En Indonésie, cinq nouvelles espèces d’oiseaux identifiées

Représentant la plus importante moisson ornithologique depuis des décennies, ces volatiles ont été découverts sur trois îles voisines des Célèbes

Autant le dire immédiatement : la découverte que vient d’annoncer une équipe de l’université de Singapour ne détrônera pas l’immense Alfred Wallace. De 1854 à 1862, lors de sa campagne scienti!que en Indonésie, le naturaliste britannique, considéré comme l’un des deux pères, avec Charles Darwin, de la théorie de l’évolution, identi!a plus de 1 000 nouvelles espèces animales, dont près de 200 volatiles. Le monde a changé et les oiseaux, avec leurs quelque 11 000 espèces, repérables à l’oreille comme à l’œil, forment la classe animale la mieux connue. Aussi la description, vendredi 10 janvier, dans la revue Science, de 5 nouvelles espèces de passereaux assorties de 5 nouvelles sous-espèces, dans trois îles d’Indonésie, constitue un événement dans le monde de l’ornithologie.

Près d’un siècle que pareille moisson n’avait été enregistrée. En 1946, l’ornithologue Ernst Mayr n’hésitait pas à armer que « la période des nouvelles découvertes [était] pratiquement terminée ». Si la prédiction a semblé se con!rmer jusqu’aux années 1980, « un rebond a ensuite été enregistré, en raison du développement des outils d’analyse génétique qui ont permis de surclasser certaines sous-espèces, mais aussi du retour en vogue des expéditions », rappelle Jérôme Fuchs, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle de Paris et spécialiste de la phylogénie des oiseaux.

Depuis 2000, entre 5 et 6 nouvelles espèces sont ainsi identi!ées chaque année. Mais rarement plus d’une ou deux d’un coup, et plus rarement encore des oiseaux aux caractéristiques spectaculairement distinctes. « Cette fois encore, ces descriptions, prises une à une, restent assez ordinaires, précise Jérôme Fuchs. Mais l’ensemble dresse un tableau vraiment très riche et aide à mieux comprendre l’endémisme. »

Parties reculées de territoires

Il a fallu pas moins de dix ans à Frank Rheindt, chef de l’équipe et maître de conférences à l’université de Singapour, pour parvenir à ce résultat. Le jeune Allemand pose pour la première fois le pied sur les îles de Peleng, Taliubu et Batudaka, au large des Célèbes, en 2009. Un passage dans quelques-unes des parties reculées de ces territoires le convainc qu’il tient là un « point chaud ». Il décide de revenir, avec cette fois du matériel d’analyse biologique et acoustique. Mais monter pareille expédition impose de lever des fonds, de rassembler des équipes et surtout de décrocher les autorisations administratives. Il lui faudra plus de trois ans. En novembre 2013, lui et ses collaborateurs singapouriens et indonésiens repartent à l’assaut de ces trois îles.

Si certaines des espèces nouvelles leur sautent vite aux yeux, comme le myzomèle rouge de Taliabu, d’autres restent plus furtives. Pendant une semaine, les chercheurs traqueront dans les forêts montagneuses de Taliabu l’auteur d’un chant inconnu. Ils !niront par découvrir une espèce de locustelle, dont la génétique confirmera sa distinction des vingt autres du genre. Un rhipidure et deux pouillots compléteront la moisson, ainsi que cinq autres spécimens qui resteront à l’état de sous-espèces. « Nous avons fait preuve d’un grand conservatisme dans la classification, assure Frank Rheindt. Certaines des cinq sous-espèces auraient pu être considérées comme des espèces. »

L’option a été prise après de longues analyses. Des comparaisons morphologiques et acoustiques avec toutes les bases disponibles. Mais surtout des analyses génétiques
« particulièrement pointilleuses », souligne l’ornithologue allemand. En ajoutant les
« discussions sensibles » entre institutions concernées et les délais de publication, six années supplémentaires se sont écoulées. « Une durée standard », assurent toutefois, d’une même voix, Frank Rheindt et Jérôme Fuchs.

« Ce travail montre une fois de plus, et de façon spectaculaire, à quel point la biodiversité terrestre est encore incomplètement connue en Indonésie », salue Marc Thibault, chef de projet à l’institut de recherche de la Tour du Valat (Bouches-du-Rhône), qui a participé à deux expéditions dans l’archipel. Frank Rheindt invite d’ailleurs ses collègues entomologistes et herpétologues à suivre sinon son exemple du moins sa méthode : cibler les régions peu explorées, souvent montagneuses, d’îles géologiquement lointaines. Etudier l’histoire et la géographie, donc. Séparées de l’île principale des Célèbes par des fonds de plus de 120 mètres, Peleng et Taliabu, par exemple, sont restées isolées, malgré les variations du niveau des mers, depuis 2 millions d’années. De quoi laisser le temps à l’évolution de faire son œuvre.

L’article souligne les dangers que courent déjà ces nouvelles espèces. La locustelle est en péril imminent, en raison de récents incendies. D’autres sont menacées par l’exploitation forestière. « Nous avons peu de moyens pour combattre la perte massive de biodiversité actuellement en cours, estime Frank Rheindt. L’un d’eux consiste à commencer par connaître ce que l’on veut protéger. »

photo : Le myzomèle de Taliabu (« Myzomela wahe ») se différencie de ses cousins des îles voisines par le plumage de ses ailes et de son ventre. JAMES EATON/BIRDTOUR ASIA