Photographes animaliers

RICORDEL Philippe

La photographie autrement

Je suis photographe par passion et celle-ci m'emmÚne au quatre coins du monde pour observer, photographier et documenter la vie des animaux sauvages dans leurs milieux naturels. J'accompagne des groupes composés de peu de personnes sur des territoires méconnus, ou connus mais de maniÚre différente.

J’ai commencĂ© Ă  prendre des photos avec l’appareil de mon pĂšre (un Savoy-Royer avec cellule au sĂ©lĂ©nium – je l’ai encore) alors que j’avais une dizaine d’annĂ©es. Avec ce type d’appareil pas question de faire de la photographie animaliĂšre, mais Ă  cette Ă©poque, lĂ  n’était pas le sujet. C’est lorsque j’ai eu mon premier Reflex pour mes 17 ans que j’ai commencĂ© Ă  m’intĂ©resser Ă  la photographie des fleurs et des a,imaux qui m’entouraient. Car bien que nĂ© Ă  Paris, j’étais Ă  la campagne tous les week-ends. C’est dans cette campagne pas trĂšs Ă©loignĂ©e que j’ai commencĂ© Ă  observer, photographier la faune sauvage la plus accessible, grenouilles et tritons m’ont servi de cobaye, papillons et libellules Ă©galement, plus occasionnellement rat musquĂ© et couleuvre ont Ă©galement fait partie de mon bestiaire de l’époque.

Au fil du temps, j’ai pu acquĂ©rir des connaissances naturalistes et aussi grandement amĂ©liorer la qualitĂ© de mes images, le matĂ©riel dans mon sac Ă©voluant Ă©galement quelque peu, passant d’un 50mm + doubleur Ă  un zoom 75-200 et un 135/2 (un 270/4 avec le doubleur !).

Je me suis Ă©galement fortement intĂ©ressĂ© Ă  la vidĂ©o, en dĂ©laissant presque la photo Ă  un certain moment, mais cette derniĂšre Ă©tant encore plus chronophage, la photo l’a finalement emportĂ©e bien qu’aujourd’hui la capacitĂ© Ă  filmer de nos matĂ©riels photographiques m’incite Ă  rĂ©aliser de petits films Ă  l’occasion.

Aujourd’hui, je cherche Ă  donner Ă  mon travail une orientation plus artistique, moins naturaliste (ce que j’ai beaucoup fait jusqu’à prĂ©sent), c’est plus compliquĂ©, cela prend Ă©galement plus de temps mais cela sert un objectif : montrer des animaux sauvages avec leur esthĂ©tique propre, e que j’appelle le « beau », car je pense sincĂšrement que si le beau est donnĂ© Ă  voir au plus grand nombre, alors la prise de conscience de la nĂ©cessitĂ© de le protĂ©ger en sera facilitĂ©.

La partie n’est pas gagnĂ©e pour autant. Il faut communiquer encore et encore pour le maximum de personnes comprenne le lien qui existe entre la nature et nous, Ă©tablir le lien de causalitĂ© entre nos actions quotidiennes et l’état de l’environnement, son impact sur la faune et la flore, et par ricochet sur nous.

C’est lĂ  que rĂ©side ma motivation Ă  parcourir le monde de l’Arctique Ă  l’Antarctique, de l’Afrique (Afrique du Sud, Congo, Kenya, Rwanda notamment) au Japon jusqu’à l’IndonĂ©sie, l’Inde ou la Chine, sans oublier les AmĂ©riques, du nord de l’Alaska Ă  la Patagonie en passant par le BrĂ©sil et le Chili. En Europe, la France, l’Espagne, la NorvĂšge et d’autres font partie des pays visitĂ©s.

Il n’est pas toujours aisĂ© d’obtenir l’espĂšce, la situation recherchĂ©e, alors parfois il faut revenir sur le mĂȘme lieu ou un autre pour espĂ©rer capturer l’instant que l’on souhaite car avoir l’image qui parle, qui gĂ©nĂšre une Ă©motion, est une quĂȘte qui n’a pas vraiment de fin.

Mes images sont diffusĂ©es par l’agence BiosPhoto.

