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Courrier International : l’appel de la vie sauvage

“L’humanité fait face à un problème d’une dimension inédite : nous avons triomphé du monde naturel – qui nous inspirait autrefois une si profonde terreur – de manière magistrale. Et maintenant qu’il est en train de disparaître, nous voudrions qu’il reprenne sa place”, écrit le site américain Grist. Mais de quelle place parle-t-on ? Et surtout de quel “monde naturel” ? Le dérèglement climatique, la sixième extinction d’espèces, la pandémie de Covid-19… nous poussent à repenser notre relation au vivant. À rêver d’une nature sauvage qui serait préservée de toute intervention humaine. Mais cela peut-il exister et cela a-t-il seulement existé ?

C’est l’objet de ce dossier que nous avons préparé par étapes depuis quelques mois et qui a progressivement évolué. À la fin de l’année dernière, notre correspondant en Pologne nous signalait un article publié dans l’hebdomadaire Tygodnik Powszechny. Il y est question de nos contradictions dans nos rapports avec la vie sauvage. “Nous rêvons de quitter la ville pour élever nos enfants au plus près de la nature, mais, dans les faits, nous la repoussons de toutes nos forces”, écrit l’auteur, citant les amateurs de jardinage, “qui veulent vivre entourés de verdure, mais dont les principales questions [dans les forums] portent sur la lutte contre les nuisibles”, ou encore la peur de certains parents quand leurs enfants partent en classe verte.

Le monde sauvage, oui, mais à distance raisonnable tout de même. La pandémie a pourtant révélé un immense besoin de nature chez chacun d’entre nous, et dans ce contexte, c’est cette quête-là, parfois pleine de contradictions, que nous pensions documenter à partir de l’article de Tygodnik Powszechny. Mais un article publié début juin par le webzine américain Yale Environment 360 sur la rétrocession des parcs nationaux américains aux Amérindiens nous a fait réorienter ce dossier. Des États-Unis au Canada ou à l’Australie, le mouvement s’accélère depuis quelques années, au bénéfice de l’environnement. Et cette interaction de l’homme avec le monde sauvage est désormais au cœur de nombreuses recherches.

Selon une étude récente, citée par le magazine Science, il y a douze mille ans, l’espèce humaine s’était déjà répandue sur les trois quarts de la Terre (aujourd’hui, seuls 19 % de la planète seraient préservés de toute intervention de l’homme). Conclusion :

Comme certaines de ces zones habitées sont aujourd’hui des ‘points chauds’ de biodiversité, la population humaine a probablement contribué à maintenir – voire à augmenter – la diversité des autres espèces pendant des millénaires. […] Et les peuples indigènes jouent un rôle clé dans cette préservation.”

En fait, explique Science, c’est moins la présence de l’homme que la surexploitation des ressources, “l’agriculture intensive, l’urbanisation, la déforestation” à partir du XIXe siècle qui ont changé la donne. Ces “résultats illustrent le caractère fallacieux du concept d’une nature ‘pure’, épargnée par la main de l’homme”, commente un spécialiste du développement durable dans le magazine.

Pour de nombreux écologistes et scientifiques aujourd’hui, il va nous falloir déconstruire notre idée de la nature et repenser la place de l’homme dans la préservation de la biodiversité.Il faut partir sur la base d’une planète changée et opérer un mouvement réflexif. Il ne s’agit pas tant de contrôler la nature que de contrôler le contrôle de la nature”, écrit Elizabeth Kolbert, journaliste au New Yorker, citée par Grist. 

D’où l’importance du mouvement de restitution des terres aux peuples autochtones entamé il y a quelques années. Protection des bisons aux États-Unis, restauration de grandes zones humides en Australie, pratique de l’écobuage… Pour Yale Environment 360, c’est l’approche holistique des peuples autochtones qui rend leur gestion des terres plus efficace. Mais aussi leur rapport au monde naturel, “auquel il est évident que leurs vies sont intimement liées”. À l’inverse des exemples cités dans l’article polonais, que nous avons toutefois traduit en contrepoint de tout le reste. Bonne lecture.

Claire Carrard

Nom :

Courrier International

Numéro :

Date de parution :

1602
2021-07-15

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