Trafic d’oursins, de poulpe et de poissons dans le parc naturel des Calanques

Des pêcheurs comparaissent à Marseille pour braconnage au cœur de la réserve. Reportage avec les inspecteurs en charge de faire respecter la réglementation.

Le Soubeyran, Zodiac du parc national des Calanques, dans les Bouches-du-Rhône, patrouille à la sortie de la calanque de Port-Miou, à Cassis, où Mathieu Imbert, inspecteur de l’environnement, soupçonne la présence d’un pêcheur à la ligne. Ces lieux situés en plein cœur marin du parc naturel sont strictement interdits à toute forme de pêche. Il ne s’agit en fait que d’un baigneur.

Un salut de la main, et direction les majestueuses falaises brunes Soubeyranes du bec de l’Aigle, à La Ciotat. Un Zodiac blanc mouille à la lisière d’une des sept zones de non-pêche. A la jumelle, Mathieu Imbert n’aperçoit personne à bord. Une situation « typique d’un chasseur sous-marin qui braconne en zone interdite », selon le « policier de l’environnement ». Là encore, fausse alerte : le propriétaire, avec masque et tuba, tourne dans l’eau, armé d’une brosse pour nettoyer la coque de son bateau.

La création du parc, en 2012, a imposé réglementations et restrictions afin de protéger une ressource halieutique soumise à de fortes tensions, bousculant des habitudes qui existaient depuis des décennies. Du coup, après l’hostilité du début, ses gestionnaires se sont transformés en arbitres entre la soixantaine de pêcheurs artisanaux installés de Marseille à La Ciotat, les pêcheurs de loisirs, une activité qui prélève autant de poisson que les professionnels, les chasseurs sous-marins. Les conflits d’usage sont multiples.

75 kilos de poulpe

Cet après-midi de fin juin, où les calanques d’En-Vau et l’archipel Riou commencent à connaître une affluence estivale au son des premières cigales, aucune infraction ne sera relevée, pas le moindre braconnier verbalisé. « Le plus important pour lutter contre toutes les formes illicites de pêche, c’est d’être suffisamment présents sur l’eau pour s’assurer que “l’effet réserve” fonctionne bien, estime Mathieu Imbert. Les braconniers doivent savoir qu’on peut être là même la nuit, même le week-end, même l’hiver lorsque le mauvais temps est une aubaine pour eux et qu’ils foncent vers les zones de non-pêche. » Comme une version marine du jeu du chat et de la souris, les sorties du Zodiac appartenant au parc des Calanques sont aussitôt connues des braconniers. Du coup, il faut ruser, débarquer discrètement un agent sur une île tout en laissant penser que son bateau quitte la zone…

La lutte contre le braconnage est une priorité des dirigeants et des dix-huit inspecteurs de l’environnement du dixième et dernier-né des parcs nationaux français. A la fois terrestre et marin, il est le plus fréquenté avec 2,5 millions de visiteurs. Il est aussi l’objet de convoitises comme l’illustre le procès de quatre braconniers jugés, mercredi 4 juillet, devant le tribunal correctionnel de Marseille.

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De 2015 à 2017, une patiente enquête des gendarmes maritimes usant des techniques habituellement mises en œuvre pour démanteler les trafics de stupéfiants – interceptions téléphoniques, surveillances physiques, analyses financières… – a conduit à la mise en cause de ces quatre pêcheurs qui reconnaissent ce qui s’apparente à un pillage. Selon l’analyse des gendarmes, en seulement quatre mois et demi, ils ont illégalement prélevé 2 900 douzaines d’oursins, 750 kilos de poissons et 75 kilos de poulpe. Sans compter la chasse dans des zones interdites d’espèces comme le mérou ou le corb, qui sont protégées par un moratoire.

Outre les caches aménagées dans leurs bateaux et les sorties de l’eau discrètes à la tombée de la nuit, leurs contacts avec les receleurs – poissonniers, écaillers et restaurateurs ayant pignon sur rue à Marseille – étaient tout aussi furtifs pour leur livrer de grands sacs d’oursins ou des caisses de loups, dorades, dentis… Les gains des quatre prévenus, en trois ans et demi, sont estimés à plus de 160 000 euros. Une saison d’oursin, de novembre à avril, rapportait à l’un d’eux jusqu’à 10 000 euros.

« Quand le mérou va… »

Le parc des Calanques espère beaucoup de cette affaire judiciaire. « Cela devrait calmer les choses un certain temps », pronostique François Bland, directeur de l’établissement. Il y a cinq ans, l’instauration de zones où toute pêche est interdite ainsi qu’un arrêté préfectoral fixant, dans le cœur marin du parc, un plafond de prises selon les espèces pour les pêcheurs de loisirs avaient suscité une levée de boucliers. Pourtant, depuis, les suivis scientifiques attestent déjà des effets positifs sur l’abondance du poisson dans les aires protégées : les dentis – de gros poissons prédateurs – y sont vingt-deux fois plus nombreux qu’en zone de pêche, les mérous neuf fois plus.

Situées en haut de la chaîne alimentaire, ces « espèces parapluie » constituent de bons bio-indicateurs : plus les mérous sont nombreux, plus le poisson fourrage qui constitue ses proies, se développe. « Quand le mérou va, tout va », résument les pêcheurs. « Notre objectif n’est pas de mettre une nature sous cloche, explique François Bland. Ces zones de non-pêche essaiment en dehors. »

Les pêcheurs professionnels n’affichent d’ailleurs plus d’hostilité à l’égard de ces sanctuaires. « C’est grâce à ces réserves qu’on maintient l’équilibre », se félicite Gérard Carrodano, premier prud’homme des pêcheurs de La Ciotat, tout à la fois chef de file et juge de paix de cette petite communauté professionnelle. Il appelle cependant à davantage de surveillance, « pas seulement aux heures de bureau car le braconnier se lève tôt et se couche tard ». Avec tutoriels sur Internet, leurres et nouveaux outils, « la pêche plaisancière est devenue très impactante », affirme M. Carrodano. Pratiquée par des bateaux présents presque tous les jours en mer, celle-ci menacerait ainsi le denti, très recherché dans les eaux marseillaises.

« Une passion : la mer »

Soucieux de jeter les bases d’une pêche durable sur la côte, le parc entame une évaluation du prélèvement de la ressource – sans arrière-pensée de quotas, s’empresse d’indiquer son directeur. Les fédérations de pêcheurs de loisir sont vent debout contre toute idée de restrictions. Pourtant, assure Patrick Bonhomme, chargé pour le parc de la pêche et de la gestion de la biodiversité marine, « il faut réfléchir à étendre les mesures de protection à l’aire marine adjacente du cœur marin ».

De fait, par un effet de vases communicants, la pression s’accentue sur la ressource halieutique en dehors de l’aire réglementée, dans la rade sud de Marseille par exemple. La chasse au poulpe par exemple, interdite dans le cœur marin du parc du 1er juin au 30 septembre pour faciliter sa reproduction, ne l’est pas au-delà.

Entre passion et braconnage, la frontière est parfois ténue. L’un des quatre braconniers jugés mercredi s’en est ouvert aux enquêteurs : « Le point de départ de tout cela, c’est une passion : la mer. On développe des techniques de pêche, on se perfectionne. On arrive à attraper du poisson et comme beaucoup de professionnels vendent le produit de leur travail, on le vend aussi. On a tendance à penser que ce n’est pas grave et ça devient banal. »

 

photo : Un inspecteur de l’environnement patrouille dans le parc national des Calanques. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

 

 

 

LE MONDE/Luc Leroux (Marseille, correspondant)