Loïc Dombreval, « le député des animaux » envers et contre tous

« Extrémiste » pour les uns, « persévérant » tranquille pour les autres, le vétérinaire et député (LRM) est depuis toujours dévoué à la lutte contre les maltraitances faites aux animaux. La proposition de loi qu’il défend est en cours d’examen au Sénat.

Au début, beaucoup de ses pairs l’ont pris pour un farfelu, un zèbre, un zigoto. On est en juin 2017. Candidat investi par La République en marche (LRM) et porté comme tant d’autres par la vague macroniste, Loïc Dombreval, alors âgé de 51 ans, décroche haut la main la deuxième circonscription des Alpes-Maritimes face à Jérôme Cochet, un jeune espoir – éphémère – du Front national. Maire de Vence mais inconnu de l’arène politique parisienne, le vétérinaire annonce vouloir consacrer son mandat à la cause animale qu’il défend depuis toujours. Osé pour un bleu.

Le nouvel élu de la Côte d’Azur est vite baptisé « le député des animaux », voire « la Brigitte Bardot de l’Assemblée nationale ». Les railleries fusent de plus belle quand il devient, quelques mois plus tard, président du groupe d’études parlementaire « condition animale », où siègent quarante-cinq députés, tous courants confondus.

Dans les couloirs, l’ami des bêtes est sans cesse interpellé : « Tu ne crois pas qu’il y a des choses plus importantes à faire, non ? » Le véto serre les dents et tient bon. Plus de quatre ans ont passé et le voilà engagé aujourd’hui dans une bataille loin d’être gagnée : le vote d’une proposition de loi (PPL) visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale.

Un texte détricoté

Adopté en janvier 2021 par les députés à la quasi-unanimité, le texte qu’il défend aux côtés de Laëtitia Romeiro Dias (LRM, Essonne) et de Dimitri Houbron (Agir ensemble, Nord), a été détricoté lors de son examen par le Sénat le 30 septembre et le 1er octobre. Même si les sujets qui fâchent, la chasse et l’élevage intensif, ont été écartés dès le départ, ces gages de bonne volonté n’ont pas suffi aux représentants du Palais du Luxembourg.

« Les intentions de Loïc Dombreval sont bonnes mais nous avons dû réécrire la PPL pour qu’elle soit ancrée dans la réalité du terrain », justifie Anne Chain-Larché (Les Républicains, LR, Seine-et-Marne), rapporteure des articles au nom de la commission des affaires économiques du Sénat. L’élue est aussi vice-présidente de l’influent groupe Chasse et pêche, couvé des yeux par le président (LR) de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, vétérinaire lui aussi et grand amateur de gibiers. L’instance se montre volontiers à l’écoute des angoisses des porteurs de fusils. « Et des angoisses, cette proposition de loi nous en donne, vous pouvez me croire, tonne Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs. Loïc Dombreval est un extrémiste qui porte en étendard le drapeau de la dérive animaliste. Un jour, nos chiens et nos chats seront mieux traités que nos enfants, c’est de la folie. »

« Certains me considèrent pourtant comme un végane en tongs qui veut faire bouffer de l’herbe à tout le monde », Loïc Dombreval

Un extrémiste, Loïc Dombreval ? Ce n’est pas le terme qui vient d’emblée à l’esprit de ceux qui le côtoient. « Il est équilibré, sincère et compétent », assure son collègue de l’Assemblée nationale Dimitri Houbron. « Un extrémiste ? Vous voulez rire, j’espère… », s’amuse Yves Vérilhac, le directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « Loïc Dombreval est plutôt un timide qui, à ses débuts, n’osait pas hausser le ton. Maintenant, ça va mieux, et heureusement pour nous, parce qu’il est l’un des rares députés à être sensible pour de vrai à la condition animale. »

Loïc Dombreval arpente sa circonscription chaque fin de semaine. Originaire de Pommerit-le-Vicomte, une petite commune près de Guingamp, dans les Côtes-d’Armor, le Breton a découvert la Côte d’Azur en 1995, après son embauche par un groupe pharmaceutique spécialisé en santé animale. Le Sud-Est devient rapidement sa région de cœur.

Véto des villes

Ce jeudi 23 septembre, il est attendu à 11 heures à la gendarmerie des Alpes-Maritimes où le colonel Sébastien Thomas prend ses fonctions. Le parlementaire est en avance, c’est une habitude, il n’aime pas faire attendre.

