Le coin des militants, Personnalités à découvrir

Alexandra MORETTE, Présidente de Code Animal

Code animal est une association fondée en 2001 par Franck Schrafstetter et son équipe et reprise en 2018 par Alexandra Morette et son équipe.

Association spécialisée dans la relation entre l’espèce humaine et les autres animaux, plus particulièrement au travers de la captivité, que ce soit dans les cirques, dans les zoos, les delphinariums ou chez les particuliers en ce qui concerne les dits nouveaux « animaux de compagnie » (NAC), soit les particuliers détenant des animaux sauvages chez eux.

Depuis 2005, Code animal est intervenue à plusieurs reprises auprès des décideurs politiques (ministère de l’Écologie, Assemblée nationale, Sénat, etc.) et lors des Rencontres animal-société, le « Grenelle des animaux » organisé par le ministère de l’Agriculture en 2008. Ou plus récemment, lors de la commission Faune Sauvage Captive mise en place par le ministère de la Transition Ecologique en 2019 qui a conduit, notamment, aux annonces de la Ministre Barbara Pompili du 30 septembre 2020 et aux propositions de loi discutées à l’Assemblée Nationale en 2020 et 2021.

Rencontre avec Alexandra Morette, sa Présidente

Quel cheminement jusqu’à cette implication pour la sauvegarde de la faune ? Un itinéraire prévu, construit ou les hasards de la vie ?

J’ai toujours eu une sympathie et une empathie particulière avec les animaux.

Rien dans ma famille ne me prédestinait à lutter pour que les humains considèrent et respectent les autres animaux. Issue d’une famille de chasseurs, j’ai certainement dû être confrontée jeune à la discrimination que nous faisons subir aux autres espèces et à la mort d’autres êtres vivants, sans réel objectif que celui du plaisir.

Les crises environnementales m’ont amené à me rendre compte de l’ampleur des dégâts et de la disparition des espèces à cause de nos activités.

Depuis 5 ans maintenant, je me bats à mon niveau contre l’injustice que nous faisons subir aux animaux. Je ne pouvais plus rester passive et silencieuse face à tout cela et j’ai décidé de créer des collectifs citoyens et, en 2019, reprendre la présidence de l’association Code Animal, fondée en 2001 par Franck Schrafstetter.

Mon parcours a été construit au hasard des rencontres de la vie, des personnes inspirantes du mouvement pour la protection des animaux ont croisé ma route, et m’ont permis d’affuter mes armes et m’ont aidé directement ou indirectement à dessiner ma vision et mes actions pour lutter contre la captivité des animaux sauvages dans le divertissement, notamment.

Pourquoi avoir choisi ce combat – cette cause en particulier ?

Dans mes études j’ai beaucoup étudié les combats des humains contre les discriminations que ce soit la lutte féministe ou pour les civil rights aux USA.

Je ne pourrais pas vraiment l’expliquer mais les injustices sociales m’ont toujours révoltées, au plus profond de moi et depuis toujours. En lisant un peu le combat pour la considération des animaux j’ai retrouvé certains mécanismes d’oppression et de discrimination arbitraire.

Puis je suis allée avec un PC qui diffusait les vidéos de L214 et une pancarte « Oser regarder » dans les rues de Tours pendant 2 ans je crois tous les jeudis pour voir un peu comment les gens réagissaient à cela, pourquoi est-ce qu’ils ne changeaient pas, quels étaient leurs arguments, pourquoi moi j’avais changé, c’était quoi les déclics.

Et personne ne m’a jamais apporté l’argument qui me ferait changer d’avis. J’attends toujours d’ailleurs…

Puis j’ai vu que Tours Métropole organisait pour la première fois un festival du cirque avec les éléphantes de la famille Folco, je ne serais pas dire pourquoi exactement mais de voir ces animaux se balancer de gauche à droite, derrière ces fils électriques sur la pelouse de la Gloriette à attendre de faire ces numéros stupides, ça m’a vraiment fait mal au ventre.

J’avais juste envie que ça s’arrête. J’ai creusé un peu l’histoire des cirques et des zoos et je me suis dit que c’était vraiment un scandale. Tout était lié aux combats que j’avais étudié lors de mes études : colonialisme, oppression, suppression de l’individualité, les corps réduits en objets, etc. des mécanismes similaires.

