Pour les riches vacanciers, 200 000 animaux sauvages tués et empaillés chaque année

Une proposition de loi visant à interdire l’importation et l’exportation de trophées de chasse devait être votée début février. Mais la majorité présidentielle bloque.

Voilà déjà plus de deux mois que la proposition de loi devait être discutée… En vain. Le texte qui prévoit de mettre fin aux importations et exportations de trophées de chasse d’un grand nombre d’espèces menacées d’extinction est toujours dans les tiroirs. Sont concernés tous les animaux recensés dans les annexes I et II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) comme le guépard, l’éléphant d’Afrique, le lynx d’Eurasie ou l’ours polaire.

Sandra Regol, la députée écologiste du Bas-Rhin à l’origine de la proposition de loi transpartisane — cosignée par des députés Renaissance et Modem —, avait réussi à obtenir un consensus sur le sujet avec l’ensemble de la gauche, quelques élus Les Républicains et de la majorité présidentielle. Même Gabriel Attal avait défendu le texte dans l’hémicycle cet automne. Mais « un petit groupe de députés Renaissance font tout pour que le texte ne soit pas inscrit à l’ordre du jour », déplore Sandra Regol.

La chasse aux trophées est une forme de tourisme bien à part. En guise de souvenirs, les riches vacanciers rentrent chez eux avec une tête d’ours, un tapis en guépard ou un lynx empaillé dans leurs valises. Ils sont prêts à dépenser plusieurs dizaines de milliers d’euros afin de ramener la dépouille ou des parties d’animaux qu’ils ont chassés pendant leur séjour dans la savane africaine, les steppes d’Asie centrale ou le Grand Nord Canadien.

Cette pratique est tout à fait légale : la Cites interdit certes tout commerce de ces animaux en péril, mais autorise les pays signataires à délivrer des permis spécifiques pour la chasse aux trophées.

752 trophées d’espèces protégées importées en France en 4 ans

Parmi les raisons pour lesquelles Sandra Regol est opposée à cette pratique, « la chasse aux trophées spécule sur la disparition des espèces : plus un animal est rare, plus sa valeur sera élevée donc plus l’espèce est en danger, plus le trophée sera prisé ».

S’il est très compliqué de connaître le chiffre exact du nombre de ces chasseurs en France, la députée l’estime à « une petite centaine de personnes ». Parmi les Français les plus connus, on trouve l’ancien gardien de but de l’OM Pascal Olmeta. Il avait été vivement critiqué lors de la diffusion en 2016 d’une vidéo où on le voit tuer un éléphant lors d’une partie de chasse au Zimbabwe. La même année, l’ancien skieur Luc Alphand s’était fait épingler pour avoir posé fièrement à côté d’un ours et d’un mouflon abattus en Russie.

Chaque année dans le monde, plus de 200 000 animaux sauvages sont ainsi tués pour servir de trophées, selon plusieurs associations de protection des animaux. Et le rôle de la France n’est pas négligeable. Alors que le pays a interdit l’importation de trophées de lions en 2015 après la colère suscitée par l’abattage du lion Cecil au Zimbabwe par un chasseur étasunien, l’Hexagone est le premier importateur de l’Union européenne de trophées pour le léopard d’Afrique, le lynx d’Eurasie et le guépard.

D’après un rapport de l’ONG Humane Society International, entre 2014 et 2018, 752 trophées de chasse de 36 espèces répertoriées par la Cites ont été importés en France. Ainsi, sur la période, les cadavres ou des morceaux de 210 léopards, 121 éléphants d’Afrique, 113 hippopotames et même 5 ours polaires ont été acheminés sur le territoire.

En France, plusieurs agences comme Majeje Africa Safaris, Zelda Hunting Safari ou DHD Laïka vous proposent de chasser léopards, hippopotames ou éléphants de forêt lors d’un « safari‑chasse inoubliable ».