J’accompagne au Japon des voyages sur l’üle d’Hokkaido (14 jours environ) et Ă©galement en Chine, IndonĂ©sie (Ă  venir), Russie (Ă  l’étude), Nouvelle-ZĂ©lande (Ă  l’étude). En collaboration avec l’agence Nature du monde (www.natures-du-monde.com).

 

INTERVIEW

Quel cheminement personnel jusqu'Ă  l'animal sauvage ?

C’est le fruit de la dĂ©couverte de la campagne durant l’enfance. C’était d’abord le challenge de faire la photo qui m’attirait. Au fil du temps j’ai souhaitĂ© donner une orientation plus artistique Ă  mon travail dans le but de rĂ©vĂ©ler non seulement une espĂšce particuliĂšre, mais Ă©galement son esthĂ©tique propre, ce que j’appelle le « beau ».    

Un maßtre à penser ?

Oui et non. Je ne nie pas l’influence qu’ont pu avoir sur moi des Ă©missions tĂ©lĂ© (Christian Zuber – Camera au poing), les films de FrĂ©dĂ©ric Rossif ou encore les reportages du commandant Cousteau, mais dans une approche purement naturaliste qui Ă©tait la mienne Ă  mes dĂ©buts cela n’avait pas d’importance en rĂ©alitĂ©.

Aujourd’hui je regarde ce que font les autres, mais je connais aussi mieux l’envers du dĂ©cor, alors certaines photos me laissent dubitatif quant Ă  leur conditions rĂ©elles de rĂ©alisation, et donc moins enclin Ă  avoir un ou des photographes Ă©rigĂ©s en maitre Ă  penser.

Une Ɠuvre marquante ?

Je dirais un film : "La fĂȘte sauvage" de FrĂ©dĂ©ric Rossif

MĂȘme s’il ne montre rien de la complexitĂ© de la relation de l’homme Ă  la nature, ni de la mise en danger de celle-ci, (il est trop tĂŽt nous sommes en 1976), il a Ă©tĂ© pour moi comme un rĂ©vĂ©lateur.

La musique envoutante de Vangelis n’est pas pour rien non plus dans l’amour que j’ai pour ce grand film que l’on appelait pas encore film animalier. Comme le dit Gaston Bachelard, la clĂ© du film se rĂ©sume Ă  : "Les animaux sont nos plus anciens compagnons du songe". Ca fait rĂȘver, non ?

Si j'étais un animal sauvage ? 

Je serais un félin et comme nous sommes en France, je serais un lynx. Pour sa beauté, son habileté à la chasse et son regard fascinant entre tous.

Une belle émotion ou rencontre avec la faune ? 

Difficile de choisir, il y en a eu plusieurs au cours de ces derniÚres années. Retenons en deux.

La premiĂšre ce fut la rencontre avec l’ours brun, le gros, le grizzly, celui que l’on vous recommande d’éviter dans les forĂȘts de l’AmĂ©rique du nord ou d’Europe. Alors aprĂšs avoir croisĂ© trĂšs furtivement sa route dans certains parcs nationaux amĂ©ricains ou canadiens, j’ai Ă©tĂ© Ă  sa rencontre dans le parc national de Katmai en Alaska. Et lĂ , je dois dire que ce fĂ»t une belle Ă©motion de pouvoir l’observer de si prĂšs, sans affĂ»t, sans peur, sans crainte de part et d’autre.

Une seconde Ă©motion, plus rĂ©cente fut la quĂȘte du Chat de Pallas au Tibet. J’aime les fĂ©lins et ce petit chat (il n’est pas plus gros qu’un chat domestique) qui vit sur les hauts plateaux de l’arc himalayen n’est pas facilement observable. Alors, ce fĂ»t le dĂ©but d’une quĂȘte, un peu comme un saint graal que l’on veut obtenir. Il aura fallu du temps, des expĂ©ditions, mais le plaisir de le trouver dans les jumelles, petits points sur un rocher Ă  cet instant, fut une belle Ă©motion, sentiment de victoire et de rĂ©compense Ă  la persĂ©vĂ©rance.

Plus tard leurs regards si particulier furent encore une autre Ă©motion, celle de la proximitĂ© avec l’animal, qui m’a tolĂ©rĂ© le temps de quelques images.  