Et l’association Code Animal m’a aidé dans mon combat, c’est l’une des seules associations qui travaille uniquement sur la captivité des animaux sauvages dans les divertissements. Leurs valeurs et méthodes m’ont beaucoup inspirée alors j’ai décidé de mener ce combat en particulier. J’ai préféré me spécialiser, si je puis dire, dans une exploitation animale afin de connaitre réellement les tenants et aboutissants et savoir de quoi je parle vraiment.

C’est ma contribution aux cotés d’autres associations pour lutter contre l’exploitation des autres animaux.

Une belle rencontre avec la faune ?

Je dirais le premier sauvetage que j’ai pu faire : une lionne qui passait son temps dans un camion remorque d’un cirque. Son dresseur a souhaité s’en séparer pour lui offrir une meilleure vie. Elle a été prise en charge dans un de nos centres d’accueil partenaire AAP en Espagne. C’était très émouvant et impressionnant.

Après ce sont des rencontres de tous les jours dans les bois ou au détour d’une route où on voit les animaux de la faune locale libre avec leur petite vie secrète.

L’espèce que vous n’avez pas encore vue et dont vous rêvez ?

Je n’ai pas vraiment d’espèce à voir absolument, justement j’essaie de lutter un peu contre ce besoin de voir qui pour moi est assez anthropocentrée, l’animal lui s’en fiche de me voir à vrai, enfin je pense.

Les rencontres fortuites dans les milieux naturels sont beaucoup plus spectaculaires je trouve.

Après j’ai toujours beaucoup de plaisir à voir des écureuils et des mésanges à longue queue, parmi d’autres espèces de la faune locale !

Un livre fondateur ?

J’ai un souci avec les livres, je ne peux pas m’en passer, j’en ai une consommation excessive.

Je n’ai pas tellement de livre fondateur mais des auteurs qui m’ont beaucoup inspiré : Eric Baratay, Marc Bekoff, Alinsky, Sharp, Chomsky, etc.

Des lectures très hétéroclites mais qui ont construit, chacun à leur manière, mon fil de pensées.

Un film à conseiller ?

Je dirais Into the Wild de Sean Penn (2007) qui nous amène à réfléchir sur nos modes de vie dans cette société de consommation et l’humilité face à la nature que nous ne pouvons pas contrôler.

L’hybris de l’humain brisé par quelque chose de plus grand que lui. Et puis la musique d’Eddie Vedder est juste magique.

L’endroit sauvage ultime ?

La haute montagne quand elle est préservée. On a vraiment l’impression d’être tout petit et qu’on est sur le territoire des animaux libres.

Je pars en trek quand mon emploi du temps me le permet avec juste un sac sur le dos.

C’est majestueux et ressourçant de rester quelques jours dans cette impression d’immensité.

Les rencontres fortuites avec des animaux libres sont magiques.

Un(e) confrère ou un scientifique source d’inspiration ?

J’ai pas mal de sources d’inspiration dans le mouvement mais je pourrai citer Céline Paterre, Franck Schrafftetter et Arnauld Lhomme, qui pour moi sont des warriors, chacun à leur niveau, cela fait des années qu’ils font partie du mouvement et n’ont rien lâché.

Ils conseillent avec une bienveillance et une humilité de dingue.

Pour les scientifiques, je pense que j’ai lu tous les articles de Franck Courchamp, de Mark Auliya & Clifford Warwick. Leur travail est fondamental dans nos campagnes.

Un(e) photographie, une peinture ou une sculpture en tête ?

C’est un artiste à double tranchant sur lequel je me questionne beaucoup : Damien Hirst et son exposition sur les animaux plongés dans le formol. Une sorte de zoo d’animaux morts.

Sur France Inter en août 2021 (Boomerang) il disait « Mon idée de départ avec les animaux dans le formol était de faire un zoo de bêtes mortes. Je n’aime pas les zoos. Je les adorais quand j’étais petit et puis en emmenant mes gosses plus tard je trouvais que les animaux étaient tristes à tourner en rond dans leur cage. Cette idée très victorienne et arrogante d’aller capturer des animaux dans un but scientifique et pédagogique et de les ammener à nous. Mais avec les émissions animalières on a plus besoin de ça, c’est nul. Mon idée c’était de faire un zoo d’animaux morts où ils ne seraient pas tristes et avec des animaux qu’on mange. ». Depuis je me questionne sur cette œuvre.

