… de chaud! « C’est maintenant ou jamais » : les solutions du Giec face au chaos climatique

Dans un nouveau rapport, le Giec dresse un sombre état des lieux de nos efforts pour atténuer nos émissions de gaz à effet de serre. Il dévoile toutefois un itinéraire clair pour y parvenir, notamment avec les renouvelables.

Le temps presse. Après deux semaines d’âpres discussions, les représentants des 195 représentants des États ont approuvé le 4 avril le « résumé pour décideurs » du troisième volet du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Sur une soixantaine de pages — soit deux fois plus que dans sa précédente édition —, le document détaille les différentes options pour réduire au plus vite nos émissions de gaz à effet de serre.

Lien vers le rapport complet (en anglais)

Premier constat : la tendance actuelle n’est toujours pas la bonne et mène à une augmentation de la température de 3,2 à 5 °C à l’horizon 2100. Durant la décennie 2010-2019, les émissions de gaz à effet de serre ont atteint un nouveau record (56 GtCO2eq par an en moyenne), « le plus haut niveau de toute l’histoire de l’humanité ». Maigre consolation : la croissance de nos émissions a ralenti (+1,3 % par an) par rapport à la décennie précédente (+2,1 % par an). Pourtant, « sans des réductions immédiates et profondes des émissions dans tous les secteurs, limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C sera impossible, a expliqué lors d’une conférence de presse lundi 4 avril en fin d’après-midi Jim Skea, coprésident du groupe de travail. C’est maintenant ou jamais ».

Et le calendrier est clair. Que l’objectif soit de limiter le réchauffement climatique à 1,5 ou 2 °C, il faudra atteindre le pic des émissions de gaz à effet de serre avant 2025. Selon l’objectif retenu (1,5 ou 2 °C), il faudra ensuite réduire les émissions de 43 % ou de 27 % par rapport à 2019 à l’horizon 2030 pour atteindre la neutralité carbone — un équilibre parfait entre les émissions et l’absorption du carbone par différents puits de carbone — en 2050 ou 2070.

Énergies fossiles, technologies, équité : les points de crispation

« Le troisième volet est toujours plus politique que les autres », a expliqué à Reporterre le chercheur en sciences politiques François Gemenne. Et certains points, comme la sortie des énergies fossiles, le rôle des technologies, les questions d’équité et de finance cristallisent les tensions. Sur la question des énergies fossiles, les experts sont clairs : il faut limiter l’utilisation du pétrole et du gaz. Conséquences : les actifs financiers liés aux énergies fossiles perdront de leur valeur dans une trajectoire visant les 1,5 °C de réchauffement, les infrastructures fossiles existantes devront être éliminées rapidement, et nous devrons renoncer à consommer une part substantielle de ces réserves en énergie fossile. Sans oublier que « poursuivre la mise en place d’infrastructures d’énergies fossiles “verrouillerait” les émissions de GES et mettrait l’objectif de 1,5 °C hors de portée », préviennent les auteurs.

Concernant les technologies de capture et de séquestration du carbone, le Giec rappelle que celles-ci ne doivent pas se substituer aux diminutions de l’usage des énergies fossiles. Pour atteindre l’objectif de 1,5 °C, la réduction de l’utilisation du charbon devra être de 100 % à l’horizon 2050. Celles de pétrole de 60 % et de gaz de 70 %. Même en ayant recours à la capture et au stockage du carbone — pour compenser des émissions résiduelles, les objectifs resteront peu ou prou les mêmes pour le charbon (-95 %) et le pétrole (-60 %). Seules les ambitions de réduction de l’usage du gaz pourront être moindres (-45 %). Mais attention, « la mise en œuvre de la capture et de la séquestration du carbone se heurte à des obstacles technologiques, économiques, institutionnels, écologiques, environnementaux et socioculturels », alertent les auteurs.

En matière d’équité enfin, les chiffres sont éloquents : bien que ne représentant qu’un cinquième de la population mondiale (22 %) en 2019, l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande ont contribué historiquement à 43 % des émissions de gaz à effet de serre. À la même date, l’Afrique et l’Asie du Sud comptaient 61 % de la population, pour 11 % des émissions. La distribution des inégalités s’observe au sein même des États : les 10 % des ménages les plus riches contribuent à 34 à 45 % des émissions. « Les personnes ayant un statut socio-économique élevé contribuent de façon disproportionnée aux émissions et ont le plus grand potentiel de réduction », pointent les experts.