Un animal disparu qui reviendrait ?

Je dirais l’aurochs parce qu’il a disparu il y a finalement trĂšs peu de temps (2008 – source IUCN) et qu’il y a de fortes chances que si nous en Ă©tions souciĂ© alors il serait encore parmi nous. Aussi parce que c’est ici l’entiĂšre faute de l’homme et de son dĂ©veloppement qui en sont la cause. Nous nous sommes souciĂ©s du bison, pas de l’aurochs, pourquoi ?

Et cette mĂȘme question peut ĂȘtre posĂ©e pour tous les animaux qui sont en voie d’extinction, peu seront / pourront ĂȘtre sauvĂ©s faute de moyens qui pourront/seront consacrĂ©s. Les efforts de la Chine ont payĂ©, le grand panda n’est plus sur la liste des espĂšces en voie d‘extinction (classĂ© VulnĂ©rable - octobre 2016), quelle autre espĂšce bĂ©nĂ©ficiera d’une telle mobilisation ?

Un animal fantastique qui existerait ?

Un dragon, animal mythique par excellence, entourĂ© de mystĂšres et de lĂ©gendes. Avec une ambivalence bon/mauvais qui rappelle le Ying et le Yang si cher au Chinois et qui nous rappelle plus largement notre propre ambivalence je veux parler de celle de l’Homme capable du pire comme du meilleur.  

La photo ou la série à laquelle vous tenez particuliÚrement ?

J’hĂ©site. J’hĂ©site forcĂ©ment. Je crois qu’il y en a plusieurs en fait car Ă  chaque fois elles sont le tĂ©moignage d’une rencontre, et je sais que pour certaines d’entre elles, elles demeureront vraisemblablement unique, comme ce lĂ©opard des mers Ă©mergeant Ă  quelques mĂštres de moi en Antarctique, comme cet ours polaire curieux de mon objectif et pris au trĂšs grand angle. Il y a encore ce renard qui s’endort Ă  3 mĂštres de moi en toute confiance, comme ce grizzly dormant Ă  plat ventre qui se laisse approcher.

Toutes les images ne sont pas forcĂ©ment fantastiques, mais elles restent dans mon cƓur avec la force de l’émotion du moment.

Spot préféré ?

Pas vraiment d’endroit de prĂ©dilection mĂȘme si je me rends souvent au Japon (Hokkaido) et en Asie en gĂ©nĂ©ral. Chaque endroit a ses attraits et ses inconvĂ©nients.

PlutĂŽt solitaire matinal pour profiter du moment ou accompagnateur de groupe pour partager ?

Les deux, j’aime Ă  ĂȘtre seul en pleine nature, juste lĂ , animal parmi les animaux (ce qui reste rare). Mais il me plaĂźt de partager d’accompagner des groupes sur les lieux que j’aime partager. Et puis la construction de souvenirs communs, le lien qui se tissent durant la quĂȘte sont des choses immatĂ©rielles mais tellement irremplaçables.

Un lieu mythique ?

Je rĂȘve des jungles impĂ©nĂ©trables de la Papouasie-Nouvelle GuinĂ©e, lĂ  oĂč personne ne va ou si peu, pour me retrouver comme aux premiers temps de l’Homme face Ă  l’hostilitĂ© de la grande forĂȘt primaire oĂč rien ne va de soi.

Et la technique ?

La technique il faut l’apprendre pour mieux l’oublier. GĂ©nĂ©ralement en photographie animaliĂšre on n’a pas le temps de rĂ©flĂ©chir et de faire des rĂ©glages au moment de l’action, l’animal en laisse rarement le loisir. Alors, si elle est acquise elle n’est plus le problĂšme, il ne subsiste que le facteur humain, le contrĂŽle de ses Ă©motions, la concentration sur le sujet sont tout aussi importantes.

Et puis aussi, pratiquer, pratiquer et encore pratiquer pour l’oublier.

Des urgences ?

Il y a en a tellement 


C’est peut-ĂȘtre ça le problĂšme d’ailleurs, trop d’urgence tue- t-elle les urgences ?