Votre quotidien…

Je suis bénévole chez Code Animal je travaille donc à côté et dédie mon temps personnel à la condition animale. Cela représente vraiment du temps.

Le plus gratifiant

Réussir à sortir les animaux de la captivité pour le divertissement et tenter de leur offrir une vie moins pire dans un refuge ou un sanctuaire qui partage notre vision. C’est rare mais quand cela se passe c’est très émouvant.

Rencontrer des belles personnes que ce soit dans les autres associations ou dans nos bénévoles. Code Animal m’a vraiment permis de croiser la route de personnes extraordinaires que je n’aurais jamais pu rencontrer dans mon quotidien. L’énergie positive qui se dégage de ces gens m’aide à avancer.

Le plus pesant

L'égo des humains.

Je me suis longtemps souciée de l’avis des autres sur les actions de notre association, stressée de savoir si nous faisions tout parfaitement, etc. et puis je me suis rendue compte que quoi qu’il arrive on ne pourra pas plaire à tout le monde, et que quoi qu’il arrive certaines personnes peu bienveillantes, y compris dans le mouvement, auraient toujours quelque chose à redire ou critiquer. Les double-discours en politique font aussi partie de tout cela…

Très vite finalement j’ai arrêté de me soucier de ce que pouvait penser un tel ou dire un tel et j’ai travaillé selon mes convictions, mes valeurs et ma manière de voir les choses en me disant que de toute façon l’important c’était le partage d’informations et l’atteinte des objectifs pour mettre fin à la captivité. J’ai également appris à apprécier des belles personnes avec qui je travaille énormément.

Si les humains pouvaient peut-être se regarder un peu moins le nombril et se mettre à l’action pour les autres animaux, cela irait plus vite ?

Nous sommes en 2050.

Votre version optimiste ou pessimiste de la place de la vie sauvage dans le monde ?

J’ai une vision assez pessimiste de l’avenir, je n’ai pas l’impression que nous comprenons réellement et collectivement l’enjeu de remettre en question nos gestes quotidiens et nos manières de consommer.

Je lis les rapports du GIEC et autres études et je me rends compte que rien ne change. Je ne serai pas surprise d’une autre pandémie dans les années à venir, tout cela est prévisible.

Quand je vois les réactions de certains élus politiques face à cela, je me dis que le « monde d’après » ce n’est clairement pas pour tout de suite.

Personnellement j’ai trouvé refuge dans l’agriculture afin de pouvoir faire les choses à mon niveau et qui ont du sens pour moi.

Je pense que si chacun d’entre nous pouvait être garant d’un petit coin de nature, ce qu’en permaculture on appelle une zone 5 dans laquelle la biodiversité peut s’épanouir, on pourrait créer des sanctuaires plus ou moins grands et se réapproprier cette place dans l’écosystème comme simple maillon et non pas super prédateur.

 

L’association

La plus belle victoire / récompense ?

Pour moi l’une des plus belles récompenses dans nos combats reste les sauvetages d’animaux.

C’est assez rare mais c’est l’aboutissement de semaines voire années de lutte acharnée pour sauver la vie d’un individu.

Le moment du replacement est toujours très émouvant.

Quant aux victoires, j’espère que ce seront celles à venir avec des lois plus dures pour protéger les autres animaux de l’appétit de l’humain.

Le sujet brûlant actuellement ?

Les discussions autour de la proposition de loi contre la maltraitance animale votée à l’Assemblée en janvier 2021 et en discussion au Sénat en septembre 2021.

C’est un peu l’aboutissement de plusieurs années de combat et nous sommes en bras de fer très serré avec différents groupes d’acteurs pour faire évoluer la condition animale.

C’est assez éprouvant mais j’espère sincèrement que nous allons réussir à avoir ce que nous souhaitons pour les animaux !

Le défi qu’il reste à relever ?

De taille ! Essayer de faire évoluer la mentalité et le regard des humains sur les autres êtres vivants.

Mettre en avant l’empathie et le respect de chacun pour qu’enfin on puisse réellement apporter des choses bénéfiques à notre environnement, de manière collective et sociétale.

Cela commence par l’éducation j’imagine.

De quoi manquez-vous le plus ? Temps, argent, soutien moral, aide physique ou intellectuelle…

Je dirais de temps, nous avons beaucoup de travail à accomplir et il n’y a que 24h dans une journée…

Nous sommes une petite équipe de gens très motivés mais parfois nous ne serions pas contre avoir un peu plus de personnes fiables et sérieuses !