Face à ce constat, les États les plus émetteurs n’ont pourtant pas encore respecté leurs engagements : les flux financiers climatiques publics et privés des pays développés vers les pays en développement restent encore en deçà de l’objectif fixé dans le cadre de l’Accord de Paris, et fixé à 100 milliards de dollars d’ici 2020. « Le rapport insiste sur une transition juste, a expliqué le chercheur Franck Lecocq, lors d’un point presse. Les impacts socio-économiques dépendent du détail des politiques publiques et de leur mise en œuvre. »

Des solutions prometteuses

Dans ce marasme, les auteurs se veulent rassurants : « Nous pouvons réduire nos émissions de moitié d’ici 2050. » Et des options existent dans tous les secteurs. Certains se sont même avérés plus prometteurs qu’attendu. C’est le cas de l’éolien, du solaire ou des batteries dont les coûts ont chuté jusqu’à 85 % depuis 2010.

En outre, un éventail croissant de politiques et de lois ont amélioré l’efficacité énergétique, réduit les taux de déforestation et accéléré le déploiement des énergies renouvelables. Des « lois climat » ont été mises en place dans 56 pays (ces États représentaient 53 % des émissions mondiales en 2020). Au moins 18 pays ont réussi pendant plus de dix ans à réduire leurs émissions liées à la production et à la consommation. Par ailleurs, les actions en justice pour dénoncer le manque d’action climatique des États ont augmenté.

Mais les efforts doivent persister. « Nous sommes à la croisée des chemins. Les décisions que nous prenons maintenant peuvent garantir un avenir vivable. Nous avons les outils et le savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement », a insisté Hoesung Lee, le président du Giec.

Investissements insuffisants

Pour y parvenir, d’importants investissements seront nécessaires. Pour l’heure, ceux-ci restent encore largement insuffisants, estiment les auteurs. Les flux financiers destinés à limiter le changement climatique sont encore 3 à 6 fois trop faibles par rapport à ce qui serait nécessaire en 2030 pour limiter le réchauffement à 2 °C. Et le soutien financier aux énergies fossiles est encore bien trop important, a déploré Raphaël Jachnik, spécialiste de la finance à l’OCDE [1]. Pourtant, les capitaux et les liquidités existent et sont suffisants pour combler ce déficit. Pour les experts, il revient désormais aux gouvernements et à la communauté internationale « d’envoyer des signaux clairs afin d’aligner les finances et les politiques publiques ».

Parmi les nouveautés de ce rapport, une place importante a été donnée à l’évolution de la demande, à savoir celle de nos comportements individuels (choix de transport, de régimes alimentaires, de consommation, de réduction du gaspillage, etc.). Si ceux-ci pourront avoir un effet substantiel sur l’évolution des émissions, ils nécessitent d’être accompagnés par des politiques publiques adéquates. « Pour pouvoir faire ces choix, il faut que certaines conditions soient réunies », a expliqué le chercheur Franck Lecocq, lors du point presse.

Avoir accès au télétravail, disposer de pistes cyclables ou d’un bus à proximité de son travail sont autant de choix collectifs qui touchent les infrastructures et qui pourront accompagner les démarches individuelles, explique le chercheur. « La mise en place de politiques, d’infrastructures et de technologies appropriées pour permettre des changements dans nos modes de vie et nos comportements peut entraîner une réduction de 40 à 70 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Cela offre un potentiel inexploité important », a précisé le coprésident du groupe de travail, Priyadarshi Shukla.

« Il existe des options dans tous les secteurs »

Enfin, comme en 2014, les experts dressent un inventaire des solutions à mettre en œuvre dans les secteurs les plus émetteurs, notamment pour la production d’énergie — responsable de 34 % des émissions de gaz à effet de serre en 2019 —, l’industrie (-24 %), l’agriculture, la foresterie et l’utilisation des sols (-22 %), ou encore les transports (-15 %). « Il existe des options dans tous les secteurs pour réduire les émissions de moitié », précisent les auteurs.

En ce qui concerne la production d’énergie, les auteurs recommandent une réduction drastique de l’usage des énergies fossiles, et une généralisation de l’électrification en améliorant l’efficacité énergétique et l’usage des alternatives aux combustibles fossiles. Les espaces urbains pourront également être source d’économies, en misant sur des villes compactes adaptées aux mobilités douces, combinées aux transports électriques ; tout en favorisant l’insertion de puits à carbone naturels.

Dans le secteur industriel, les auteurs préconisent l’économie circulaire incluant des matériaux recyclés, réutilisés, et en minimisant les déchets. Enfin, le secteur de l’agriculture, de la foresterie et de l’usage des sols devront à la fois permettre de réduire les émissions, mais également capter du carbone, en « réduisant la déforestation, en protégeant et restaurant des écosystèmes naturels, notamment les forêts, les tourbières, les zones humides côtières, les savanes et les pairies ». Ils apporteront des cobénéfices en matière de biodiversité, et permettront d’assurer des moyens de subsistance, notamment alimentaires….

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