A trop vouloir mener de combats contre ceci, contre cela, est-ce que l’urgence ne serait pas de revenir aux fondamentaux, revenir Ă  la notion premiĂšre de l’humain animal parmi les animaux ? Notre intelligence, notre sens de la dĂ©couverte, notre volontĂ© de faire mieux toujours mieux, aujourd’hui se retourne contre nous car elle s’exercent contre ce qui fait notre monde, la nature, l’environnement au sens large, les animaux sauvages (et pas seulement).

La prise de conscience est lĂ , il suffit de regarde les associations, les fondations, etc
 qui se veulent au chevet de la planĂšte, mais cela suffit-il ? C’est la partie du monde la plus aisĂ©e (principalement, mais pas seulement) qui porte les discours de protection et de sauvegarde, mais comment aller convaincre celui qui n’a rien qu’il ne peut se dĂ©velopper parce que ça porterait atteinte Ă  la nature qui l’entoure ? Paradoxe, ceux qui ont participĂ©s de l’exploitation en masse des ressources viennent porter des messages de modĂ©ration Ă  ceux qui n’ont rien, alors comment faire passer le message lĂ -bas, alors qu’il est dĂ©jĂ  si difficile Ă  faire passer chez nous (Cf. la chasse aux nuisibles en France) ?  

Rien n’est perdu, mais rien n’est gagnĂ©, j’ai le sentiment que nous sommes Ă  la croisĂ©e des chemins, et que tout peut basculer d’un cĂŽtĂ© ou de l’autre. Je crains que cela ne soit assez contrastĂ© in fine, des combats seront gagnĂ©s et d’autres, hĂ©las, perdus. C’est en cela que je souhaite, j’espĂšre, que les bons combats seront menĂ©s avec la derniĂšre Ă©nergie.

Des conseils ? 

Allez sur le terrain, observez, prenez votre temps. La chance du dĂ©butant existe mais elle est parfois frustrante, on fait une bonne photo Ă  la premiĂšre sortie et ensuite on dĂ©sespĂšre, il ne faut pas, la situation normale est plus de revenir avec rien que l’inverse. Il y a maintenant des moyens techniques facilitant la vie sur le terrain, il faut s’en servir (piĂšge photo, ghillie, etc 
 Ce n’était pas le cas Ă  mes dĂ©buts). Rien n’est rĂ©ellement facile, mais rien n’est non plus impossible, il faut juste prendre le temps, avoir le temps et ce n’est pas forcĂ©ment le plus simple.

Une association Ă  mettre en avant ?

Une seule serait rĂ©ducteur. Je prĂ©fĂšre choisir des combats plutĂŽt qu’une seule association, il y a tellement Ă  faire ici en France et ailleurs.

Une suggestion pour aider Ă  sensibiliser le grand-public ?

Montrer et remontrer jusqu’à l’indigestion les belles images, mais aussi celles qui dĂ©rangent, celles qui interpellent. La mĂ©moire est courte, il y a tellement de sollicitation, alors il y a fort Ă  faire pour prendre de ce fameux temps de cerveau disponible.

Convaincre les enfants, ce sont eux le futur et ils arriveront peut-ĂȘtre Ă  faire changer de comportements leurs parents, leurs amis, que le progrĂšs c’est le partage de la nature pas la possession de celle-ci.

Pour conclure ?

Nous ferions bien de reconsidĂ©rer notre position sur Terre. La Terre n’a pas besoin de nous, l’inverse n’est pas vrai, alors si notre HumanitĂ© veut survivre Ă  travers les siĂšcles il est grand temps qu’elle s’en prĂ©occupe.

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DISTINCTIONS

Plusieurs fois des images sĂ©lectionnĂ©es et exposĂ©es au Festival de l’oiseau, Montier en der, et d’autres en finale du BBC ou du Nature's Best Photography

Contribution Ă  l’illustration de l’ouvrage Sous la peau de l’ours. L’HumanitĂ© et les ursidĂ©s : approche interdisciplinaire, de K. Hoffman-Schickel, P. le Roux, É. Navet, Paris, Connaissances et Savoirs, 2017)

EXPOSITIONS ET PARUTIONS

7 photographies (Japon) au "Festival photo à ciel ouvert", exposition de photographies grand format en extérieur dans les rues de la commune de L'Ile d'Olonne du 8/6 au 30/09/2019

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