La Belgique et la Finlande ont légiféré

Malgré un sondage Ifop selon lequel 91 % des Français sont favorables à l’interdiction de la chasse aux trophées, le sujet patine. Daniel Labaronne, député (Renaissance) d’Indre-et-Loire, président du groupe d’étude Chasse et pêche à l’Assemblée nationale et lui-même chasseur dans son département, est l’un des députés macronistes opposés au texte.

Il explique à Reporterre qu’après s’être renseigné sur le sujet, « j’en ai conclu que cette loi était une fausse bonne idée et j’ai alerté mes collègues de Renaissance ». Elle ne pourrait être appliquée car un règlement européen existe déjà en la matière et la loi française ne peut aller au-delà, assure-t-il. Ce règlement limite l’importation des trophées des espèces menacées sous réserve d’un certificat d’exportation émis par le pays tiers et d’un permis d’importation émis par l’État membre.

« Complètement faux, la loi française peut être plus restrictive que le droit européen », répond Capucine Meyer. L’experte de la chasse aux trophées de l’ONG Humane Society International explique qu’en octobre 2022, le Parlement européen a pressé les États membres de prendre des mesures immédiates et efficaces pour interdire l’importation de trophées de chasse provenant de la liste d’espèces de la Cites. Par ailleurs, la Finlande et la Belgique ont légiféré sur le sujet en 2023 et 2024.

Collusion entre le WWF et les chasseurs

Si Daniel Labaronne s’oppose au texte, c’est aussi parce que, selon lui, « la chasse aux trophées permet, lorsqu’elle est bien gérée, de préserver les espèces menacées d’extinction selon le WWF ». En effet, plusieurs bureaux du WWF dans le monde comme celui de la Suisse estiment que « la chasse aux trophées, lorsqu’elle repose sur une compréhension scientifique claire de la dynamique de la population des espèces et qu’elle est gérée correctement, s’est révélée être un instrument de protection efficace dans certains pays et pour certaines espèces y compris celles menacées de disparition ». Les entreprises de chasse aux trophées doivent notamment « protéger » la zone qu’elles occupent en payant des services de sécurité pour éviter la présence de braconniers.

Toutefois, la collusion entre l’ONG et des chasseurs de trophées a été plusieurs fois dénoncée dans le passé. L’un de ses fondateurs, le duc d’Édimbourg, le mari de la reine Elizabeth II, s’était fait photographier en pleine chasse au tigre en Inde. Jusqu’en 2014, la famille royale britannique a exposé ses trophées de rhinocéros, peau de tigre et défense d’éléphant dans sa résidence de Sandringham. En outre, Peter Flack, qui a administré le WWF Afrique du Sud jusqu’en 2015, était l’un des plus grands chasseurs de trophées. Enfin, le président d’honneur du WWF en 2016 n’était autre que Juan Carlos, ancien roi d’Espagne, lui aussi connu pour ses parties de chasse en Afrique.

Lire aussi : Le WWF accusé de protéger les chasseurs de trophées en Afrique

La position du WWF se base sur un rapport de 2016 du groupe de travail sur l’utilisation durable et les moyens de subsistance de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « Or, la présidente de ce groupe de travail, Dilys Roe, était jusqu’en 2022 membre de Resource Africa, une association dont les liens avec la chasse aux trophées a été mis en évidence », poursuit Capucine Meyer. En outre, ce groupe de travail ne reflète pas la position de l’ensemble des comités de l’UICN dans le monde. Le comité français a ainsi soutenu la proposition de loi de Sandra Regol.

Pas assez de moyens contre le braconnage

Tout comme Bertrand Chardonnet, vétérinaire qui travaille depuis trente ans en Afrique, et membre des commissions de l’UICN pour la survie des espèces et sur les aires protégées. Pour lui, pas de doute : « La chasse aux trophées constitue une menace pour la survie de nombreuses espèces. » D’abord car l’argent généré par cette pratique ne permet pas de créer des zones protégées et de limiter le braconnage. « Il faut 7 à 8 dollars par hectare et par an pour faire fonctionner une aire protégée mais les entreprises de chasse aux trophées dépensent en moyenne 18 centimes à l’hectare, avec ça on ne peut pas faire de conservation », indique-t-il. Par exemple, « dans la réserve de Selous, en Tanzanie, les entreprises de chasse aux trophées n’ont pas assez investi dans la surveillance pour éviter le braconnage, cela a contribué à la diminution de la population d’éléphants passant de cinquante mille en 2009 à seize mille en 2016 ».