Nous sommes en effet assez exigeants sur nos dossiers et demandons un niveau d’expertise assez haut.

Mais nous essayons de faire du mieux que nous le pouvons avec le temps et l’énergie disponibles.

Nous essayons également de conserver des moments pour soi pour pouvoir travailler sur le long terme.

Nous manquons également de fonds malheureusement, l’argent est le nerf de la guerre. C’est un des objectifs que nous allons développer dans les prochains mois / années mais sécuriser des ressources financières prend toujours un peu de temps.

Vous dissoudrez l’association le jour où ?

Lorsqu’on aura gagné toutes nos batailles on pourra enfin prendre quelques vacances ou se plonger dans d’autres combats peut être. Quelque chose me dit qu’il reste encore pas mal de pain sur la planche…

Est-il plus difficile aujourd’hui de sensibiliser à la cause animale, avec la « concurrence » du réchauffement climatique et de ses catastrophes, des conflits armés et des attentats dans le Monde, de la précarité sociale en France… ?

Je ne pense pas, justement la condition animale est un sujet montant dans les débats sociétaux aujourd’hui.

Il n’existe pas une journée sans que les médias parlent des animaux, les études scientifiques et les associations de protection animale alimentent les débats.

Ce qui se passe aujourd’hui est très intéressant. La condition animale va de pair avec les sujets environnementaux et les questions sociales.

Tout est plutôt lié je pense, le programme One Health – Une seule santé est assez représentatif de cela.

Il faut simplement un changement de comportement et de manière de penser. Descendre de notre piédestal et remettre en question nos modes de consommation pour quelque chose de plus sobre et plus résilient.

Votre adversaire le plus coriace : l’Etat, les acteurs économiques, la méconnaissance, l’indifférence générale ?

Certainement l’Etat qui semble plus intéressé à conserver le statut quo qu’à faire réellement avancer les choses.

Ces derniers mois nous avons eu plein d’annonces mais dans les faits, rien.

Le semblant d’avancées dans la communication publique ne se traduit pas en actes. Rien de très ambitieux et cela est assez frustrant.

Alors que nous entrons dans la sixième extinction de masse, le Gouvernement français continue d’autoriser l’exploitation de tigres, lions, éléphants, etc. dans les cirques itinérants pour faire des numéros totalement contre-nature et il signe également des arrêtés pour massacrer la faune locale via le loisir de la chasse.

C’est totalement aberrant. Contrairement à des sources scientifiques établies, on continue à faire n’importe quoi sous prétexte de la « tradition », « ruralité » ou je ne sais quels autres éléments de langage qui fait plaisir à une minorité dans l’électorat.

Votre suggestion pour fédérer ces millions de personnes sensibles à la cause animale mais dont la voix ne porte pas, en opposition à celle des chasseurs ou des lobbies industriels ?

Je ne pense pas que la voix des défenseurs des animaux ne porte pas.

C’est un changement radical de paradigme et sa mise en place prend du temps. Viser la « fédération » d’une diversité de stratégies et d’idées est, selon moi, utopique.

Plutôt que d’attendre que cela vienne par magie d’une quelconque fédérations ou d’autre part, je pense que chacun et chacune d’entre nous a un pouvoir immense entre les mains : s’approprier la rue avec des manifestations ou des actions plus simples comme sortir avec un PC et une pancarte pour décontextualiser les vidéos de L214 par exemple et parler aux gens (Earthlings experience), dénoncer systématiquement toute injustice, envoyer vos images d’animaux sauvages captifs à Code Animal, prendre contact avec son maire, son député, son sénateur pour mettre en place des événements, des actions en faveur des animaux, boycotter une marque qui va à l’encontre de ses valeurs, prendre un lait végétal plutôt qu’animal dans un rayon de supermarché, aller au musée plutôt que de lancer du pop-corn aux singes dans un zoo, être bénévole dans une association de protection animale, etc. toutes ces petites choses peuvent avoir un impact, encore faut-il s’en donner le temps.

Soyons courageux.ses et occupons le terrain pour porter la voix des autres animaux.

« Actuellement l’humain mène une guerre contre la nature. S’il la gagne, il est perdu. » - Hubert Reeves.

 

EN LIEN AVEC LE SUJET

LIVRE(S) EN LIEN AVEC LE SUJET

En rapport avec :

Accueil