà dans la fabrication de produits cosmétiques et de lessives. Elles pourraient connaître un essor important si la réglementation européenne ne les limite pas, en se substituant aux microplastiques, alors qu’elles comportent des risques encore plus importants pour la santé. «Il ne faut pas mélanger les sujets. D’ailleurs, il n’est pas certain que l’on puisse remplacer les microplastiques par des nanoplastiques pour obtenir les mêmes propriétés. Cela demande une approche au cas par cas», affirme Véronique Fraigneau, de PlasticsEurope, qui plaide pour leur exclusion de la réglementation.

Dans un communiqué, l’agence européenne des produits chimiques a maintenu sa dernière position, estimant qu’il s’agissait de «l’interdiction la plus ambitieuse au monde». L’avis définitif de son Comité d’évaluation socio-économique (Seac) ne sera toutefois connu qu’en décembre. La Commission européenne aura alors trois mois pour formuler sa proposition législative et peut-être relever l’ambition de l’UE.

 

 


[1] Operation Clean Sweep