Plus de la moitié des oiseaux sauvages en mauvais état de conservation dans l’UE

Selon le rapport sur l’état de la nature de l’UE, publié lundi 19 octobre, l’agriculture est la cause principale de l’érosion continue de la biodiversité

Non seulement l’érosion de la biodiversité n’a pas été enrayée au sein de l’Union européenne (UE) ces dernières années mais sa détérioration s’est encore aggravée, notamment en raison des activités agricoles. Tel est le constat dressé par la troisième édition du rapport sur l’état de la nature dans l’UE, présenté lundi 19 octobre par la Commission. Cette publication intervient alors qu’une série de décisions cruciales sont attendues cette semaine à propos de la réforme de la politique agricole commune (PAC) et de la stratégie Biodiversité 2030.

Tous les six ans, les Etats membres de l’UE rendent compte de l’état de conservation des espèces et des habitats protégés par deux textes clés, les directives oiseaux et habitats. Les données concernant 463 espèces d’oiseaux sauvages, 233 types d’habitats « représentatifs et menacés »,allant des prairies sous-marines aux alpages, ainsi que près de 1 400 autres plantes et animaux ont ainsi été recueillies pour la période 2013-2018, et étudiées par l’Agence européenne pour l’environnement.

« Cette évaluation est le bilan de santé de l’UE le plus complet jamais réalisé, a souligné le commissaire européen à l’environnement, Virginijus Sinkevicius. Cela montre encore une fois, très clairement, que nous sommes en train de perdre le système qui garantit notre survie. »

Agriculture, urbanisation, pollution

Concernant les habitats protégés – qui représentent près d’un tiers de la superficie terrestre et 400 000 km2 des eaux de l’UE –, au moins 81 % d’entre eux sont désormais dans un état de conservation défavorable, contre 77 % pour la précédente période analysée (2007-2012). Plus d’un tiers d’entre eux ont connu une dégradation continue ; c’est le cas notamment des tourbières, des pelouses naturelles et des dunes.

La situation s’est également aggravée pour les oiseaux sauvages. Seulement 47 % des populations sont dans un état favorable, contre 52 % lors de la publication du précédent rapport, en 2015. Concernant les autres espèces, un léger progrès a été constaté puisque plus d’un quart des évaluations indiquent un état de conservation « favorable » (27 %) contre 23 % en 2015. Pour 63 % des espèces en revanche, cet état de conservation est toujours « insuffisant » ou « médiocre ».

Les Etats membres ont aussi transmis des informations sur les causes principales de ces atteintes à la biodiversité : il en ressort que les pressions liées à l’agriculture sont les plus fréquemment signalées à la fois pour les habitats et les espèces, avant la modification des régimes hydrologiques, l’urbanisation et la pollution.

« Depuis les années 1950, une agriculture plus intensive et spécialisée a progressivement contribué à l’appauvrissement continu de la biodiversité, rappelle la Commission. Les pelouses, les habitats d’eau douce, les landes et les fourrés ainsi que les tourbières et les bas marais ont été les plus gravement touchés. »

L’agriculture a des conséquences majeures pour de nombreuses espèces de reptiles, de mollusques, d’amphibiens, d’arthropodes et de plantes vasculaires ainsi que pour les oiseaux. « On sait que le déclin des oiseaux inféodés aux milieux agricoles est beaucoup plus fort que celui des oiseaux davantage liés à des milieux forestiers ou urbanisés, en raison de l’utilisation de produits phytosanitaires, de la disparition des habitats naturels tels que les haies ou les talus ou encore de la perte des prairies permanentes », explique Pauline Rattez, spécialiste des politiques agricoles à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

L’exploitation forestière est le facteur ayant le plus d’impact pour les espèces, en particulier les arthropodes, les mammifères et les plantes non vasculaires. Les oiseaux hivernants et de passage souffrent avant tout de la chasse – au moins 52 millions d’oiseaux sont chassés chaque année sur le territoire européen – alors que les poissons sont victimes de l’exploitation des ressources marines et d’eau douce.

Les grands mammifères terrestres, comme le loup ou le lynx d’Europe, sont essentiellement la proie d’abattages illégaux et les prises accessoires dans les engins de pêche affectent en priorité les petits cétacés comme le dauphin commun.

L’objectif pour 2020 n’est pas atteint

Si le constat est sévère, tout n’est pas sombre : le rapport note que l’état de conservation n’évolue que lentement, ce qui peut occulter certains phénomènes positifs, et souligne que 6 % des évaluations nationales et régionales font état d’améliorations. Ainsi dans les plaines côtières de la Baltique en Finlande, les castors, les phoques gris, le pygargue à queue blanche ou la grue cendrée vont mieux qu’il y a quelques années.

Le réseau de zones protégées Natura 2000, qui constitue le principal outil de l’UE pour maintenir ou rétablir l’état de conservation des habitats et des espèces, a aussi connu des évolutions favorables : le réseau des zones marines a doublé en superficie par rapport à la période 2012-2018 et le nombre de sites disposant de plans de gestion détaillés a augmenté de manière considérable. Fin 2019, ces quelque 27 900 zones protégées couvraient 17,9 % du territoire terrestre de l’UE et 9,7 % de ses eaux marines.

Malgré ces progrès « limités », la Commission déplore que la dégradation continue de certains habitats et espèces l’emporte sur les améliorations. L’objectif premier de la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2020, à savoir enrayer la détérioration de l’état de l’ensemble des espèces et habitats protégés et améliorer leur état de manière « significative et mesurable », n’a donc pas été atteint.

« Cette évaluation fait apparaître la nécessité d’opérer un changement radical si nous voulons avoir une chance réelle de faire en sorte que la biodiversité de l’Europe soit sur la voie du rétablissement d’ici à 2030, insiste la Commission. Si nous n’y parvenons pas, non seulement notre patrimoine naturel commun, mais aussi les services vitaux qu’il fournit, qui sont en fin de compte les fondements de la santé et de la prospérité humaines, continueront de s’effriter. »

En mai, la Commission européenne a adopté deux feuilles de route ambitieuses pour la biodiversité et pour l’alimentation et une agriculture durable, premiers jalons de son « pacte vert ». Les stratégies Biodiversité 2030 et De la ferme à la fourchette prévoient notamment de protéger 30 % des terres et mers au sein de l’UE et de réduire de moitié l’usage des pesticides. Vendredi 23 octobre, les ministres de l’environnement des Vingt-Sept doivent adopter les conclusions de la stratégie Biodiversité alors que, en parallèle, les ministres de l’agriculture puis le Parlement européen débattent cette semaine de la future PAC.

« La stratégie Biodiversité pourrait réellement changer la donne mais il faut pour cela que les Etats membres soient prêts à la mettre en œuvre, explique Sabien Leemans, chargée des questions de biodiversité au bureau politique européen du Fonds mondial pour la nature (WWF). Et nous devons protéger la nature mais aussi traiter les facteurs de l’érosion : il est donc absolument nécessaire que les objectifs liés à l’agriculture, qui sont présents dans les stratégies Biodiversité et De la ferme à l’assiette, soient intégrés dans la PAC. »

« Aujourd’hui, les objectifs très ambitieux inscrits dans ces stratégies ne figurent pas dans le projet de PAC, dans lequel il n’y a aucune obligation environnementale pour les Etats membres, se désole aussi Pauline Rattez. On sait exactement ce dont la nature a besoin mais on va totalement dans la mauvaise direction. »

Source Le Monde, par Perrine Mouterde

Photo .JORGE RUIZ DEL OLMO