Au Kenya, des méthodes antiterroristes pour protéger la faune sauvage

Un programme met le renseignement au cœur de la lutte contre le braconnage et le trafic des espèces protégées.

De ses années en Irak, Faye Cuevas, lieutenant-colonel dans l’armée américaine, a retenu que l’information de terrain était primordiale pour combattre les réseaux terroristes. Des adversaires invisibles, organisés et bénéficiant de soutiens locaux… tout comme les braconniers. Affectée par la suite à des opérations en Afrique, cette Américaine a décidé de mettre les méthodes de lutte antiterroriste au service de la protection des grands mammifères menacés.

« Il y a beaucoup de similarités. En Irak, un problème-clé était que l’information existait mais n’allait pas toujours vers les bonnes personnes », explique, Ray-Ban Aviator sur le nez, celle qui, après avoir passé vingt et un ans dans l’armée, est désormais vice-présidente du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW),. « Là-bas, c’est la même chose », ajoute-t-elle tandis que son 4 × 4 file vers la région de l’Amboseli, dans le sud-est du Kenya.

Ce vaste écosystème, comprenant un parc national et tous les territoires environnants, célèbre pour sa faune sauvage, notamment ses éléphants, est le sixième au Kenya à accueillir le programme « TenBoma ». Ce nom est tiré d’une croyance locale selon laquelle dix bomas, ou villages, sont en sécurité s’ils veillent les uns sur les autres.

Cette initiative – que l’IFAW mène depuis 2015 avec le Kenya Wildlife Service (KWS, autorité de protection de la faune) et qui a reçu cette année 1,2 million d’euros de l’Union européenne (UE) – est fondée sur le recueil d’informations auprès des habitants afin d’épargner des animaux menacés, éléphants et lions en particulier, mais aussi girafes, antilopes…

Un éléphant, dans le parc d’Amboseli (Kenya), le 9 octobre.

Un éléphant, dans le parc d’Amboseli (Kenya), le 9 octobre. ANDREW RENNEISEN POUR LE MONDE

Convaincre les villageois

Ainsi, dans l’Amboseli, les Masaï sont au cœur du projet. Ils connaissent leurs terres comme personne et savent tout ce qui s’y passe. Premiers témoins, ils sont aussi parfois les premiers acteurs du braconnage, un concept aux contours flous dans cette savane où les conflits avec les animaux sont fréquents.

Lorsqu’un lion, la nuit, pénètre dans leur village pour dévorer une vache, ou lorsqu’un éléphant pille leur champ de maïs, les villageois en colère veulent éradiquer la menace. Par eux-mêmes ou en aidant les braconniers à trouver l’animal, en échange d’un peu d’argent.

« Il peut aussi arriver qu’ils tuent un éléphant pour se défendre mais qu’ils craignent des sanctions de KWS, alors tant qu’à faire ils prennent l’ivoire et partent se cacher dans la forêt en attendant de trouver un acheteur », explique Moses Merin. Ce Masaï est un « officier de liaison » de « TenBoma », chargé de convaincre les villageois de lui donner le plus d’informations possible.

Pourquoi Sontika Melok, chef local de 26 ans, a-t-il accepté de coopérer ? Le jeune homme aux jambes fines, enveloppé dans une couverture traditionnelle noire et bleue, cite avant tout le sentiment qu’ont les morans– les jeunes guerriers de la tradition masaï, qu’il représente – d’être enfin considérés. « Ici, beaucoup de morans n’ont pas reçu d’éducation, ne savent pas qu’il est important de ne pas tuer la faune. De plus, ils ont l’impression de ne pas tirer les bénéfices de ces animaux », explique-t-il, alors que la nuit tombe sur son village, surplombé par l’impressionnante masse sombre du Kilimandjaro. « TenBoma change cela, en donnant un rôle aux morans, et en employant des membres de la communauté, qui connaissent notre réalité », ajoute-t-il. Il y a aussi des bénéfices concrets : le village de Sontika Melok a reçu quatre taureaux dans le cadre du projet…

Suite de l’article de Marion Douet dans Le Monde du 27/10

photo : Des agents de protection de la faune sur les traces d’un éléphant, à Kitirua, dans le parc d’Amboseli (Kenya), le 9 octobre. ANDREW RENNEISEN POUR LE MONDE