Morfo, la jeune pousse qui redonne vie à la forêt

Sélection des essences, algorithmes, usage de drones… : cette société a développé un procédé cent fois plus rapide que les techniques en usage pour replanter des forêts durables. Créée en 2021, elle a déjà 300 hectares de replantations à son actif.

C’est une scène glaçante, tirée du documentaire « Le Temps des forêts » de François-Xavier Drouet (2018). Le propriétaire d’un bois récemment planté, où s’alignent les rangées monotones de pins maritimes, fait signe à l’équipe du film de tendre l’oreille. Rien, pas un bruit, pas un chant d’oiseau. Et pour cause, il n’y en a pas. Et l’on remarque que, malgré l’été, aucun insecte ne vient non plus strier le champ de vision de la caméra. Cette forêt, bien que peuplée d’arbres vivants, semble tout à fait morte.

La force de ce film est ainsi de montrer la face cachée de la reforestation, dissimulée derrière le masque des chiffres prometteurs et la multiplication des projets de compensation. Il nous rappelle que la plantation de forêts mono-essence à croissance rapide est une catastrophe pour la biodiversité. Pourtant, la reforestation est une nécessité mondiale. Le Giec estime que les forêts détiennent 35 % du potentiel d’élimination du carbone qui réchauffe inlassablement notre atmosphère, et l’Onu réclame la plantation de 80 millions d’hectares d’arbres chaque année. Deux chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich ont publié dans le magazine « Science » une étude indiquant que 900 millions d’hectares de forêts pouvaient être replantés dans le monde, sans empiéter sur les terres urbaines ou agricoles.

Trois jeunes gens, dont deux frères, ont décidé de se retrousser les manches pour aborder ce problème qu’ils connaissent bien. Hugo et Pascal Asselin ont grandi en Guyane française, où travaillait leur père au sein de l’industrie minière. Très jeunes, ils ont pu constater les destructions opérées dans la forêt par les mines, qui ne laissaient, à leur fermeture, qu’une terre dévastée et infertile. Après ses études, Hugo part à son tour travailler pour les mines en Guyane, où il s’occupe de la revégétalisation des anciens sites, désormais obligatoire pour l’industrie. Conscient des contraintes et de la lenteur du processus, incompatible avec l’urgence climatique, il cherche une solution pour reforester à grande échelle. C’est ainsi qu’il s’associe à son frère Pascal et à un ami commun, Adrien Pagès, pour fonder en 2021 la société Morfo.

Planter vite et bien

Planter des forêts vite et bien, telle est l’injonction, contradictoire en apparence, à laquelle obéissent ces jeunes entrepreneurs. « L’un des principaux obstacles à la reforestation durable et efficace est la bonne compréhension des écosystèmes pour y maintenir la biodiversité, explique Pascal Asselin. Il faut avoir une approche scientifique et analytique, et pouvoir également passer à l’échelle industrielle pour aller plus vite. »

A ses débuts, la jeune pousse a choisi de fonder, en partenariat avec l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), un laboratoire des symbioses tropicales et méditerranéennes pour étudier les écosystèmes de ces zones géographiques qui présentent, à ses yeux, le plus grand potentiel de reforestation. Cette structure lui a notamment permis d’élaborer un catalogue d’essences locales, voire endémiques. Une fois son laboratoire monté, Morfo a mis au point son mode opératoire.

Tout commence par une analyse du terrain à reforester grâce à un drone permettant aux équipes de l’entreprise, via l’image du sol, de déterminer ses caractéristiques. Ensuite, la start-up a développé un outil d’analyse qui permet de passer ces informations au crible de l’algorithme pour déterminer quelles espèces doivent être plantées parmi celles de son catalogue. « Nous avons ensuite concocté une “sauce magique” pour enrober les semences, sourit Hugo. Ces capsules ne contiennent que des matières naturelles, micro-organismes ou autres éléments, destinées à protéger la graine, à booster sa croissance et à enrichir les sols dégradés pour y restaurer la vie. Nous avons également créé une machine pour encapsuler les graines. » Munies de leurs carapaces nutritives, celles-ci sont ensuite chargées à bord de drones qui viennent les larguer entre cinq et dix mètres d’altitude, à raison d’une à deux capsules par seconde. Sur chaque terrain à reforester, Morfo plante 20 à 50 espèces différentes afin de reconstituer les diverses strates de la forêt : herbacés, arbustes, arbres… Loin donc, d’un bois mono-essence.

