Et pourtant, elle tourne ! L’instrumentalisation politicienne et le loup : quelques réflexions géopolitiques

Le 4 septembre dernier, la présidente de la Commission Européenne, Ursula Van Der Leyen, déclarait « La concentration de meutes de loups dans certaines régions d’Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme ». Dans la foulée, se sentant opportunément les coudées franches, le ministre de l’agriculture français ajoutait : « L’objectif initial de sauvegarde [du loup] a été réalisé. Ce sont maintenant les éleveurs et leurs activités qui sont en danger ».

Constat plus qu’inquiétant : cette volte-face de la Commission Européenne remet en cause son rôle de garde-fou, qui obligeait jusque-là la France à avancer masquée dans sa politique de régulation du canidé. Dorénavant, cette dernière a accouché d’un plan loup totalement décomplexé vis-à-vis de la remise en cause de la protection de l’espèce (communiqué du 20 septembre 2023 « Un mauvais Plan pour tuer plus de loups »)

Une volte-face apparaissant plus que suspecte, et qui incite à quelques réflexions et analyses.

Le loup, un danger pour l’homme ?

Comment peut-on s’asseoir aussi ostensiblement sur plus d’un demi-siècle de recherches scientifiques sur l’espèce ?

Déjà en 1633, les découvertes scientifiques de Galilée dérangeaient le pouvoir politique, à l’époque intimement lié au pouvoir religieux. Grâce à sa récente lunette astronomique, il avait pu observer les satellites de Jupiter et soutenu le système copernicien où la Terre tourne autour du Soleil, et non pas l’Univers entier autour de la Terre, plaçant de facto le bipède au centre de tout. Inacceptable pour les autorités qui se sont empressées de faire abjurer Galilée, sous la menace du bûcher. On prête au savant, dépité, cette remarque apocryphe qu’il aurait discrètement marmonnée  : « Et pourtant, elle tourne ! ».

Fort heureusement, le monde a évolué depuis 1633. Néanmoins, on peut s’interroger : le logiciel de certains de nos politiciens contemporains a-t-il vraiment évolué depuis Galilée ?

L’élevage en danger à cause du loup ?

Certes, la présence du loup est une contrainte non négligeable. Pour autant, après 30 ans de présence, l’élevage ovin est toujours présent dans les Alpes, où la filière ovin viande prédomine.

Voyons plutôt les données factuelles : ci-dessous, deux graphiques provenant de « Info-loup N°40 », document on ne peut plus officiel puisque édité par la Préfecture AURA.

‍On constate d’évidence que l’élevage ovin se porte bien mieux dans les Alpes qu’ailleurs en France, et y semble loin d’être à l’article de la mort. Or ce sont les Alpes qui abritent la quasi-totalité des populations de loups, la présence du canidé n’étant qu’anecdotique ailleurs. Tendance confirmée d’ailleurs depuis quelques années par les bilans synthétiques régionaux annuels de l’IDELE (Institut de l’Elevage) qui montrent que la région PACA, la mieux pourvue en loups, est celle qui résiste le mieux à l’érosion pluri-décennale de l’activité.

Diable : on nous aurait donc menti ?

Les réelles menaces pesant sur l’élevage seraient donc ailleurs ?

L’examen de ces mêmes documents de l’IDELE nous montre que la consommation de viande ovine subit une baisse structurale depuis au moins 20 ans. De plus ce sont systématiquement les tranches d’âge les plus jeunes qui en consomment le moins, et vice-versa. Ceci augure très mal de l’avenir de cette filière qui est effectivement celle qui est la plus en difficulté, notamment par rapport aux filières ovin lait/fromage. On ne peut que faire le parallèle avec les activités viticoles qui, confrontées à une baisse structurale de consommation, ont dû subir de grosses restructurations à partir des années 1980 avec le développement de produits à forte valeur ajoutée au détriment de la quantité.

D’autre part, est survenu récemment un autre événement dont on peut se demander s’il ne fait pas figure de pot-aux-roses : un accord de libre-échange a été conclu en juin 2022, et signé en juillet 2023, entre l’Union Européenne et la Nouvelle-Zélande. Les perdants : les éleveurs ovins et bovins qui voient augmenter les quotas de viande importée, de 38000 tonnes pour les premiers. Un choix a manifestement été fait par les décideurs au détriment de la filière ovin viande qui devait peut-être présenter moins d’avenir économique dans la balance des échanges.

Quels décideurs ? On constate qu’Ursula Van der Leyen était déjà présidente de la Commission Européenne en juin 2022, Marc Fesneau déjà ministre de l’Agriculture. La France présidait alors le Conseil de l’Europe via notre président Emmanuel Macron.

Seraient-ce donc les mêmes, et quelques autres, qui représentent en réalité « un véritable danger » pour l’élevage, et non pas le loup ?

Depuis cet accord, le 24 novembre 2022 le parlement européen a voté une résolution demandant le déclassement, au moins partiel, de la protection des grands prédateurs, notamment le loup, en invoquant les difficultés de l’élevage. Or, le parti le plus en pointe dans ce vote est précisément le PPE (Parti Populaire Européen), dont fait partie Ursula Van Der Leyen, regroupant la droite européenne et le centre-droit. Son orientation économique est la plus libérale, favorisant justement les accords de libre-échange très souvent préjudiciables à l’élevage dans l’UE.

C’est également le PPE qui continue à pousser derrière la présidente de la Commission Européenne pour faire avancer ce déclassement, qui apparaît d’ores et déjà comme un objectif dans le plan loup (pardon : anti-loup) français largement aux mains de notre ministre de l’agriculture.

Dans cette sordide affaire, les politiciens anti-loup semblent vouloir faire passer auprès de l’élevage la pilule des accords de libre-échange, qu’ils ont eux-mêmes signés, en trouvant le bouc émissaire idéal.

En tirant ce rideau de fumée de pompiers-pyromanes pour faire diversion, ils s’affichent ainsi comme le meilleur soutien à la filière ovin-viande, alors qu’ils en sont en fait les bourreaux.

 

Un bien triste épilogue pour conclure : dans ce jeu de dupes, l’hypocrisie cultivée comme un art n’apparaît pas comme la moindre des vertus.

 

Patrick Leyrissoux, vice-président de FERUS