Grand, mince, yeux clairs, costume bleu marine, il porte beau. Si Gérard Larcher a le look du véto des champs, Loïc Dombreval incarne plutôt le véto des villes. On a du mal à imaginer cet ancien adhérent du MoDem, le parti centriste de François Bayrou, en train de taguer les murs de la « ferme des 1 000 vaches », dans la Somme, ou de casser la vitrine d’une boucherie. D’ailleurs, le 12 mai 2019, ce mangeur de steaks fut l’un des 130 députés et sénateurs à signer dans Le Parisien une tribune dénonçant les actes de violence perpétrés contre des acteurs de la filière viande. La radicalité lui fait horreur, il chérit le consensus.

« Certains me considèrent pourtant comme un végane en tongs qui veut faire bouffer de l’herbe à tout le monde, dit-il en souriant, attablé devant un café. Le député des animaux ? Cela me va si l’on concède que je suis aussi celui des femmes et des hommes. Quant à être la “BB” de l’Assemblée nationale, c’est impossible. Magnifique pionnière de la lutte pour le bien-être animal, Brigitte Bardot est unique. »

« Entre un enfant et un chien qui se noient, je choisirai d’aller sauver l’enfant, c’est évident. Mais pourquoi vouloir opposer les deux causes ? », Loïc Dombreval

Quand on l’interroge sur son amour du vivant, Loïc Dombreval évoque sans hésiter sa mère, institutrice, un modèle, « une femme si sensible à la nature ». Pilote de ligne, son père était plutôt fasciné par les animaux sauvages en liberté, « il [l]’a emmené les admirer un jour au Kenya, c’était merveilleux ».

Même s’il a épinglé sur son compte Twitter des coussinets de chien à côté de son nom, l’élu avoue un faible pour les chats depuis sa tendre enfance. « J’avais 6 ans quand mes parents ont adopté un chaton orphelin, tout blanc, mon premier animal. » Trois siamois, Platon, Jack et Aoki, vivent aujourd’hui dans sa maison de Vence. Il n’en dit pas davantage. Aucune « nunucherie » surjouée, ce n’est pas son genre. « Je n’ai jamais considéré que la vie d’un animal était supérieure à celle d’un homme. Entre un enfant et un chien qui se noient, je choisirai d’aller sauver l’enfant, c’est évident. Mais pourquoi vouloir opposer les deux causes ? Vous pensez qu’un agriculteur qui pratique l’élevage intensif s’épanouit tous les jours ? »

Ce passionné de biodiversité en veut à Descartes et à sa conception de l’« animal-machine ». Il lui préfère Victor Hugo, qui écrivait : « L’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà », ou Emile Zola, quand il a raconté le calvaire des chevaux dans les mines, prisonniers de gouffres dont ils ne remontaient qu’après leur mort.

Même si de nombreuses études démontrent depuis longtemps que les animaux sont des êtres sensibles et conscients qui manifestent bonheur, joie, douleur et souffrance, il a fallu attendre la loi du 16 janvier 2015 pour que le Code civil français le reconnaisse enfin. « Vous vous rendez compte de ce manque d’humanité ? », soupire le député. L’Hexagone, détenteur du triste record européen des abandons d’animaux de compagnie – plus de 100 000 chaque année –, est très en retard par rapport aux législations en faveur du bien-être animal adoptées au Royaume-Uni, en Suisse, en Belgique et en Italie. La PPL renforce les sanctions.

« Lavage de cerveau » à l’école vétérinaire

Il est 12 h 30 et la prise d’armes se termine à la caserne Ausseur de Nice. Aux côtés de Christian Estrosi, le maire de la ville, Loïc Dombreval félicite le nouveau commandant mais zappe le buffet dressé dans l’enceinte militaire. Direction Le Refuge de l’espoir, à Mougins. Le site, géré par la Société protectrice des animaux de Grasse, est menacé de fermeture. L’élu tient à apporter son appui aux bénévoles « qui y accomplissent un travail remarquable ».

Sur la route, au volant de sa petite voiture noire, il se confie un peu. « Je n’ai pas aimé mes études de vétérinaire à Maisons-Alfort. On m’y a lavé le cerveau. L’animal de production était considéré comme une usine à lait, à viande ou à peau. Tout était chiffré, on parlait par acronymes. Les sciences humaines n’avaient pas droit de cité. » Malgré ces critiques, la profession ne l’a pas mis sur une liste noire. Quand l’ordre des vétérinaires crée en 2018 le Comité d’éthique animal environnement santé, on l’appelle pour qu’il en soit.