Vingt à cinquante fois moins cher

La start-up a fait l’acquisition de trois drones agricoles, modifiés par ses soins, afin de pouvoir larguer les capsules. L’usage de ces engins présente de nombreux avantages : ils peuvent accéder à des terrains escarpés et épandre les semences à un rythme extrêmement soutenu, de l’ordre de 50 hectares par jour alors que la plantation traditionnelle, à la main, ne permet de couvrir que 0,5 à 1 hectare par personne. En simplifiant à l’extrême la logistique et en limitant la main-d’œuvre, la start-up annonce ainsi des coûts de reforestation vingt à cinquante fois moins chers que les techniques en usage. Grâce à sa capsule, elle vise un taux de survie très élevé, de l’ordre de 80 % des graines plantées.

Morfo a également à cœur d’impliquer les populations locales dans ses projets. «Nous travaillons avec des relais sur place et des ONG pour informer les habitants et pour les inclure dans le processus de reforestation, de la préparation des terrains à la plantation en passant par la récolte des graines», fait savoir Pascal Asselin. Ainsi, les autochtones peuvent devenir les premiers défenseurs de la future forêt.

Car il ne s’agit pas simplement de planter des arbres, il faut également s’assurer que ceux-ci poussent convenablement. La start-up a ainsi mis au point un outil de suivi à destination d’elle-même et de ses clients. Grâce à des images fournies par drone ou satellite, les équipes de Morfo peuvent suivre la croissance de la biomasse, l’évolution de la biodiversité ainsi que la quantité de carbone stockée par la forêt. Et adapter en conséquence les futures plantations ou corriger au plus vite un problème dans le projet en cours de surveillance.

Un million d’hectares en 2030

Malgré son jeune âge, la société d’une vingtaine de salariés, basée à Paris, a d’ores et déjà planté quelque 300 hectares de forêts dans le cadre de trois projets menés en Guyane, au Brésil et au Gabon, ce dernier pour le géant Eramet. «Notre forêt la plus ancienne n’a qu’un an, mais elle pousse bien. Il y a des arbustes de près d’un mètre », se réjouit le cofondateur. Outre les industries minières obligées de reforester, elle cible également les propriétaires terriens souhaitant revivifier des parcelles dégradées. Pour ce dernier marché, Morfo compte se financer via des crédits carbones, dont les bénéfices seront partagés avec les possesseurs des terrains.

Après les derniers scandales ayant affecté ces outils de compensation, révélés par « The Guardian » et « Die Zeit », Pascal Asselin reconnaît « que le marché du crédit carbone doit encore se structurer. Pour notre part, nous travaillons avec des certificateurs qui viennent valider la séquestration de carbone par nos forêts, nous ne proposons nos services qu’à des entreprises ayant un programme de réduction de leurs émissions et les crédits carbones financent directement nos projets, sans intermédiaire.» Ce système assurant des bénéfices à Morfo comme à son client permet aussi de garantir que la forêt ainsi plantée ne fasse pas l’objet d’une coupe rase vingt ans après sa création.

Un modèle qui se veut vertueux et qui a su séduire les investisseurs. En 2022, Morfo a levé 3,6 millions d’euros en 2022 auprès de Demeter, Raise Ventures, AFI Ventures, Teampact Ventures et d’autres business angels. Elle compte sur cette manne pour intensifier sa R&D et développer sa capacité opérationnelle afin d’effectuer, dès 2023, des projets à plusieurs milliers d’hectares, puis à plusieurs dizaines de milliers d’hectares en 2025. Morfo vise le million d’hectares plantés à la fin de la décennie.

Source : Les Echos