Une nouvelle étude mondiale révèle un risque croissant d’extinction pour les requins et les raies des profondeurs

Les experts montrent que les requins et raies des profondeurs font partie des vertébrés marins les plus sensibles à la surexploitation, principalement due au commerce international de la viande et de l’huile de foie, et appellent à des mesures de conservation immédiates

Vancouver, Canada, 7th March 2024: Une nouvelle analyse, publiée aujourd’hui dans la revue Science, révèle qu’un requin ou raie des profondeurs sur sept est menacé d’extinction, selon les critères de la Liste Rouge des espèces menacées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Une équipe d’experts mondiaux souligne que la principale menace pour ce groupe appartenant à la mégafaune des profondeurs est la surpêche, et en particulier leur capture en tant que prises accessoires dans les pêcheries ciblant des espèces commercialement importantes.

« Les requins et les raies des profondeurs sont recherchés pour leur viande et leur huile de foie », déclare Dr Brittany Finucci, une scientifique halieutique basée à l’Institut national de recherche sur l’eau et l’atmosphère (NIWA) en Nouvelle-Zélande. « Bien que ces pêcheries ne soient pas nouvelles, l’expansion et la diversification mondiales de l’utilisation et du commerce des requins et des raies des profondeurs sont préoccupantes. »

Les requins et les raies des profondeurs – des espèces passant la majeure partie de leur vie à des profondeurs supérieures à 200 mètres – se révèlent d’être parmi les espèces de vertébrés marins les plus vulnérables à la surexploitation en raison de leur longue durée de vie et de leurs faibles taux de reproduction. Certaines espèces de requins des profondeurs partagent des caractéristiques biologiques similaires avec les mammifères marins, autrefois exploités pour leurs huiles et aujourd’hui fortement protégés. Par exemple, le Requin du Groenland et le Squale-chagrin de l’Atlantique ont des taux de croissance de population respectivement comparables à ceux du cachalot et du morse.

« La plupart des requins et raies des profondeurs ne peuvent seulement supporter qu’une pression de pêche très faible« , explique Dr Nicholas Dulvy, professeur à l’Université Simon Fraser au Canada. « Certaines espèces peuvent mettre 30 ans ou plus pour atteindre leur maturité, et jusqu’à 150 ans pour le Requin du Groenland, et ne produisent que 12 petits pendant toute leur vie. En raison de leur grande taille et de leur distribution étendue, les requins et les raies des profondeurs jouent un rôle écologique vital en concentrant et en dispersant les nutriments dans les habitats océaniques profonds. »

Dr Rima Jabado, vice-présidente de la Commission pour la sauvegarde des espèces de l’UICN et présidente du Groupe spécialisé sur les requins de l’UICN, souligne que “les résultats de notre étude mettent en évidence la nécessité de réguler le commerce de l’huile de foie”. « Bien qu’il y ait eu un succès significatif dans la régulation du commerce des ailerons de requin, des réglementations spécifiques pour les requins et les raies des profondeurs sont nécessaires de toute urgence. Cela pourrait inclure des protections nationales, des réglementations sur les pêcheries en eaux profondes, ainsi que l’inscription d’espèces à l’Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Les requins et les raies des profondeurs ont été négligés pendant trop longtemps. Il est maintenant temps d’agir pour empêcher une aggravation de la menace actuelle. »

Notes aux rédacteurs :

L’étude a été réalisée dans le cadre du Global Shark Trends Project (GSTP), une collaboration entre le Groupe spécialisé sur les requins de l’UICN, l’Université Simon Fraser, l’Université James Cook et l’Aquarium de Géorgie, avec le soutien du Shark Conservation Fund, afin d’évaluer le risque d’extinction des poissons chondrichtyens (requins, raies et chimères). L’analyse sur huit ans a impliqué 322 experts du monde entier.

Cette étude a évalué 521 espèces, classant 60 (11,5 %, plus de deux fois plus que lors du rapport de 2014) dans les catégories menacées de l’UICN, soit En danger critique d’extinction (9 espèces), En danger (20 espèces) ou Vulnérable (31 espèces). En considérant que les espèces avec des données insuffisantes sont menacées dans la même proportion que les espèces évaluées, la statistique augmente à une sur sept menacée (14,1 %). Le site Internet de la liste rouge de l’UICN (www.iucnredlist.org) utilise la valeur la plus élevée pour exprimer le risque d’extinction à l’échelle mondiale. Deux tiers des espèces (323 espèces) sont classés en Préoccupation mineure, et 43 espèces sont Quasi menacées.

La classe des chondrichtyens comprend trois grandes lignées : les requins, les raies et les chimères (un groupe relativement petit constitué principalement d’espèces des profondeurs). Les chondrichtyens constituent la plus ancienne et la plus grande radiation évolutive de vertébrés et l’une des trois classes taxonomiques de poissons. Près de la moitié (45 %) de la diversité mondiale de tous les requins et raies se trouve dans les profondeurs de l’Océan.

Depuis les années 1990, la conservation des requins et des raies est de plus en plus prise en compte au sein des organismes régionaux de pêche (y compris les Organisations Régionales de Gestion des Pêches) et des traités internationaux sur la faune sauvage, en particulier la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Par le biais de diverses actions associées visant principalement à mettre fin à la surexploitation des espèces menacées, les gouvernements des États membres sont tenus de limiter la pêche et/ou les exportations à des niveaux durables, mais le bilan du respect de ces engagements a été généralement médiocre jusqu’à présent. À ce jour, les requins et les raies des profondeurs sont encore largement ignorés.

Il existe actuellement une initiative mondiale visant à protéger 30 % de l’Océan d’ici 2030 (30×30). Cette nouvelle étude montre que la protection de 30 % des profondeurs entre 200 et 2 000 mètres fournirait une protection spatiale partielle pour ~80% des espèces à travers leur aire de répartition. Si une interdiction mondiale de la pêche en dessous de 800 mètres était mise en place, cela offrirait un refuge vertical de 30 % pour un tiers (27 %) des requins et raies des profondeurs qui sont menacés.

Publication complète: L’article scientifique peut être consulté en suivant ce lien: https://bit.ly/SharksInTheDark.

Photo : A gulper shark (Centrophorusspp.) tagged with a pop-up satellite archival transmitter (PSAT) tag from in waters around the Exuma Sound, off Cape Eleuthera, The Bahamas. Photo ©Sean Williams