« Cette chasse est un vestige du colonialisme »
Par ailleurs, en choisissant de tuer les animaux les plus imposants, les chasseurs laissent les animaux les plus faibles survivre. « Ils inversent la dynamique de la sélection naturelle et fragilisent donc le patrimoine génétique d’espèces déjà en danger », ajoute le vétérinaire.

Pour Bertrand Chardonnet, il faut également prendre en compte la souffrance infligée aux animaux qui mettent parfois plusieurs heures à mourir de leurs blessures, « les tireurs évitent la tête, pour ne pas abîmer leur futur trophée ».

Trop peu de bénéfices pour les populations locales

Troisième argument développé par Daniel Labaronne : la chasse aux trophées serait bénéfique pour les communautés locales. Si les entreprises étrangères qui proposent ces chasses sont en effet tenues de reverser un pourcentage de leurs bénéfices localement, « il n’y a pas de contrôle », affirme Bertrand Chardonnet. En outre, selon un rapport du site Economist at Large publié en 2017, la chasse aux trophées ne représentait que 1,9 % des 17 milliards de dollars de recettes touristiques, et seulement 0,76 % des 2,6 millions d’emplois (environ 19 000 emplois) dans le tourisme animalier dans huit pays d’Afrique subsaharienne étudiés. Autrement dit, les emplois et bénéfices potentiels de la chasse aux trophées sont bien inférieurs à ceux liés au tourisme durable, axé sur l’observation des animaux.

Enfin, Daniel Labaronne explique avoir des échos selon lesquels des « chefs d’États africains ont vu dans cette proposition de loi une forme d’ingérence ». L’argument est aussi utilisé par le président de la Fédération nationale des chasseurs. Dans un courrier envoyé à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, Willy Schraen va jusqu’à affirmer que cette proposition de loi est une « leçon d’écologie néocolonialiste, qui incarne à juste titre un vieux relent raciste en pensant que ces gens sont incapables de gérer leurs animaux sauvages ». « La proposition de loi n’interdit pas la chasse aux trophées dans d’autres pays, elle prohibe le fait de rapporter en France la dépouille d’animaux en voie de disparition, au contraire, cette chasse est un vestige du colonialisme », rétorque Sandra Regol.

La majorité présidentielle muette sur le sujet

Lors de son discours d’ouverture au Congrès des chasseurs le 7 mars 2024, Willy Schraen a d’ailleurs remercié Daniel Labaronne « qui a fait feu de tout bois pour que cette proposition de loi ne passe pas ».

En attendant, au sein de la majorité présidentielle à l’Assemblée, personne ne se bouscule pour aborder le sujet. Sollicités par Reporterre, ni Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et signataire de la proposition de loi, ni Pierre Cazeneuve, vice-président du groupe Renaissance, n’ont souhaité s’exprimer. D’ici la fin de la session parlementaire, la dernière chance est d’inscrire le texte en juin lors de la semaine transpartisane. Faute de quoi, il faudra attendre la prochaine session.

Quoiqu’il advienne, les beaux jours de la chasse aux trophées sont terminés selon Bertrand Chardonnet. « Entre la baisse du nombre de chasseurs et d’animaux tirés, le manque d’investissements des entreprises de chasse qui n’ont pu endiguer le braconnage ni la progression du front agropastoral et ses retombées économiques trop faibles, l’activité est en net déclin. » Pour lui, « l’enjeu est d’arrêter cette pratique le plus vite pour faire des projets plus durables avec les communautés locales ».

Source : Reporterre