« Loïc Dombreval est l’exemple de ce que peut réaliser un député qui a des idées et des convictions. Il a énormément travaillé », Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit animal

Les mentalités évoluent, Loïc Dombreval le sait. La veille de sa visite au Refuge de l’espoir, Le Parisien a publié les résultats d’un sondage IFOP réalisé pour le portail Woopets. 84 % des Français considèrent la protection des animaux comme une cause importante et 47 % de ceux en âge de voter déclarent que les propositions des candidats en la matière vont influencer leur vote. Ils étaient 39 % à l’affirmer en 2017 et seulement 29 % en 2012.

« C’est une tendance de fond, appuie Jérôme Fourquet, directeur du département opinions de l’institut de sondage. Les Français supportent de plus en plus mal le broyage des poussins mâles, la castration à vif des porcelets, les chiens battus à mort ou la chasse à courre. Pourquoi croyez-vous que les chasseurs ont manifesté le 18 septembre ? Ils sont obligés de montrer leurs muscles, car ils sentent bien que le vent actuel leur est défavorable. » Le politologue rappelle aussi que, lors des élections européennes de 2019, le parti animaliste, avec 2,16 %, des voix s’est retrouvé au coude-à-coude avec le Parti communiste (2,49 %), « un score que personne n’aurait imaginé il y a quinze ans ».

« Il y va franco désormais »

Au Refuge de l’espoir, Loïc Dombreval martèle son engagement. « Aujourd’hui, les animaux sont cédés comme de vulgaires objets sur les réseaux sociaux. Et que dire de ces chiots et de ces chatons exposés dans les vitrines des animaleries et vendus par des chefs de rayon intéressés aux chiffres de vente. Est-ce bien sérieux ? » La secrétaire du refuge, Roxane, 32 ans, l’écoute avec attention. « C’est bien qu’il soit venu aujourd’hui. Je le suis depuis longtemps sur Twitter et sur Facebook, c’est un député qui prend du poids. »

Paris fait le même constat. « Loïc a davantage d’assurance, il y va franco désormais », témoigne le député de l’Essonne Cédric Villani (non inscrit). En septembre 2020, le brillant mathématicien avait présenté une PPL plus ambitieuse sur le bien-être animal mais le texte n’a jamais été débattu en séance publique. « Même s’il a laissé les gros morceaux sur le côté, la chasse et l’élevage, je ne peux que saluer sa persévérance. » Président de La Fondation Droit animal (LFDA), Louis Schweitzer réagit dans le même sens : « Loïc Dombreval est l’exemple de ce que peut réaliser un député qui a des idées et des convictions. Il a énormément travaillé. »

Le « zigoto » a pris la lumière et, désormais, on le jalouse, lui, « un modéré qui déteste le rapport de forces, or la politique, ce n’est que ça », confie, amer, un député LRM. « Je préfère faire évoluer la législation à petits pas plutôt que de me faire Don Quichotte et que rien ne bouge », répond l’intéressé.

Oui, l’eau a coulé depuis 2017. Loïc Dombreval aurait-il écrit il y a quatre ans Barbaries (éd. Michel Lafon, 190 pages, 12 euros) ? Le livre, paru en avril, dénonce les sévices d’un autre âge subis par le monde animal, de la tauromachie à l’abattage traditionnel. « Non, je ne l’aurais pas fait, je n’étais pas prêt », convient l’élu. Même s’il n’y condamne que les chasses les plus cruelles, il n’empêche, l’ouvrage est une déclaration de guerre à de nombreux lobbys, donc un obstacle à la poursuite d’une carrière politique nationale.

Pourtant le quinquagénaire n’a pas envie de s’arrêter là. Il a des ambitions, « sinon, [il] ne serai[t] pas devenu député ». Un nouveau mandat ? Peut-être.

Une autre idée lui trotte dans la tête, une idée lancée en 2019 par Robert Badinter, invité à un colloque de la fondation de Louis Schweitzer : la création d’un poste de défenseur des droits des animaux, une autorité administrative indépendante. Il en rêve, bien sûr, mais le chemin sera long et passera d’abord par l’adoption de sa PPL en faveur des animaux, une première étape. Sera-t-elle franchie ?

Marie-Béatrice Baudet (Nice, envoyée spéciale)
Le Monde