Seulement 3 % des écosystèmes mondiaux restent intacts

Selon une étude publiée jeudi, plus de 97 % des habitats terrestres ont perdu leur intégrité écologique. Mais la réintroduction d’espèces disparues dans certaines zones pourrait changer la donne.

L’empreinte laissée par l’être humain sur notre planète n’est plus à démontrer. Rares sont les territoires terrestres restés vierges de toute activité humaine. C’est le constat des auteurs d’une étude publiée jeudi dans la revue Frontiers in Forests and Global Change. D’après eux, «pas plus de 2,9 % de la surface terrestre ne peut être considérée comme intacte sur le plan faunistique».

Outre l’Antarctique qui n’a pas été pris en compte, les seuls territoires sauvages à ne pas avoir été détériorés par l’activité humaine se trouvent principalement dans les forêts tropicales de l’Amazonie et du Congo, les forêts et toundras de l’Est sibérien et du Nord Canada, ainsi que dans le Sahara.

Pour arriver à ces conclusions, les auteurs ont combiné des données cartographiées de l’impact de l’homme sur la biodiversité en utilisant des indices comme «l’human footprint» qui donne différents indicateurs (densité de population humaine, infrastructures routières, terres cultivées, etc.) avec des cartes montrant les endroits où les animaux, principalement les mammifères, ont disparu de leur habitat d’origine. Ces dernières se basent entre autres sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).

Réintroduction d’espèces

«Les auteurs de l’étude n’étudient pas spécifiquement les causes de l’extinction des espèces qu’ils ont considérées mais on peut imaginer (d’après les nombreuses études sur le sujet) que les invasions biologiques représentent l’une des principales causes avec la perte d’habitat, la surexploitation des espèces et la pollution, analyse Céline Bellard, chercheuse au CNRS en écologie. Le pourcentage de zones intactes est extrêmement faible à l’échelle de la planète, mais en réalité, il reflète l’empreinte que nous laissons un peu partout.»

Pour les auteurs de l’étude, il est encore temps d’agir. Ces derniers suggèrent de réintroduire 1 à 5 espèces bien déterminées afin de rétablir l’intégrité écologique de certaines zones touchées. D’environ 3 % de terres «intactes» actuellement, on grimperait à 19 %, voire 24 %. La transformation d’écosystème par la réintroduction d’espèces a déjà été démontrée par le passé. Réintroduit en 1995, le loup gris a par exemple eu un impact non négligeable sur le parc national de Yellowstone, aux Etats-Unis, comme le documente Mark Boyce, professeur d’écologie à l’université d’Alberta dans un article paru dans la revue Journal of Mammalogy en 2018.

Mais une telle réintroduction peut-elle être aussi bénéfique en dehors d’une aire protégée où l’activité humaine reste relativement limitée ? «Bien que l’analyse soit intéressante, je pense que la réintroduction est une mesure de conservation locale, dont les bénéfices doivent être principalement étudiés à cette échelle, tranche la chercheuse Céline Bellard. La restauration des écosystèmes et du fonctionnement même de ces derniers est un processus complexe, il ne suffit pas de réintroduire des espèces mais aussi de protéger l’ensemble de la communauté (faune et flore) et de l’habitat. Par ailleurs, les auteurs n’ont pas considéré les menaces futures telles que le changement climatique, qui conduira à un stress supplémentaire pour les populations, et ils se sont intéressés principalement à la faune et surtout aux mammifères sans étudier les plantes et les forêts qui sont aussi particulièrement affectées par l’empreinte humaine Cette étude ne démontre donc qu’un versant de l’impact de l’activité humaine sur notre planète.

«Une grande partie de ce que nous considérons comme un habitat intact est dépourvu d’espèces qui ont été chassées par l’homme, ou perdues à cause d’espèces envahissantes ou de maladies», explique au Guardian le biologiste Andrew Plumptre, auteur principal de l’étude. «C’est assez effrayant, car cela montre à quel point des endroits comme le Serengeti[grand parc national situé dans le nord de la Tanzanie, ndlr] sont uniques, car ils possèdent des écosystèmes fonctionnels et totalement intacts.» Fait intéressant : de nombreuses zones identifiées comme «écologiquement intactes» coïncident avec des territoires gérés par des communautés autochtones. Ces dernières «ayant joué un rôle essentiel dans le maintien de l’intégrité écologique de ces zones», souligne le rapport.

Libération / Julie Renson Miquel / 16 avril 2021

 

 

photo : «Des endroits comme le Serengeti [grand parc national situé dans le nord de la Tanzanie, ndlr] sont uniques, car ils possèdent des écosystèmes fonctionnels et totalement intacts.» (Tony Karumba/AFP)